Buenos Aires, Córdoba, Rosario, Tucumán… Autant de villes et recoins d’Argentine qui vibreront au rythme du huitième de finale de la Coupe du monde face aux Bleus. Le pays s’arrêtera de vivre l’espace d’un instant mais il ne sera pas le seul. Il en existe un autre improbable qui devrait connaître le même sort samedi aux alentours de 16 heures : le Bangladesh. Explications sur l’incroyable histoire d’amour entre la contrée asiatique et la nation sud-américaine.
Le football au Bangladesh
Nous sommes au début des années 1990. La Premier League anglaise, formidable outil marketing, vient d’être créée. Le football britannique avait déjà été introduit en Asie par la Malaisie au cours du règne colonial des dizaines d’années auparavant, mais grâce à ce nouveau concept de championnat, l’Angleterre souhaite conquérir la plupart des marchés asiatiques. Cet héritage sportif a mis en avant les grands clubs anglais et il n’est pas rare de voir des posters de Manchester United, Liverpool ou Arsenal dans la plupart des foyers de Malaisie. La population locale supporte aisément les Three Lions tous les deux ans lors de compétitions internationales. La popularité de Beckham dépasse d’ailleurs celle de joueurs comme Zidane ou Ronaldo.
Le seul véritable pays d’Asie du Sud Est qui résiste encore et toujours à l’envahisseur anglais au niveau du ballon rond s’appelle le Bangladesh. Le football a également été amené pas les colons britanniques dans ce pays de 150 millions d’habitants. Bien que le sport roi reste incontestablement le cricket comme en Inde, Pakistan ou Sri Lanka, une partie de la population s’est tournée vers le football, plus accessible. La Coupe du monde, événement planétaire, ne fait pas exception dans cette partie du globe. Les Bangladais se sont alors curieusement pris d’affection pour l’Argentine. Interrogé par le site internet anglais Football Paradise, Pintu Patan, l’un des administrateurs de la page Facebook « Supporters de l’Argentine de football au Bangladesh » raconte : « Vous ne me croirez pas si je vous dis que 70% des gens au Bangladesh soutiennent l’Argentine, vous pouvez chercher sur Google pour en savoir plus. Nous avons la plus grande base de fans ici, suivie par les fans du Brésil, d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne. Le fait est que nous sommes encore plus fous que les Argentins eux-mêmes ! »
Pour comprendre cette engouement des Bangladais pour l’équipe de Leo Messi, il faut faire un bond en arrière.
Une grande partie de la passion du Bangladesh pour l’Argentine est sûrement due à un seul homme : Diego Maradona. Un homme qui, par son simple talent, a uriné sur la puissante Angleterre et s’est converti aux yeux du monde du tiers-monde en un symbole anti-colonialiste.
Pintu Patan, toujours sur Football Paradise,confirme : « Diego est la seule raison pour laquelle il y a un grand nombre de partisans de l’Argentine au Bangladesh. Ses compétences magiques, ses buts merveilleux et son regard théâtral ont volé des millions de cœurs ici, que ce soit dans les villes, les villages ou les campagnes. Il est devenu un héros au Bangladesh et les gens ont commencé à soutenir l’Argentine depuis. Avant lui, seul Pelé s’était approché du coeur des Bangladais. Maradona a surpassé cet engouement et la frénésie autour de lui a atteint son apogée lors de la victoire en Coupe du monde 1986. Après la défaite déchirante en Coupe du monde 1990, il y a eu des larmes, des blessés et même des tentatives de suicide. »
C’était surtout l’occasion pour la population du Bangladesh de prendre sa revanche sur l’oppresseur britannique : « À l’étranger, presque personne ne sait la vérité au sujet du règne britannique ici. C’est une histoire de 200 ans d’oppression, de tourments et de violences malgré certains développements. Par exemple, près de 10 millions de personnes mouraient de faim en l’espace d’une année pendant la domination britannique, et cela en dit long. Maradona détruisant l’Angleterre avec ses buts emblématiques fut un immense plaisir pour nous, les Bangladais à l’époque, et ça l’est toujours. «
L’accès à la diffusion des matchs et l’héritage laissé par la génération de 1986 aux plus jeunes n’a fait qu’accroître la passion des Bangladais pour le football en particulier envers l’Argentine notamment pour la Coupe du monde 1994 et 1998. Les maillots floqués Batistuta et Ortega envahissaient alors Dacca, la capitale.
Internet et Leo Messi
Avec les années 2000, Internet se développe en Asie du Sud Est. Le web permet aux Bangladais de suivre de plus en plus l’actualité du football argentin et de ses joueurs. Les blogs et autres chats ont également donné l’occasion à nombre d’entre eux d’entrer en contact et d’échanger virtuellement avec des Argentins. Une nouvelle génération de fans bangladais voit le jour avec le phénomène Leo Messi. Une véritable Messi Mania s’empare des rues de Dacca. L’engouement des Bangladais porte ses fruits en 2011. Un match amical est même organisé et financé par le gouvernement bangladais à Dacca.
L’événement sera un énorme succès malgré les prix élevés des billets, car des milliers de Bangladais n’ont pas pu résister à la tentation de voir leurs héros en chair et en os. En regardant le nombre d’yeux humides dans les tribunes, on pourrait penser que le Bangladesh venait de battre l’Argentine aux tirs au but en finale de la Coupe du monde.
L’une de ces personnes aux yeux larmoyants cette nuit-là est Mohammed Rubel qui a dû faire un voyage en bus de 7 heures de Pabna à Dhaka. En arrivant et après avoir pris le petit déjeuner, il a dû supporter une file d’attente ardue juste pour obtenir des billets. « A l’époque, je travaillais dans un magasin, et le prix du billet était encore plus élevé que mon salaire mensuel. Mais j’ai réussi à économiser assez d’argent pour ce voyage parce que j’avais envie de voir ce match. Regarder Messi en direct était tout ce que j’avais jamais espéré. J’ai dû demander la permission à ma mère et elle m’a dit de poursuivre mon rêve. Ce sont les 90 minutes les plus mémorables de ma vie », résume-t-il.
Aujourd’hui, les manifestations de joie et de soutien à l’équipe d’Argentine pendant cette coupe du monde en Russie tournent en boucle sur les réseaux sociaux et dans la plupart des grands médias argentins. Une pétition a ainsi été lancée pour que Messi et ses coéquipiers rejouent un match amical à Dacca. Des milliers de personnes figées devant les écrans géants, des enfants brandissant des drapeaux argentins dans les écoles ou encore les manifestations festives après le match contre le Nigeria ne font que confirmer la folie des Bangladais pour l’Argentine.
Moins amusant, un Bangladais a aussi perdu la vie après un arrêt cardiaque sur le but salvateur de Marcos Rojo contre le Nigéria. Preuve dramatique d’un amour sincère et non d’un simple effet de mode.