La qualité technique des joueurs des Balkans ne date pas de 2018. Les terres de la péninsule ont engendré d’innombrables talents bien avant les Modric, Rakitic et autre Matic. Dans les années 60, croates, serbes, monténégrins, bosniaques, slovènes et macédoniens formèrent une équipe de Yougoslavie redoutable. Parmi eux, le Serbe Milan Galic capitaine mythique du onze Palvi. Ce petit gabarit fut l’un des principaux artisans des grandes heures de la sélection balkanique. De son enfance déchirée, Milan aura fait sa force. Avec, en ligne de mire, les performances de Stepjan Bobek, le plus grand joueur yougoslave de l’histoire. Rien d’étonnant pour quelqu’un dont le prénom vient du latin « aemulus », celui qui cherche à égaler, à surpasser…
La Mannschaft à la renverse
Coupe du monde 1962. Santiago du Chili. Après un match d’ouverture manqué contre l’URSS puis deux succès contre l’Uruguay et la Colombie, le onze yougoslave hérite de l’Allemagne de l’Ouest en quarts de finale. Ce choc s’annonce haletant. La Mannschaft n’a encaissé qu’un seul but lors des phases de poule et surtout, elle est toujours invaincue dans la compétition.
Les premières occasions sont à mettre au crédit de l’équipe balkanique. Les Yougoslaves gagnent la bataille du milieu de terrain mais dans les trente derniers mètres, leur tendance à écarter le jeu pour centrer est une aubaine pour les grands gabarits de la défense germanique. En deuxième mi-temps, le match s’équilibre et les Allemands sollicitent davantage le portier yougoslave. Le temps s’égrène et le score est toujours vierge. Les deux équipes se dirigent alors inexorablement vers les prolongations. Soudain, Galic reçoit le ballon sur l’aile droite. Il mystifie Karl Schnellinger d’un petit pont. Le meilleur défenseur de l’époque tombe sur les fesses, Milan Galic continue sa course. Et là, plutôt que d’adresser un centre aérien, le génie serbe place un centre en retrait. La défense allemande est prise à revers. Son coéquipier Petar Radakovic a suivi et allume la mèche. Le ballon part en pleine lucarne. Dans la clameur de Santiago, la Yougoslavie vient de crucifier la Mannschaft. Direction le dernier carré de la compétition ! Si Radakovic est le héros d’un jour, son capitaine est habitué à jouer le rôle d’homme providentiel.
L’enfant seul
Né en 1938 dans la petite ville de Bosanko Grahovo, Milan Galic est le benjamin d’une fratrie de quatre enfants. Drôle d’histoire que celle d’Ilija, le paternel de la famille Galic. Au début du siècle, comme de nombreux slaves, il émigre vers les États-Unis. Puis en 1917, il prend le navire en sens inverse pour aller combattre en Europe comme volontaire dans l’armée de l’oncle Sam. Après la guerre, Ilija tourne la page américaine et s’installe en Yougoslavie. Il rencontre sa femme, Sofia. L’histoire est belle… Mais alors que Milan est dans le ventre de sa mère, la santé d’Ilija se dégrade rapidement. Il décède six mois avant la naissance de son fils. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la famille quitte le Nord du pays pour se réfugier à l’Ouest près de la ville de Dvrar. Le répit est de courte durée. En 1941, le régime fasciste des Oustachis accède au pouvoir. Son armée traque sans répit les orthodoxes et les juifs. L’historien Keith Lowe écrira à propos des Oustachis : «Ils formaient l’un des régimes les moins fréquentables du continent : pendant le conflit, ils se livrèrent à un nettoyage ethnique et religieux à une échelle que seuls les nazis eux-mêmes surpassèrent. »
Les deux aînés de la famille, Djordje et Maria décident alors d’entrer en résistance aux côtés des partisans. Milan et Bogdan, les deux plus jeunes, restent avec leur mère. La famille vit dans la peur. Un triste jour de l’année 1944, Sofia laisse ses enfants pour aller travailler. Ils ne reverront jamais leur mère vivante. Dans ce théâtre de désolations, les deux marmots survivent grâce au petit pécule que Bogdan se constitue en gardant des moutons. La libération du territoire yougoslave en mai 1945 ne signifie nullement la fin des ennuis pour Milan et Bogdan. Les deux frères sont séparés puis bringuebalés d’orphelinats en orphelinats. Milan est d’abord envoyé à Novi Bečej, puis à Novi Sad, Kanjiža Mol, Titel… Bien que déraciné, l’enfant s’accroche… Son sérieux est souligné par ses professeurs. Mais plus encore que ses livres scolaires, c’est le foot qui le transporte et le fait vibrer. En bataillant dans la surface pour pousser le cuir au fond des filets, le jeune homme trouve un semblant de quiétude. Lors des cours de sport, il épate par sa pointe de vitesse. Son coup de rein fait des dégâts, déjà ! 1949 sonne la fin du périple lancinant de foyers en foyers. Milan goûte enfin à la stabilité à Zrenjanin, une petite bourgade du nord de la Yougoslavie.
Dans les pas de Bobek
Trois ans plus tard, Galic rejoint le club de la ville. Fini les terrains étroits de l’orphelinat, place au jeu, au vrai. Galic voit les choses en grand. But après but, il se forge une solide réputation. Les soirs dans son dortoir, l’enfant devenu ado échafaude un plan de carrière. Entre rêves insensés et détermination d’enfant blessé, Milan se voit en coéquipier de Stepjan Bobek, le monument du Partizan de Belgrade. Son talent fera le reste. En 1959, il est repéré par le club de Belgrade. Les deux joueurs évolueront ensemble une saison avant que Bobek ne raccroche les crampons. Dès lors, Galic marchera dans les pas de son glorieux modèle. Au Partizan mais aussi en sélection. Au point de presque l’égaler…
Tout s’enchaîne très vite pour Galic. Dès le mois de mai 1959, il est appelé pour représenter son pays. Premier match et premier but après seulement vingt-sept secondes de jeu ! La Yougoslavie s’impose 2-0 contre la Bulgarie. Ce match fait partie des éliminatoires pour l’Euro qui s’ouvre en France le 6 juillet 1960. Seules quatre équipes sont qualifiées pour la phase finale de ce premier championnat d’Europe des nations. Parmi elles, la France et la Yougoslavie qui se rencontrent à Paris pour la première demi-finale. Côté coulisse, le onze tricolore a troqué sa tunique bleue pour une tunique rouge afin de se distinguer des joueurs Palvi. Côté terrain, comme à son habitude Galic ne perd pas de temps et dès la onzième minute, sa superbe frappe des 25 mètres laisse pantois Georges Lamia le gardien français. Mais la France renverse rapidement la situation et mène 4-2 à l’orée du dernier quart d’heure. Dans un Parc des Princes acquis à leur cause, rien ne semble pouvoir perturber les hommes d’Albert Batteux. Et pourtant, en l’espace de quatre minutes, la Yougoslavie va inscrire trois buts ! 4-5, score final. Le rêve vire au cauchemar et la France reste sur le quai de son Euro ! En finale, la Yougoslavie rencontre l’URSS. De nouveau, Galic ouvre le score …de la tête cette fois. Mais l’URSS égalise et en prolongation le duel entre peuples slaves tourne à l’avantage du grand frère soviétique. Lors de ce match, les attaquants yougoslaves se cassèrent les dents sur Lev Yachine, le légendaire gardien russe.
A la conquête de l’Olympe
Pas le temps de ressasser la défaite : moins de deux mois plus tard, Milan Galic reçoit le brassard de capitaine pour les Jeux Olympiques qui s’ouvrent à Rome. Il n’a que 22 ans ! Première de son groupe, la Yougoslavie s’offre une demi-finale de prestige contre le pays hôte, l’Italie. Le match est très fermé et s’éternise dans la nuit napolitaine. Direction les prolongations. Finalement, Galic ouvre le score à la 107ème minute de jeu. L’Italie ne s’en laisse pas compter et égalise deux minutes plus tard. Règlement d’un autre temps, les deux équipes furent départagées par un tirage au sort. Et les dieux de l’Olympe choisirent la Yougoslavie ! En finale c’est le Danemark qui se présente face à la Yougoslavie. Moins d’une minute, c’est le temps qu’il faut à Galic pour montrer la voie à ses coéquipiers. Son douzième but lors de ces dix derniers matchs sous le maillot Palvi ! Mais le joueur a le sang chaud et trente minutes plus tard il est exclu par l’arbitre pour contestation. Qu’importe, ses coéquipiers parachèvent le succès, la Yougoslavie s’impose trois buts à un et s’offre son premier titre international.
Outre cette médaille d’or, Galic sera le principal artisan de la quatrième place des siens lors du mondial chilien de 1962. Se referme alors la parenthèse dorée de l’histoire de la sélection yougoslave. Elle ne se qualifiera ni pour l’Euro 1964 ni pour le Mondial 1966.
Malgré quelques coups d’éclats, dont une finale lors de l’Euro 1968, la formation balkanique restera confinée dans l’antichambre des meilleures nations du ballon rond. La carrière internationale de Galic prend fin en 1966. Date à laquelle il quitte aussi le Partizan de Belgrade pour faire trembler les filets du championnat belge avec le Standard de Liège. Galic terminera sa carrière du côté du Stade de Reims en 1973. Deuxième meilleur buteur de l’histoire de la sélection yougoslave avec 37 buts, Galic est devancé d’une petite unité par Bobek. Et si l’élève n’avait pas osé égaler le maître ?