Depuis l’inauguration officielle en date du 8 septembre 2011, la Juventus a été la première équipe de Serie A à être propriétaire de l’enceinte sportive dans laquelle elle évolue. Le stade a été conçu dans la logique des nouveaux écrins modernes multifonctionnels, avec comme objectifs la maximisation des recettes liées à la billetterie (« matchday revenues ») et la diversification des activités liées à l’infrastructure par sa capacité à attirer des visiteurs et clients tous les jours de l’année.
Aussi, nous avons cherché à comprendre l’impact dans le présent – et le futur – du Juventus Stadium sur le bilan de la Juventus. En plus de chercher à comprendre dans quelle mesure cet investissement pourrait servir aux autres équipes italiennes en vue d’optimiser leurs propres résultats, afin de se détacher progressivement d’une source de revenus quasi-unique – les droits TV – en plus de s’adapter aux nouvelles normes, notamment concernant le fair-play financier.
L’évaluation d’un investissement est une opération assez complexe si l’on s’attache à respecter la terminologie du mot. L’objectif est donc de vous donner les outils afin d’appréhender au mieux les ébauches de concepts qui seront abordés ici.
Lorsqu’un plan d’affaire est constitué, beaucoup d’éléments doivent être pris en considération. Au final, le critère décisionnel permettant de dire si oui ou non le projet est intéressant et s’il vaut la peine d’investir, c’est la production de richesse qu’il va engendrer (aussi appelé Excess Cash Flow en Anglais). Pour faire simple et résumer l’idée, combien chaque année après avoir payé tous les frais relatifs à l’investissement (hausse de certaines charges, capital à rembourser, intérêts, etc.), va-t-il me rester en excédent. Prenons un exemple concret.
Comprendre les enjeux
Vous êtes un employé avec un revenu de 1 500€ par mois vous garantissant un train de vie somme toute normal avec votre femme. Vous êtes locataire de votre bien immobilier (le cas de la Juventus avec le Stadio Olimpico, précédant le Juventus Stadium) qui vous coute mensuellement 500€. Chaque mois, vous payez votre loyer, votre nourriture, vos diverses charges, vos vacances à venir, il vous reste alors 50€ non utilisé: cette somme représente votre Excess Cach Flow ou flux de trésorerie excédentaire. Que vous pouvez décider d’utiliser pour acheter quelque chose de nouveau (des nouveaux joueurs dans le cas d’un club de foot), mais que vous pouvez également placer en vue de dépenses futures.
Un jour, on vous propose de changer de travail. Vous gagnerez alors un salaire de 3 000€ par mois (correspondant à la hausse future de la billetterie du Juventus Stadium), en plus d’une carrière très intéressante. Vous acceptez et, profitant de l’augmentation de votre salaire, vous décidez d’acheter un bien immobilier d’une plus grande valeur (la construction du Juventus Stadium). Cette nouvelle vie vous impose comme contrainte de porter costume et cravate tous les jours, en plus d’entraîner d’autres petits frais inhérents à votre nouveau mode de vie plus coûteux (les coûts de gestion relatifs à la construction de la nouvelle enceinte sportive turinoise).
La question est alors de savoir si: la différence entre le nouveau salaire perçu (du simple au double), une fois qu’on lui soustrait tous les frais que vous n’aviez pas par le passé (vie sociale plus chère, train de vie nouveau, la construction de votre maison etc.), vous permet de placer plus ou moins que les 50€ mis de côté à la fin du mois avec votre précédant emploi ? Application.
L’impact du JS sur les recettes de la Juventus
Lors de sa première année de fonctionnement (saison 2011-2012) le nouveau stade turinois a apporté au club une hausse de ses recettes de 23,5 millions d’euros, avec un résultat net final d’environ + 9 millions par rapport à l’année précédente. Situation résumée par le graphique ci-dessous (partie droite).
Le graphique ci-dessous représente lui les principaux effets de la hausse des revenus des matchs entre 2010-2011 (où la Juventus était locatrice du Stadio Olimpico) soit 11,6 millions, et la moyenne des saisons 2011-2012 et 2012-2013 où les recettes du club se sont chiffrées à 35,5 millions d’euros.
Cette augmentation se décompose en bleu comme ceci :
– 33% proviennent de l’augmentation du nombre de sièges (effetto quantità)
– 40% d’une augmentation du coût moyen des abonnements et des places (effeto valore)
– 27% de l’augmentation de toute l’offre touchant aux places VIP (effeto servizi premium)
Revenu moyen par match
Pour être encore plus précis, le chiffre d’affaires moyen par match entre la vente de billets et les abonnements (ricavo medio per gara) a doublé, passant de 0,74 millions d’euros en 2009-2010 a 1,45 millions d’euros en 2012-2013 (+97%).
L’impact à venir du Juventus Stadium sur le bilan de la Juventus
La réalisation du Juventus Stadium a conféré au club un avantage concurrentiel que jamais le Delle Alpi ou l’Olimpico, deux des anciens stades du club, n’auraient pu permettre. En fait cet avantage permet au club une capacité accrue d’investissement dans le cœur de métier de son activité (l’achat de joueurs) en plus de rentrer dans les paramètres du fameux fair-play financier.
Deux faits sont importants. Le Juventus Stadium produit une moyenne de 45,8 millions de recettes annuelles, soit une contribution au résultat d’exercice d’environ 27 millions d’euros (avant impôts).
En comparaison de l’époque où la Juventus louait son enceinte, le Juventus Stadium génère près de 23 millions d’euros de flux de trésorerie (Free Cash Flow) dont environ 6,5 millions de charges (remboursement du capital et des intérêts de l’investissement) doivent être pour l’heure soustrait. L’investissement garantit ainsi au final 16,5 millions d’euros nets à l’année (Excess Cash Flow) qui pourront être destinés aux investissements futurs, comme l’achat de joueurs par exemple.
La capacité d’un stade à produire des revenus dépend de trois variables majeures :
– Le nombre de parties jouées
– Le taux de remplissage du stade
– Le revenu moyen par spectateur
Lorsque tant de variables sont en jeu, il est important d’effectuer une analyse évolutive ou dite de sensibilité. Chacune de ces variables pouvant avoir un impact décisif sur le résultat final.
Deux questions se posent ainsi :
– Que se passe-t-il si la Juventus voit varier le taux de remplissage de son stade ?
– Quel scénario selon le nombre de parties jouées au Juventus Stadium au cours de la saison ?
Trois indicateurs sont retenus : le chiffre d’affaires (en bleu sur le graphique suivant), le résultat (en rouge) et le flux de trésorerie excédentaire (en vert).
En ouverture de cette étude, nous avons comparé l’impact du Juventus Stadium par rapport à la situation antérieure (Stade Olympique). Nous avions alors vu que le club était gagnant en termes de chiffre d’affaires et de résultat, mais que le différentiel en flux net de trésorerie était lui somme toute plus faible que ce à quoi nous nous attendions.
Résumons graphiquement la situation. Pour le Juventus Stadium, nous utiliserons trois scénarios :
– « Worst » (pire) situation, dans laquelle seulement 19 parties de championnat seront jouées à domicile, et où une baisse de 3 000 spectateurs en moyenne a été enregistré soit un taux de remplissage de 87,5%.
– « Standard », à savoir la situation intermédiaire.
– « Best » (meilleure) situation au cours de laquelle 29 parties sont jouées à domicile avec une moyenne de spectateurs de 40 871 (la capacité d’accueil maximum) avec un taux de remplissage de 99,7%.
De ce graphique, il ressort qu’en termes de chiffre d’affaires, la Juventus est toujours gagnante par rapport à 2010-2011. En revanche, dans le cas du plus mauvais scénario, il apparait un résultat similaire à celui de l’époque du Stadio Olimpico, tandis que le flux de trésorerie diminue de façon très nette.
La peur d’oser ?
Une des critiques faites au club et d’avoir effectué un investissement « peureux » qui, s’il permet d’avoir un impact positif sur le résultat, ne permet pas de comparaison avec ses principaux concurrents européens.
Fondamentalement, la question est de savoir si la conception d’un stade de « seulement » 41 000 places (en comparaison des 60 000 au minimum pour les autres grands clubs européens) n’est pas une erreur causée par un excès de prudence, ce qui pourrait limiter les ambitions de la Juventus au niveau européen notamment.
Aussi, lorsque l’on manie un peu les chiffres, on comprend facilement le différentiel entrevu avec une enceinte de dimension plus importante. Prenons deux hypothèses en vue d’une comparaison par rapport aux chiffres actuels du stade turinois:
– Avec 50 000 places (le JS 50)
– Avec 60 000 places (le JS 60)
Evidemment, ces simulations se font d’une manière uniquement économique et ne prennent pas en compte les éventuelles contraintes de conception et de construction. L’idée est ici d’imaginer la conception d’un stade plus grand comme tout à fait réalisable.
Le chiffre d’affaires (fatturato) apparait en bleu, le résultat en rouge (EBT), l’Excess Cash Flow en vert.
De manière relativement prévisible, l’augmentation de la capacité du stade laisse apparaitre que les résultats en termes de chiffre d’affaires, de bénéfices et de liquidités dégagées auraient été bien meilleurs avec une enceinte plus grande.
Tout n’est pas si simple évidemment. Par exemple, la Juventus avait elle eu une solidité financière suffisante pour obtenir une capacité de financement plus importante que celle obtenue à l’époque ? Rien n’est moins sûr.
Dans l’hypothèse du JS 50, la Juventus aurait dû recourir à un emprunt de 87 millions d’euros, tandis que pour le JS 60, la facture se serait chiffrée à 128 millions, financement sans doute très difficile à obtenir si l’on se base sur les résultats financiers de la Juventus à l’époque.
De même et pour conclure, on peut se demander si un stade de capacité supérieur aurait permis d’atteindre des résultats similaires en termes de taux de remplissage d’une part, mais surtout en termes de billetterie d’autre part. La rareté est aussi un gage de succès. La relative faible contenance du Juventus Stadium a permis au club une hausse du prix des billets et des abonnements, en jouant sur la difficulté d’obtenir un sésame à l’heure où la société est en pleine expansion sportive et où le stade accueille plus de 27 000 abonnés. Il est certain que l’imposante enceinte du Stadio Delle Alpi souvent à moitié vide (malgré plus de 45 000 spectateurs présents en moyenne) a, à ce titre servi d’exemple. La Juventus a sans doute craint de ne pouvoir remplir son nouveau joujou à pleine mesure en visant trop haut. De fait, le club s’est reporté vers un projet plus minimaliste. Une logique compréhensible et pour l’heure couronnée de succès tant celle-ci colle avec un retour au plus haut niveau sur le plan sportif. Nul doute que la situation aurait pu prendre un tournant bien moins agréable si telle n’avait pas était le cas. En définitive et à la lumière de cette étude (applicable à tous les modèles), on comprend aisément la volonté des clubs d’ériger de nouvelles enceintes en dépit parfois de critères plus sentimentaux, comme l’attachement des supporters à un lieu indissociable de leur passion… L’arbitrage est alors à faire – aussi bien pour les dirigeants que les supporters – entre l’attrait du succès à tout prix, et la prise en considération d’idéaux pas forcément conciliables avec l’économie du football. Choix cornélien en somme…
Article réalisé d’après l’excellente et longue étude de TBreport, « L’impatto dello Juventus Stadium sul futuro del club ». Un merci tout particulier à leurs auteurs.