Depuis le début du Mondial, William Carvalho dévoile des notes mélodieuses, submergées au milieu d’un concert de football-spectacle. Après trois apparitions sur la scène, elles ont profondément touché le cœur de ceux qui ont bien voulu l’écouter. De par son pied droit plutôt que par ses mots, Sir William est devenu l’homme fort du milieu de terrain portugais.
Avant l’Euro, il l’observait. Et depuis son siège, il voyait les autres. ils étaient plusieurs, à tenter de la séduire en exhibant leurs qualités. Alors que lui, il fait plus dans la discrétion : il pose son pied sur le parquet et équilibre la scène. À chaque soirée, il retrouvait la même place, celle où il peut contempler l’ensemble de la pièce. Mais surtout, il retrouvait la même fille. Il en était tombé amoureux dès la première rencontre. Et calmement, il a pris le temps de la connaître. Parfois, il passait ces quatre-vingt-dix minutes à analyser sa gestuelle, sa manière de se comporter en public et de réagir à la pression. Parfois, après un temps d’observation, il tentait sa chance, ne ratait pas une minute pour mettre son attitude, ses atouts physiques et son intelligence au service de la fille. Au bout de nombreux rencarts européens avec la belle, elle semblait conquise. Une contre-attaque à l’histoire coloniale du Portugal, lui l’enfant d’Angola.
Robot intimidé
Aujourd’hui, à la Coupe du monde, ils se présentent bague au doigt, main dans la main. La belle c’est la sélection portugaise. Les autres ce sont les pieds de velours d’André Gomes, le puissant Danilo, l’explosif Renato Sanches et la grinta d’Adrien Silva. Lui, c’est le concept William Carvalho. Et s’ils ne se quittent plus, c’est qu’aux côtés de William, la sélection portugaise a appris à être sûre d’elle. Car dans les années 2000, à Alcochete, le centre de formation du Sporting Portugal, l’histoire récente de la Selecção das Quinas s’est écrit en sortant les quelques ailiers Luís Figo, Nani, Quaresma et Cristiano Ronaldo, mais aussi en la conception d’un manuel de 6 avec William Carvalho, colosse physique et tactique.
Le projet se cache derrière un corps d’1m87 qui domine dans les airs, une carrure indomptable qui traine 85 kilos et une moustache aiguisée. Les éducateurs inculquent à leur solide milieu défensif,, omniprésent à la récupération, des caractéristiques de conservation de balle et de jeu dans les petits espaces. Et créent une bête. Au Sporting, le bébé de la maison est sensationnel. En sélection, aux côtés de João Moutinho, il navigue, prend le jeu à son compte, mène les siens et la sienne vers l’avant, comme un meneur de jeu reculé. Et semblable à un robot, William ne perd jamais un ballon, ne se laisse jamais intimider par une mauvaise passe d’un coéquipier, ni par quelconque pressing adverse. Tout là-haut, positionné dans le tourbillon du milieu, là où la pensée n’a pourtant pas le temps, il éclaire la construction en lui donnant une direction. Depuis le jour où Fernando Santos a accepté que William demande la main de sa Selecção, il en est devenu le phare.
Leader timide
Sur le terrain, elle a trouvé son guide. Quand ses équipiers défensifs, Pepe et Fonte dessinent dans l’air un rond avec les mains pour signifier à l’arbitre qu’ils ont joué la balle, que Quaresma dessine ses courbes de l’extérieur du pied, et que les autres de devant dessinent un rectangle pour demander la VAR après un contact, William est capable de dessiner toutes les géométries du milieu de terrain. Celle avec la balle d’une part. L’accélération dans l’axe et la création de décalages. Le coup de tête sur un dégagement adverse. La combinaison avec Moutinho pour ressortir de la pression adverse. La fixation d’un côté avant un renversement de l’autre. La récupération avec ses longs compas. La passe aux latéraux dans un temps d’organisation. Le lancement en profondeur des ailiers, au sol ou en l’air depuis l’axe. Le jeu long sur un pivot offensif en sautant les étapes. Et rarement, la frappe lointaine. D’autre part, celle sans ballon. La discipline dans ses replacements défensifs. L’occupation de l’espace libre. La capacité d’agresser le ballon dans le dos des receveurs. Manette en mains, plus qu’un « pur 6 », il est la plaque tournante de l’organisation portugaise.
Il y a deux ans, la Selecção est arrivée sur le toit de l’Europe et soulevait le trophée Henri Delaunay avec une seconde ligne modifiée à chaque rencontre. À l’exception d’un élément : William, le cerveau de l’équipe. Qu’est-ce qu’un orchestre sans son chef ? Car si le bal portugais est un spectacle collectif, c’est qu’entre les lignes William Carvalho dirige ses coéquipiers de même qu’un joueur d’échecs dirige ses pièces. « Je suis une boussole, je cherche toujours à faciliter les choses. Si je dis que l’équipe doit jouer à droite, elle va à droite. Si je dis qu’elle doit jouer à gauche, elle joue à gauche. Je contrôle le rythme du jeu. », racontait-il à EFE España. « En football, il y a ceux qui savent et ceux qui font. Les entraîneurs sont ceux qui savent, et les joueurs sont ceux qui font. Les transmissions mettent un peu de temps. Pas au Barça où certains joueurs, en plus de faire, savent déjà… », affirmait Denoueix. Carvalho est de ceux-là. Un entraîneur sur le terrain, un relais entre le banc et le jeu.
De plus, son jeu fait d’intervention sereine et de distribution calme, en font un vrai leader silencieux. Peu médiatisé, très taiseux sur et hors du terrain, il est devenu le gardien de l’entre-jeu portugais par son intelligence footballistique. Le jeu viril, le duel aérien, il connaît. Mais sur l’échiquier, sa capacité à surprendre les adversaires se fait par sa science tactique et sa malice. Puis, lorsqu’il a récupéré la balle en faisant sentir sa présence qu’au dernier moment, il laisse parler sa sagesse dans la distribution, comme un métronome, à la manière d’un Sergio Busquets : passes courtes et précises ou la magie d’une superbe passe en profondeur. Quand les n°14 espagnols, Guti et Trigueros surprennent par leurs capacités à alterner dans la création du jeu, William est du style à réduire ses adversaires à l’impuissance la plus totale sans dégager de fantaisie, ni sur sa figure, ni dans sa partition. Uniquement de la confiance. Et les émotions ? Seulement, dans ses posts d’après-matchs sur Instagram avec ses chiens Paco et Boris. Un monstre en mission.
De l’influence de William
Dans l’inamovible schéma de Fernando Santos, la paire Moutinho-William est une constante. Carvalho est le premier relanceur, capable de casser et sauter les lignes par la passe, comme par la projection (188 passes en 3 matchs, 86% de réussite). À ses côtés, João Moutinho superbe relayeur se mue en récupérateur. Au départ, les sceptiques étaient au rendez-vous pour remettre en cause sa paresse et lenteur, pourtant aucun de ces coéquipiers n’a touché plus de ballons que lui et aucun de ces coéquipiers n’a couru davantage que lui dans la phase de groupe.
Pendant cette phase, certainement le meilleur moment de la Coupe du monde, William s’est encore montré le plus efficace. Face à l’Espagne, le Maroc et l’Iran, il a éclairé la manœuvre : 63 passes par match en moyenne, leader portugais. Le 15 juin, dans une rencontre entre le Portugal et l’Espagne, symbole de deux philosophies de jeu : la transition et le toque, il a nagé au milieu des vagues comme un poisson dans l’eau en étant le gestionnaire des contre-attaques et le point d’appui des jeux en triangle dans la recherche du troisième homme. Avant d’être le seul en fin de rencontre à sortir la tête de l’eau face à la possession absolue des espagnols.
Car si le capitaine Cristiano Ronaldo, le nouveau Maestro Bruno Fernandes, les ailiers Gonçalo Guedes et Bernardo Silva courent autant, c’est parce qu’ils sont bien lancés. Et ça n’étonne plus personne, avec William en tant que distributeur, les transitions offensives portugaises deviennent meurtrières. Quelques jours plus tard, contre l’Iran, le plan de jeu portugais s’est heurté à un problème. S’il s’est montré au-dessus du monde face à l’Espagne et le Maroc, le marquage strict et individuel de la première période des Iraniens a été l’occasion de voir un William totalement déconnecté du jeu et donc des portugais désordonnés dans l’organisation. À l’aube des huitièmes de finales, le Portugal a atteint le seuil des dix-sept matchs sans défaite en compétition internationale, mais en l’absence éphémère de son n°14, la Seleção n’a pas réussi à contrôler le jeu et s’est mise à tourner en rond. Haute et forte, elle devient fébrile quand la parole de son maître est écrouée. Suffisant pour la rendre muette ?