Suite à la parution du premier livre de l’ONG Salvemos Al Fútbol, La Grinta a rencontré Monica Nizzardo, co-auteure de cet ouvrage résumant « dix ans de lutte », d’après son titre, contre la violence dans le football argentin. Professeure de métier, Monica raconte ces dix années de combat entre politique, justice et barras bravas. Entretien avec une femme qui ne lâche rien.
Monica, dix années auparavant, quelles sont les raisons de ton investissement dans la lutte contre la violence dans le football en Argentine ?
Monica Nizzardo : Je viens d’une famille passionnée de football, mon papa était supporter d’Atlanta dont j’ai moi-même été membre de la commission directive du club de 2002 à 2005, dans le quartier de Villa Crespo à Buenos Aires. En m’investissant dans cette commission, j’ai commencé à voir l’envers du décor du football argentin et m’apercevoir comment les barras bravas volaient les joueurs, les recettes du club etc. Un désastre quand on connaît la situation économique des clubs de l’Ascenso (divisions inférieures, ndlr). La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est venue le jour où un membre de la barra brava a débarqué avec un marteau cassant tout sur son passage. Télévisions, ordinateurs, fenêtres tout y est passé. Tout cela pour une promesse économique de la part du président d’Atlanta à l’époque qui n’a pas été tenue. Vous vous rendez compte ? Qu’est-ce que l’institution a avoir dans ces magouilles ? Après trois ans dans la commission directive, j’en ai vu des choses mais là j’ai vraiment eu très peur et je me suis dit « basta ».
Qu’as-tu fais à ce moment-là ?
M.N. : Ce que personne ne fait en Argentine. J’ai été déposer plainte auprès de la police envers cet individu qui était déjà en liberté conditionnelle. Cela m’a valu d’être menacée par cet homme et une partie de la barra brava. Les dirigeants du club ont même essayé de me persuader de retirer ma plainte et aucun de mes collègues ne m’a accompagné au commissariat. Tout cela par peur. J’ai vraiment senti que je touchais à un mal très profond.
Ça a été l’événement-clé de la création de l’association Salvemos Al Fútbol ?
M.N. : Oui, très clairement. J’ai été consulter des journalistes spécialisés sur le sujet comme Gustavo Grabia (spécialiste des barras bravas à Olé et auteur du livre La véritable histoire de la 12 de Boca Juniors, ndlr) car je voulais continuer d’aller au club et de travailler au sein de la commission directive même si je me savais menacée. Je voulais le faire pour le club et pour mon père qui est mort quelques années plus tôt. Tous les journalistes ont été unanimes et m’ont dit que si je voulais continuer, il fallait que je parle dans la presse, que je devienne un personnage public pour être protégé. Et merci à eux, car avec eux j’ai pu aller de l’avant en intervenant dans la presse écrite, la radio et même la télévision. Tout le monde me félicitait mais moi ça ne m’intéressait pas de recevoir des éloges, je voulais que l’on se réunisse tous et que l’on commence un grand travail en commun pour en finir avec ça. C’est à ce moment précis qu’a surgi l’idée de Salvemos Al Fútbol. J’ai envoyé un mail à tous les contacts que j’avais et en moins de 24 heures, ma boîte de réception était pleine. J’ai par la suite reçu un coup de fil du Doctor Mariano Berges, ex-juge, qui m’a donné une force incroyable en proposant de me défendre et d’aller de l’avant. J’étais au bout du rouleau et je lui ai crié : « Salvemos al fútbol doctor ! » (sauvons le football doctor ! Doctor étant utilisé en Argentine pour définir un avocat ou un juge ndlr). Cette phrase est restée et nous avons décidé de monter l’ONG avec ce nom.
Comment se déroulent les premières années de l’association ? Quelles actions ont été menées ?
M.N. : Après avoir épluché tous ces mails, nous avons tout d’abord décidé de nous réunir avec les familles des victimes de la violence au sein du football. D’ailleurs dans le livre, il y a aussi un chapitre où toutes les mères des victimes témoignent de ce qu’elles ont vécu. Avec le Doctor et toutes ces mères de famille, la première proposition de l’association a donc été de traîner en justice tous les cas de violence ou de corruption dans la football argentin. Quelques années plus tard, en 2009 pour être précise, au sein de l’association, nous avons créé une cellule d’investigation mais aussi intégré des sociologues. Il a fallu s’organiser nous-même car les politiques et les dirigeants du football étaient en décalage avec la réalité. Et pour être honnête, ils ne nous ont jamais aidé sachant qu’ils sont aussi liés à tout cela.
Justement, que penses-tu du changement politique que connaît actuellement l’Argentine et les nouvelles réformes mis en place à ce sujet ? Même s’il est encore tôt pour faire un premier bilan, comment l’association a t-elle accueilli ces premières mesures ?
M.N. : Il y a une énorme différence avec ce que l’on a connu avec l’ancien gouvernement. Salvemos Al Fútbol a aujourd’hui dix ans, et a connu la majeure partie de son histoire sous un gouvernement Kirchnerista (gouvernement de l’ancienne présidente de la République Argentine, Cristina Kirchner, ndlr) qui ne nous a jamais reçu, tout comme l’AFA (la fédération argentine, ndlr) d’ailleurs à qui nous avons pourtant aussi sollicité une réunion. On a d’ailleurs dénoncé énormément de cas de corruption au sein même des fonctionnaires de ce gouvernement. L’idée de ce livre était aussi qu’en cas de changement, nous pourrions avoir quelque chose de concret à présenter à ce gouvernement. Nous avons bien fait car nous avons été reçu d’emblée par Guillermo Madero, l’homme que la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a chargé de traiter le problème de la violence lors d’événements sportifs. Les premières réformes annoncées par Guillermo Madero sont de très bonne augure même si nous savons que le chemin est encore très long. C’est un changement quasi-culturel que nous attendons, au sein de la société mais aussi de la police qui a toujours été un problème ici en Argentine…
C’est une allusion à ce que nous confiait Guillermo Madero sur le fonctionnement de certains fonctionnaires puisque les clubs finançaient la sécurité autour des matchs de football ? Un cercle vicieux vu qu’il y avait de la encore plus de violence donc beaucoup plus de policiers, donc des heures de travail supplémentaires et plus d’argent en jeu, car les clubs devaient gérer la sécurité et payer ces fonctionnaires de police en dehors de leurs horaires de service…
M.N. : Exactement. Nous marchions sur la tête et l’ancien gouvernement n’avait pas trouvé mieux que de se réunir avec la police, les barras bravas pour coordonner tout cela… Je vous laisse imaginer ce que ça peut donner en termes de corruption avec tout cet argent en jeu. Ruben Perez, à l’époque gouverneur de la province de Buenos Aires, avait été jusqu’à me dire que nous ne comprenions rien. On avait pourtant absolument tout compris de ce système… Vous comprenez qu’après avoir vécu tout cela, la position de Guillermo Madero nous paraît intéressante pour enfin aller de l’avant. Par exemple, sur le fait de créer une police spécialisée pour les événements sportifs, Guillermo Madero nous a écouté et le projet fait petit à petit son nid. Cela rejoint ce que je disais à l’instant, comment pouvait-on accepter qu’un policier soit appelé pour faire un extra dans un contexte aussi particulier que le football après ses huit heures de services ? Vous vous rendez compte où on en était ? On ne demande pas une sécurité privée autour des stades de football car la sécurité des citoyens est un service public. Mais il faut qu’il soit organisé en conséquence des besoins et cette police spécialisée peut être une bonne idée.
« Je veux croire à un changement même si je suis consciente que cela prendra du temps »
Pour en venir à ce livre que tu as co-écrit avec Mariano Berges, comment est venue l’idée de retracer « dix ans de lutte » ?
MN : L’idée est née en 2012 à force de mener des actions en justice et de ne pas être entendu nous nous sommes dits, il faut que l’on écrive tout cela, que l’on dénonce tout cela. On voulait sensibiliser les Argentins à ce sujet, c’était l’objectif numéro un. Pourtant en 2012 j’ai failli tout arrêter après un discours de la présidente Cristina Kirchner, valorisant les barras-bravas « pour leur passion ». Quand elle a prononcé le mot « passion », je me suis dit « basta ». J’étais anéantie et le projet est resté en suspens quelque temps. En 2015, avec l’espoir de voir les choses changer politiquement, nous nous sommes remis au travail comme je l’ai dis en amont pour avoir quelque chose de matériel à présenter à ce nouveau gouvernement. Ce livre fut aussi un moyen de tous se réunir pour redonner espoir aux Argentins sur ce thème. Un message d’espoir qui combine différents témoignages.
Quels sont les différents intervenants ?
M.N. : Il y a en a énormément vu que nous recueillons beaucoup de témoignages des familles de victimes. Ensuite, beaucoup de journalistes spécialisés sur ce sujet, nos sociologues comme Diego Murzi mais aussi d’autres membres de l’association qui résident dans d’autres villes comme Rosario et qui connaissent aussi ces problèmes de violence dans le football tout comme d’anciens dirigeants comme Mario Spinelli qui a connu la même situation que moi quand il faisait partie de la commission directive de Platense sans recevoir aucun soutien.
Une décennie après la fondation de Salvemos Al Fútbol, quel constat peux-tu dresser ?
M.N. : Il est positif. Car tous ce que nous avons pu mettre en place avec de tels pouvoirs publics est exceptionnel. Que ce soit l’aide pour certains dirigeants de clubs, pour certains socios ou encore pour les familles de victimes. Tous ces gens-là ne sont plus seuls grâce à la solidarité qu’a créé l’ONG et c’est une énorme satisfaction. Il y a aussi le travail de communication qui a été très efficace et d’ailleurs nous avons proposé au gouvernement de faire de nouvelles campagnes contre la violence au sein des différents stades argentins. Car le travail passe aussi par là, c’est-à-dire par l’éducation.
Malgré ces signes positifs, quelles sont les propositions de l’association pour enrayer la violence dans et autour des stades alors que le football argentin fait toujours une vingtaine de victimes chaque année ?
M.N. : Il y a quatre points très importants pour enrayer la violence dans notre football. Le premier, il faut de fortes décisions politiques et cela semble enfin arriver. La seconde, des fonctionnaires honnêtes ce qui inclut aussi les fonctionnaires de police. La troisième, une AFA concernée et responsable. Là on est loin du compte… Et la dernière, une justice habile et qui nous accompagne. Avec tout cela, je peux vous assurer que l’on progresserait énormément dans ce domaine.
Tu espères et demandes un changement radical de toute la société argentine, cela ne te paraît pas utopique ?
M.N. : Je veux penser que cela arrivera un jour même si je suis consciente que cela prendra du temps dans un pays où l’on dispute des matchs de football sans supporters visiteurs car l’on est incapable de maîtriser deux ou trois milles personnes 90 minutes à l’intérieur d’une enceinte de football…
*Salvemos Al Futbol, 10 anos de lucha Monica Nizzardo et Mariano Bergés, en espagnol, paru chez Dunken.
Propos recueillis par Bastien Poupat à Buenos Aires en Argentine
Pour couronner la cinquième saison du site, La Grinta vous proposera dans le courant de la rentrée un magazine digital consacré au barras bravas, le fruit d’une enquête d’un an menée en Argentine.