À quelques jours de son premier Mondial, Julen Lopetegui, le sélectionneur de 51 ans, s’est livré à El País. Après un peu moins de deux ans à la tête de la sélection espagnole et vingt matchs sans défaite, le futur entraîneur du Real Madrid analyse le jeu de sa Roja et dévoile sa maxime : le talent individuel au service du collectif.
El País : Dans le match de qualification pour la Russie face à l’Italie au Bernabéu, étaient alignés huit de ceux qui sont tombés face au même rival durant l’Euro 2016. À votre prise de fonction, il a été proposé de changer peu de choses ?
Julen Lopetegui : Nous cherchions une évolution, pas une révolution. Surtout parce que nous nous trouvons avec une équipe en très bonne santé. Dans le football, quand on gagne, tout n’est pas parfait, et quand on ne gagne pas, tout ne va pas mal. Évoluer n’implique pas le changement de joueurs, mais implique de trouver des réponses collectives à tous les moments du jeu. C’est cela que nous essayons de renforcer en respectant les vertus de chaque joueur qui sont celles qui prévalent dans le football espagnol.
Où avez-vous voulu que l’équipe évolue ?
J.L. : Je voulais que ce soit une équipe plus complète, avec les meilleures réponses collectives possibles en attaquant et en défendant.
La Roja a-t-elle déjà atteint le point de l’évolution qu’elle voulait ?
J.L. : Les joueurs ont démontré une grande ambition en faveur du collectif. Nous l’avons apprécié et exigé à la fois.
Avec vous, David Silva, Thiago, Rodrigo, Iniesta, Isco ont joué en même temps… Beaucoup de joueurs dans le même espace et, cependant, la sélection évolue avec un grand naturel. Comment cela s’obtient-il ?
J.L. : Les joueurs ont entendu que le fait d’avoir un certain nombre de situations n’exempte pas d’un certain nombre de responsabilités. Et je ne me rapporte pas seulement aux moments dans lesquels nous n’avons pas la balle. Il faut aussi jouer rapide, à deux touches, avoir une amplitude permanente et que les joueurs glissent vers l’intérieur. Cette mobilité, ce dynamisme des joueurs, je crois que ça nous a fait bien jouer. Mais tout cela avec un objectif clair : le but. Parfois nous avons plus d’espaces pour attaquer et devons offrir différentes réponses et parfois, on se replie plus derrière et devons travailler l’espace.
Ramos, Silva et Iniesta sont les seuls qui sont présents dans tous les grands rendez-vous depuis 2008. Ont-ils été surpris par votre nomination ? Ne vous ont-ils pas regardé avec scepticisme, comme un entraîneur qui n’est pas réputé ?
J.L. : Non. J’espérais que leur réaction fut celle qui a été. Les joueurs cherchent toujours des réponses, des solutions et des arguments. Nous essayons de les leur donner et, à partir de là, la relation a été très bonne. Une relation honnête, claire, concise et professionnelle.
Et votre relation avec vous-même après avoir été nommé comme sélectionneur national ?
J.L. : L’exigence d’entraîner la sélection espagnole t’oblige à être conscient de la responsabilité que tu as, non seulement devant les propres joueurs, mais devant les médias et devant la société.
Depuis que vous avez été nommé, vous donnez la sensation de vous sentir très responsabilisé, presque obsédé de vous montrer à la hauteur.
J.L. : Plus qu’être obsédé, je rêve. C’est ma manière de sentir cette profession. Je ne serais pas différent si j’étais dans un club.
Préparer un Mondial n’est pas la même chose que cibler le Mondial sub-21. Redoutez-vous la longue cohabitation de ce groupe d’élite ?
J.L. : Non. Les choses me préoccupent quand elles arrivent. Nous essayons de nous occuper de ce que nous avons à faire : qui est de préparer l’équipe à ce premier match le 15 de ce mois contre le Portugal. C’est cela qui nous préoccupe, pas la cohabitation.
Qu’est-ce qui vous prend le plus de temps, entraîner l’attaque ou la défense ?
J.L. : Tout. Tu penses à comment mieux attaquer, à comment mieux défendre, à comment mieux manier les matchs. Donner des réponses collectives aux problèmes que le jeu génère est l’essence de ce travail. Pour cela nous dédions beaucoup de temps au visionnement de rencontres.
Quelle facette tactique vous a-t-elle semblé la plus complexe ?
J.L. : Nous sommes une équipe qui tente de posséder le ballon. Mais on ne peut pas toujours l’avoir et il faut savoir vivre dans ces moments. Alors, il faut agir en équipe. Quand nous l’avons, nous avons comme objectif prioritaire de faire mal à l’adversaire, et quand nous ne l’avons pas, nous devons chercher à le récupérer le plus rapidement possible. Pour vivre avec la typologie du joueur que nous avons, il faut être ambitieux et capable de récupérer la balle dans le camp adverse à sa perte. Si nous sommes bien placés nous aurons plus de possibilités de réussite à le retrouver dans nos pieds. Et c’est ce que j’ai essayé de faire : ajuster quatre petites choses qui font partie de l’ordre naturel des joueurs que nous possédons.
Parfois, l’équipe donne la sensation qu’après avoir pris l’avantage au score, elle continue de vouloir la balle mais en se situant quelques mètres plus bas et on ne voit pas les joueurs aussi confortables.
J.L. : Nous ne cherchons pas que le rival nous domine. Nous ne sommes pas non plus une équipe qui possède comme caractéristique la vitesse dans les transitions. Mais j’insiste : une équipe qui aspire à être complète ne doit dévaloriser aucun moment du jeu.
Elle donne la sensation de ce qui est le moins définitif, comme le poste de n°9. Savez-vous clairement ce que vous voulez ou allons-nous assister à une rotation permanente entre Rodrigo, Iago Aspas et Diego Costa ?
J.L. : Ce sont des profils différents. Nous devons avoir différentes réponses à ce poste en fonction de l’adversaire. Parfois, vous comprenez qu’il est préférable d’avoir un point d’appui devant, et d’autres fois non.
Face à quel adversaire est-il préférable d’avoir une référence claire devant ?
J.L. : Je ne serais pas absolu là-dessus. Au-dessus de tout, si tu joues avec des neuf en théorie classique ou non, le plus important est que le reste des joueurs l’intègre à l’équipe collectivement, avec et sans ballon. Le cas échéant, aussi nous pourrions jouer avec deux joueurs spécifiques d’attaque.
N’avez-vous pas remarqué que l’attaquant espagnol s’adapte mieux au n°9 pas si classique ?
J.L. : Il y a des exemples qui démontrent clairement qu’avec un n°9 appelé classique ou de surface, l’équipe peut fonctionner. Et aussi quand, sans aucun joueur de surface, tu cherches à y arriver à plusieurs. Tous ont leurs avantages et leurs défauts. Mais bien au-dessus de ça, il y a ce que l’équipe me donne.
Mais la conduite de l’équipe change en vertu du n°9.
J.L. : Ce sont des nuances. Nous sommes une équipe qui a pour but d’arriver en surnombre dans la surface rivale. Une autre chose consiste en ce que nous obtenons. Les étiquettes ne me plaisent pas, comme la couverture du « neuf classique ». Le football est très mouvant. Maintenant, on exige à chaque joueur de dominer beaucoup d’aspects du jeu. Avant, c’était différent : un peu plus primitif. Cette spécificité contraste avec les joueurs modernes, qui ont une implication plus directe dans beaucoup d’aspects et une plus large connaissance du jeu collectif dans toutes les zones du terrain.
Busquets, capital pour tous les entraîneurs, est le joueur le plus singulier du groupe parce qu’il n’a pas de relève claire. Cela vous inquiète ?
J.L. : Busquets a été et est déterminant en club comme en sélection nationale. Sans aucun doute. Mais il n’y a pas deux joueurs semblables. Je crois que sa grande qualité, en dehors d’être un très bon joueur, c’est qu’il est un authentique passionné de sa profession.
Depuis la retraite internationale de Xabi Alonso au Brésil en 2014, l’équipe a présenté de nouveaux cavaliers à Busquets. Koke, Thiago, Saúl, Illarramendi…
J.L. : Le plus important est que l’équipe puisse survivre et vivre avec beaucoup de naturel et de solidité aux absences de joueurs très importants. Cela renforce l’importance du groupe.
Comment le vivez-vous de faire partie des favoris ?
J.L. : Je n’affronterai pas une personne qui est illusionnée. Si l’équipe a généré cette espérance, bienvenue soit-elle. Les grandes sélections gagnent cette illusion. À partir de là, elle te donne quelque chose cette illusion ? C’est de l’ordre de l’intangible. Ce que nous faisons dans ce Mondial dépendra de la réponse que nous donnerons sur le terrain. Nous y allons avec un billet valable pour trois matchs et le reste nous avons à le gagner.
Si vous preniez une bière avec des amis, vous leur diriez que l’Espagne est favorite …
J.L. : Je le ferais sûrement. Mais maintenant je ne prends pas de bière !