« Nous avons dépensé autant pour recruter Romario que le Milan pour Desailly. Cela démontre l’écart de philosophie entre les deux clubs. Milan joue la défense, nous l’attaque. » Avant la finale de C1 1994 –même aux yeux de son propre entraîneur– qualifier les Catalans de favoris face au Milan relève du doux euphémisme. Le Barça de Johann Cruyff sera trucidé 4-0 par le Milan de Fabio Capello. Rétro tactique de l’un des plus grands succès idéologiques de l’organisation sur la création.
Cette finale est l’une des plus marquantes de l’histoire moderne de la Ligue des champions. Pour tout ce qu’elle incarne sur le plan symbolique : le crépuscule de la dream team de Johan Cruyff et le second souffle du Milan après le départ d’Arrigo Sacchi et des Hollandais.
Ce 4 à 0, ce n’est pas seulement la victoire du Milan sur le Barça. C’est le triomphe du challenger travailleur sur le favori sûr de lui. La victoire idéologique des carrés défensifs sur les triangles offensifs. La victoire de la Lombardie pragmatique de Fabio Capello et Marcel Desailly sur la Catalogne créative de Cruyff et Pep Guardiola.
Milan sans le ballon : La zone et les compensations
Champion avec 36 buts marqués en 34 matchs, il va sans dire que le Milan, cuvée 1994 est une équipe qui base son succès sur la qualité de son organisation défensive. Sur le terrain, l’entraide est partout et le bloc travaille ensemble. Si Desailly ou Demetrio Albertini sortent au pressing et que le Barça en profite pour passer le milieu, alors Paolo Maldini va sortir sur Romario. Si Maldini est en un contre un, Filippo Galli va lui venir en aide, et Mauro Tassotti va serrer dans l’axe. La perfection de la zone coulissante. L’héritage de Sacchi l’innovateur. Avec la patte de Capello le pragmatique.
Exemple à la 7e minute : passe verticale de Guardiola pour Txiki Begiristain : Triangulation avec Amor-Stoijkov : le Bulgare rentre sur son pied gauche pour frapper. Quand il touche le ballon pour la quatrième fois, tout le côté gauche du Milan se renferme sur lui : Panucci-Donadoni-Desailly-Albertini. Derrière, Maldini vient boucher l’angle. Cela passera à côté, évidemment.
Au milieu, Guardiola passe une soirée très compliquée. Le 4-4-1-1 de Capello est parfaitement calqué sur le 3-1-3-3 de Cruyff. Coincé entre Massaro et Savicevic, le futur coach du Barça est complètement éteint par la « pressing-zone » de Capello. Quand le ballon arrive chez lui, il faut faire vite, très vite.
Autour de Ronald Koeman, buteur à Wembley deux ans plutôt, Ferrer et Nadal jouissent d’une relative liberté. Mais ils n’ont qu‘une seule solution en relance, l’axe étant bouché. Sur son côté gauche, Sergi est souvent sollicité par Nadal. Mais Boban ferme la porte côté droit, pas moins que Donadoni côté gauche. Sur le banc catalan, on fume. Beaucoup. Plus ça va, moins le Barça trouve la diagonalité dans la relance. Très rapidement, le jeu long est forcé par l’absence de solution.
Après le turn-over : Attendre l’erreur et percuter
Quand Milan récupère, ça va vite, très vite. Albertini ou Desailly se projettent, et cherchent Massaro le plus rapidement possible. Chacun ferme sa zone avec rigueur et, au turn-over, le talent de Boban et Savisevic fait mal : fixations, percussions, différences.
Toutes les relances de Rossi sont longues. A la retombée, on attend l’erreur. Elle viendra à la 22e : Ferrer contrôle poitrine, enchaîne avec la tête, sans élan, vers Sergi. Albertini surgit et sert son meneur de jeu Yougoslave. Ferrer est éliminé sur le contrôle, le retour de Guardiola est trop gentil, Massaro rôde au deuxième poteau. 1-0.
L’importance de Desailly
A cette époque, le Barça ne presse pas encore aussi dur qu’il le fera 15 ans plus tard. La zone du Milan lui fait récupérer tant de ballons au cœur du jeu qu’il doit souvent passer – presque contre son gré – à l’attaque placée. Ou plutôt à l’attaque placée rapide. Mais le repli catalan s’opère et Milan est alors en danger à la perte du ballon.
Là, le pressing de Desailly est précieux. Quand le premier rideau est cassé après les sorties d’Albertini, l’ancien Marseillais fait parler son agressivité sur le porteur catalan pour ralentir la manœuvre et permettre le repli milanais.
Le transfuge de l’OM est une sorte de Matuidi avant l’heure. Il presse, agresse, récupère, se projette. Il est constamment sous tension. L’énergie n’est pas à aller puiser, mais à contenir. L’ancien Nantais profite du bloc pour gagner des duels, et le bloc compte sur son activité à la perte du ballon pour gagner le temps de se replacer. Son duo avec Albertini – l’un équilibre, l’autre oriente – a bon nombre héritiers aujourd’hui.
Milan en attaque placée
Paradoxalement, le pressing du Milan va être encore plus fort et plus haut après l’ouverture du score, l’adversaire direct de Guardiola n’étant plus Massaro ou Savicevic, mais Albertini, qui va sortir de plus en plus de son poste de 8 au fil du match.
Le dernier quart de la première mi-temps est un temps fort pour un Milan qui pose carrément le pied sur le ballon. Les Olé descendent des tribunes athéniennes. Boban rentre dans l’axe pour laisser le couloir à Tassoti. Renversement, Donadoni couche Ferrer, Savisevic emmène Guardiola, et Massaro – préféré à Papin – signe son doublé d’un tir de l’aigle létal du pied gauche.
Le troisième but viendra rapidement tuer tout suspense, peu après la mi-temps, sur le même modèle que le premier : un long ballon en profondeur, une erreur de Nadal, et le génie de Savicevic qui créé un lob incroyable du pied gauche dans un angle impossible. Desailly parachèvera le succès, sur une énième interception et après un relais avec Albertini.
Capello donne la leçon
La supériorité systémique de Capello est totale sur ce match. Quand le Barça relançait, un 2 contre 2 était créé dans l’axe, et s’il voulait pénétrer, les deux lignes de 4 formaient un 8 contre 6. Quand Milan passait à l’attaque, l’apport de Boban créé un 3 contre 3, voir un 3 contre 2, selon les situations. La qualité technique de Boban et Savicevic était au service des enchaînements rapides, alors que la liberté de Ferrer et Nadal ne leur donnait aucune solution en relance. Au milieu, Desailly et Albertini ont fait un carnage et le talent du Milan dans le dernier tiers a tué tout suspense en moins d’une heure.
Sur le XI aligné par Capello, 8 joueurs occupent aujourd’hui la fonction de coach, travaillent dans un staff technique, ou préparent leur diplôme.
Le Milan retournera en finale l’année suivante, battu par l’Ajax de Van Gaal. Cette défaite sonnera le glas de la dream team de Cruyff, qui ne gagnera plus jusqu’au départ de l’entraîneur, à l’été 1996.