Pour ceux qui pensent que le football est devenu un sport ennuyeux et prévisible, il y a toujours des histoires qui vous permettent de garder la foi… pour un certains temps, au moins. L’un des derniers contes de fée du football s’est déroulé dans la Hesse (Allemagne) il y a un peu moins d’un mois, lorsque le SV Darmstadt a été promu en Bundesliga après 33 ans de disette. Un retour au top miraculeux pour un club qui a frôlé la faillite et la 4e division avant d’enchaîner deux montées consécutives pour retrouver l’élite.
Samedi 24 mai 2015. Il est un peu plus de 17 h 15 lorsque Florian Meyer, l’arbitre de la rencontre opposant Darmstadt à Sankt Pauli, siffle la fin du match. Les 16 500 spectateurs entassés dans le Böllenfalltor stadion explosent et envahissent la pelouse. Et pour cause, grâce à sa victoire, le SV Darmstadt est de retour en Bundesliga, 33 ans après l’avoir quittée. Avec son petit budget de 5 millions d’euros, le promu a déjoué tous les pronostics et s’offre sa seconde montée consécutive.
Vingt minutes plus tard, les douches de bière se succèdent, les joueurs se prennent dans les bras, l’entraîneur Dirk Schuster embrasse la pelouse et les supporters s’égosillent. Le club de la Hesse vient de réaliser l’un des plus gros exploits du football moderne, quelque chose que personne ne pensait possible. Miracle, Darmstadt est ressuscité.
Deux petits tours et puis s’en va
Ville de 150 000 habitants située au sud de la région de la Hesse, Darmstadt est plus connue comme étant la ville de la science que pour son équipe de football. Pourtant,le club est l’un des plus anciens de la vallée rhénane, fondé le 22 mai 1898 sous le nom de FC Olympia 1898 Darmstadt. Il faut cependant attendre 1919 et la fusion avec l’autre club de la ville, le SC Darmstadt 05, pour voir le club prendre son nom actuel, SV Darmstadt 1898.
Malgré son ancienneté, le palmarès reste assez maigre. Hormis quelques titres et Coupes régionales, pas grand-chose à entreposer dans l’armoire à trophées. Les Lilien (surnom qui signifie « lys », en relation avec la fleur de lys, l’emblème du club) ont connu deux fois la Bundesliga, lors de la saison 1978-1979 et 1981-1982. Leur séjour fut de courte durée, le club redescendant à chaque fois aussitôt en seconde division. Après ces deux coups d’éclats, les blanc et bleu sont progressivement retombés dans l’anonymat. En 1998, le club évoluait même en Hessenliga, à l’époque la quatrième division allemande avant la création de la 3.Liga. Rien ne laissait présager ce qui allait arriver une quinzaine d’années plus tard.
2012-2013 : bataille en fond de classement
2008, est une année sombre pour le club de Darmstadt, englué en 3.Liga et alors au bord de la faillite. Sa survie ne tient qu’à un fil et va être rendue possible grâce à des actions menées par les fans et une aide financière du Bayern Munich, notamment via l’organisation d’un match amical entre les deux équipes. Les perspectives du club sont alors assez obscures et le succès semble bien loin. Les choses vont empirer, et en décembre 2012, le SVD se retrouve même au fond du classement de la troisième division. Le futur s’annonce compliqué et l’entraîneur Jürgen Seeberger est démit de ses fonctions seulement trois mois après avoir pris les rênes de l’équipe. Pour le remplacer, les dirigeants font appel à Dirk Schuster, qui vient juste d’être viré par son club des Stuttgarter Kickers (qui évoluent eux aussi en 3.Liga). Schuster a joué durant les années 1990, notamment au sein de l’équipe de Karlsruhe. Personne ne le sait encore, mais ce choix va s’avérer déterminant pour le futur de l’équipe.
L’une des premières actions menées par Schuster à la tête de Darmstadt est de recruter Aytaç Sulu, joueur du SCR Altach, club de première division autrichienne. Le coach du SVD 98 va faire étalage de son flair avec cette signature, Sulu devenant très vite l’un des piliers de l’équipe.
Malgré ces changements dans l’effectif, sur la pelous Darmstadt est en pleine bataille contre la relégation et peut se sauver lors du dernier match de la saison 2012-2013. L’Aalemannia Aachen est déjà relégué, mais les deux dernières places vont se jouer entre le SV Babelsberg, le Borussia Dortmund II, les Kickers d’Offenbach, les Stuttgarter Kickers et le SV Darmstadt. Les cinq équipes se tiennent en 4 points seulement. Darmstadt reçoit les Kickers lors de cette 38e journée, et doit s’imposer pour assurer sa survie. Malheureusement, les visiteurs ouvrent le score en première mi-temps. Le club de la Hesse ne parviendra pas à refaire son retard lors du deuxième acte. À 15 h3 0 le samedi 18 mai 2013, Darmstadt est officiellement relégué en Regionalliga après un match nul 1-1. Un coup de massue pour cette équipe qui avait su relever la tête et faire preuve de fighting spirit depuis l’arrivée de Schuster.
Heureusement, les dieux du football vont venir à la rescousse de Darmstadt et leur éviter la relégation. Les Kickers d’Offenbach vont en effet être relégués administrativement à cause d’un problème de licence ne leur permettant pas de rester en 3.Liga. Un coup de pouce du destin qui sauve le SVD 98 de la Regionalliga. Comble de la réussite, si Elton da Costa n’avait pas égalisé à la 84e minute du dernier match de la saison face aux Stuttgarter Kickers, le SV Babelsberg serait resté en 3.Liga. Darmstadt ne doit son maintien qu’à une meilleure différence de buts. Le miracle est en marche…
2013/2014 : Le miracle de Bielefeld
À partir de ce moment, le plan Schuster va débuter. Depuis son arrivée à Darmstadt, il a minutieusement observé ses adversaires et va donc faire ses emplettes chez la concurrence. Lors de la trêve estivale, il fait signer Dominik Stroh-Engel et Milan Ivana en provenance du Wehen Wiesbaden, Marcel Heller de l’Alemannia Aachen, Jérôme Gondorf des Stuttgarter Kickers ou encore Marcel Sailer du FC Heidenheim. Le flair de Schuster sur ces dossiers va encore une fois s’avérer payant.
Malgré la présence du loyal gardien Jan Zimmermann, Darmstadt débute la saison 2013-2014 à l’image de 2012-2013, mal. Mais le club va connaître un regain de forme à la fin de l’automne, en grande partie grâce à son buteur Dominik Stroh-Engel et à la solidité de la charnière centrale Aytaç Sulu et Benjamin Gorka. Darmstadt se permet même quelques coups d’éclats en Coupe d’Allemagne en éliminant le Borussia Mönchengladbach avant de chuter au tour suivant face à un autre poids lourd de Bundesliga, Schalke 04. Les efforts portent leurs fruits et la formation de la Hesse entame la trêve hivernale en troisième position du championnat. Une place qu’elle ne lâchera pas de la seconde partie de saison, quelques points derrière le RB Leipzig et Heidenheim. Darmstadt doit donc jouer un match de barrage contre l’Arminia Bielefeld pour gagner sa place en Bundesliga 2.
Si la rétrocession administrative des Kickers d’Offenbach a été le premier miracle pour Darmstadt, le second arrive un peu plus d’un an après. Les choses débutent pourtant très mal pour le SVD qui perd la solidité défensive qui a fait sa force toute la saison et s’incline 3-1 sur sa pelouse lors du match aller de barrage face à Bielefeld. Plus personne ne croit alors à la promotion de Darmstadt, sauf peut-être Dirk Schuster et ses joueurs. Après tout, il reste encore 90 minutes à disputer.
Les Lillien engagent bien le match retour et c’est le buteur maison, l’inévitable Dominik Stroh-Engel qui va mettre son équipe sur les bons rails pour entretenir l’espoir. Hanno Behrens va lui emboiter le pas en doublant la mise au retour des vestiaires. Une joie de courte durée lorsque deux minutes plus tard, Felix Burmeister réduit le score pour Bielefeld. Pour la première fois du match, Darmstadt paraît fragile, sonné par ce but. Mais à dix minutes de la fin, Gondorf allume un pétard des 20 mètres qui finit sa course au fond des filets, 3-1. Darmstadt est survolté et Bielefeld tremble mais parvient à arracher la prolongation.
À 8 minutes du terme, la Schüco-Arena va exulter lorsque L’Arminia réduit la marque grâce à Kacper Przybylko. Darmstadt est de nouveau en 3.Liga. Mais c’était sans compter sur Dirk Schuster qui abat sa dernière carte et décide de lancer Elton da Costa dans l’arène. Un coup de poker qui va s’avérer payant, une fois de plus. À quelques secondes du coup de sifflet final, l’attaquant portugais déclenche une sublime volée des 20 mètres qui va ouvrir à Darmstadt les portes de la seconde division. Une promotion acquise au bout du suspense, au terme d’un match complètement fou, au scénario étouffant. Un an après avoir été relégué en Regionalliga, le petit club de la Hesse est en 2.Bundesliga, une utopie.
2014-2015 : Jamais deux sans trois
Malgré la promotion, Darmstadt va perdre l’un de ses piliers lors de la trêve estivale. Le portier Jan Zimmermann, au club depuis 2011, rejoint le club d’Heidenheim. Il est remplacé par Christian Mathenia, un gardien inconnu qui évoluait jusqu’à lors dans l’équipe réserve de Mayence.
De retour dans l’antichambre de la Bundesliga sur la pointe des pieds, Darmstadt ne veut pas faire de vagues lors de cette première saison en seconde division. L’objectif pour le promu est simple: le maintien. Mais très vite, les Lilien étonnent et pointent à une surprenante troisième place au classement à la trêve. Alors que tout le monde s’attendait à ce que Darmstadt lutte pour sa survie, le club de la Hesse tient tête à ses adversaires et prend part à une tout autre bataille, celle pour la montée. Un combat qui va l’opposer à Kaiserslautern et Karlsruhe durant l’intégralité du Rückrunde.
À deux journées de la fin du championnat, rien n’est encore joué. Après avoir gâche une chance inouïe en s’inclinant à Greuther Fürth, Darmstadt est encore dans la course. La dernière journée va donc être déterminante et le SVD 98 va recevoir Sankt Pauli, qui lutte lui pour ne pas descendre. Les Lilien ont cependant la chance d’avoir leur destin entre les mains, ils sont classés deuxième et une victoire leur permettrait de retrouver la Bundesliga. Mais à vingt minutes du coup de sifflet final, Darmstadt frémit. Et pour cause, ils ne parviennent pas à marquer alors que Kaiserslautern et Karlsruhe mènent au score. Le scénario catastrophe est en train de prendre forme, les Blanc et Bleu n’ont pas seulement abandonné la seconde place, ils perdent également la troisième place significative de tour de barrage.
Malgré tout, lorsque l’on regarde dans le rétroviseur, que l’on se remémore le passé du club, il était écrit que cette histoire se terminerait bien. Après tant de miracles et de sacrifices, le parcours de Darmstadt ne pouvait pas s’arrêter de façon si brutale. Lors du barrage face à Bielefeld en 2014, c’est da Costa qui avait été le héros du club de la Hesse en marquant à la 120e. En 2015, c’est Tobias Kempe qui va endosser ce rôle de sauveur. Débarqué à l’été 2014 en provenance du Dynamo Dresde, le milieu droit va venir délivrer les 16 500 supporters du Böllenfalltor stadion sur un coup-franc direct. Le score n’évoluera plus, ce but envoie Darmstadt au paradis, en Bundesliga, 33 ans après.
Ce qu’a réussi à faire Darmstadt est unique. Mais pour comprendre ce qui a rendu cet exploit possible, il faut se tourner vers la mentalité de cette équipe. Le groupe est principalement composé de joueurs qui ne sont pas parvenus à s’imposer dans d’autres clubs et qui parviennent à former une équipe redoutable sous les couleurs bleues et blanches. En dépit du plus petit budget de la Bundesliga 2 et d’une très faible enveloppe pour les transferts, Dirk Schuster a créé un véritable collectif. Cette saison, la réussite du club de la Hesse a reposé sur des principes simples : Une défense de fer (26 buts encaissés, la meilleure du championnat avec Karlsruhe) et une solidité à domicile (38 points en 17 matchs, meilleur total de la ligue et une seule défaite). La philosophie de jeu prônée par Schuster veut que ses joueurs « dévorent » l’adversaire, comme l’a raconté Marco Sailer après la victoire face à Sankt Pauli. L’entraîneur de Darmstadt a bâti une équipe composée d’amis, dont les fondations reposent sur la cohésion et l’esprit d’équipe, comme le montre les 15 buts inscrits par des défenseurs cette saison. Une équipe qui a finalement atteint son objectif et a « dévoré » ses concurrents.
« On va actuellement de fête en fête. Mon objectif est d’arriver à 7,9 grammes »
Après tant d’émotions, le club de la Hesse a bien mérité une grande fête pour célébrer son exploit. Un feu d’artifice et du champagne dans les vestiaires ? Pas question, Darmstadt aura une fête à son image, authentique et sans prétention. Les joueurs et le staff technique enchaînent les pintes de bière en communiant avec leurs supporters. Interrogés au lendemain de la victoire alors que les célébrations battent encore leur plein, Marco Sailer déclare alors : « On va actuellement de fête en fête. Mon objectif est d’arriver à 7,9 grammes ». Même son de cloche chez l’entraîneur Dirk Schuster lorsqu’on lui demande combien de temps il a dormi. Réponse de l’intéressé : « Je ne sais pas, j’étais plein. »
Il y a un an, lors de la fête pour la montée du club en 2.Bundesliga, les fans avaient chantés « FIFA 15 Darmstadt est là » (les clubs de première et seconde division étant présents sur le jeu vidéo, contrairement à ceux de troisième division), ils peuvent désormais se réjouir, Darmstadt sera également sur FIFA 16.