Le 23 novembre dernier, Juan Manuel Lillo accordait une interview au quotidien argentin Clarín. Dans celle-ci, il est question de sa relation avec Pep Guardiola, de son football, de l’amour qu’il voue au football mexicain comme à Jorge Sampaoli, mais aussi de son inquiétude concernant le football argentin. Traduction.
A tout juste 22 ans, Lillo dirigeait déjà l’équipe de sa ville natale, Tolosa dans le Pays Basque, quand il a fait la connaissance de César Luis Menotti. Le contact a été possible grâce à Roberto Lopez Ufarte, ancien attaquant de l’Atlético de Madrid quand El Flaco Menotti en était l’entraîneur (saison 1987-1988). Ils ont parlé ensemble durant sept heures. Et selon Lillo lui-même, ce fut l’expérience la plus enrichissante de sa vie.
Aujourd’hui conseiller pour les formations de jeunes du Chili, Lillo fait un passage éphémère par l’Argentine pour participer au séminaire de Conexión Futbol et une des ses priorités est de dîner avec Menotti. « Je suis un militant de César. Non seulement c’est une référence pour son travail, mais je l’admire parce qu’il ne fait aucun doute qu’il a le cœur sur la main », affirme Lillo avec dévotion. Bien que ce ne soit pas son unique amour dans le monde du football, il y a une symbiose qui, pour beaucoup, fait de lui le meilleur entraîneur de la planète.
Êtes-vous toujours en contact avec Pep Guardiola ?
Guardiola est comme mon fils. Ce lien est toujours là.
Est-ce vrai que vous lui avez enseigné tout ce qu’il sait ?
Nous nous nourrissons tous de tout le monde. Personne n’est le maître de qui que ce soit.
Lillo reste modeste. Pep est resté enchanté par la prestation des hommes de Juanma lorsque Oviedo s’était incliné (4-2) face au Barça en 1996. A tel point qu’après le match Guardiola était allé dans les vestiaires visiteurs et depuis ce jour, les deux hommes ont tissé des liens indestructibles. Ainsi, Pep a rejoint les Dorados de Culiacan afin de pouvoir jouer pour Lillo et afin d’être dirigé par le technicien qui l’avait captivé durant une soirée au stade Carlos Tartiere.
Pensez-vous que Guardiola aurait connu un tel succès sans Messi ?
Je ne sais pas, parce que vous pouvez baser le succès de Pep sur ce qu’il a gagné. Moi, le Barça qui m’a captivé, c’est celui du Barça B. Et il n’y avait pas Messi. C’était des petits enfants sur des terrains de troisième division contre des adversaires qui avaient les dents longues. Et si vous regardez comment l’équipe a joué du début jusqu’à la fin de saison, ils ont dominé tous leurs adversaires et sont montés (en Segunda B lors de la saison 2007-2008, ndlr). Ce qui m’importe de Pep, c’est autre chose. C’est le processus par lequel il passe pour essayer d’obtenir ce qu’il veut, c’est ce qui compte. Après, le ballon va au fond ou pas. Guardiola aurait connu le succès avec ou sans Messi.
Quel regard avez-vous sur la pression qu’il y a sur Messi ?
C’est quelque chose d’indigne pour un être humain. Que ceux qui critiquent Messi sachent que s’il va mal, la Sélection ira mal aussi. Derrière ce numéro « 10 », ce crack, il y a une personne. Donc il faut faire attention à ce qu’on dit. Nous parlons là d’un matériau inflammable. Et les gens ne font pas de distinction, malheureusement.
En Argentine, on fait peu attention à la façon dont vous gagnez.
Pour tout le monde, l’unique chose qui importe, c’est la victoire. C’est pour cela que je ne comprends pas le manque de recherche, parce que cela permet d’augmenter la probabilité d’y arriver. Pour cela, il faut jouer avec les conditions appropriées. Et il ne s’agit pas seulement de jouer depuis une perspective esthétique. Il faut beaucoup plus. Mais la finalité reste de ne pas violer les règles.
Mais de nombreux supporters ici n’analysent pas le jeu. Ils se fient seulement au fait de savoir si la balle est rentrée et si l’équipe gagne.
C’est partout comme ça. Mais moi ça me fait encore plus de peine que ce soit le cas en Argentine. Ça n’a pas toujours été le cas. Il y a des endroits comme par exemple à Independiente où les joueurs pouvaient se faire conspuer en cas de victoire et être applaudis même s’ils ne gagnaient pas, mais simplement parce qu’ils avaient bien joué. Et cela à a voir avec le fait que le football n’est pas une île mais un continent. Et on ne peut pas isoler cela des situations quotidiennes qu’il y a dans cette société obsédée par la réussite. On est prêt à tout pour avoir une meilleure productivité et si c’est dans l’immédiat, c’est encore mieux. Mais cette voie n’est pas rentable.
Vu la conjoncture, il est donc impossible de mettre en place un travail sur le long terme ?
Ça ne touche pas seulement le football. Nous sommes dans une société où la technologie se développe et curieusement, elle nous aide en rien. Elle nous pousse à vivre dans une société de l’immédiateté. Tout doit être consommé dès que ça atterri sur les réseaux sociaux. Les gens se battent pour avoir le plus de followers sur les Twitters (sic)… Ce sont des réseaux antisociaux. Quelque chose où on ne te vois pas, où on ne peut pas te toucher, te sentir. On a modifié la définition du mot « social » dans le dictionnaire ou je ne sais pas ce qu’ils vont encore inventer.
Tata Martino a été très clair : le football argentin a perdu son identité. On passe de Basile à Sabella, de Sabella à Martino. Que se passe-t-il dans notre football ?
Cela n’est pas une situation exclusive à l’Argentine. Un technicien arrive et il n’a rien à voir avec le précédent ni avec le suivant. Cela à un rapport avec le sentiment d’immédiateté et la recherche immédiate du succès. Normalement, les entraîneurs sont appelés pour ce qu’ils ont gagné, pas pour ce qu’ils vont gagner. Et si l’entraîneur gagne, il le fait dans un certain contexte, mais ceux qui gagnent ou perdent vraiment, ce sont les joueurs.
Comment évaluez-vous le travail de Tata à la tête de la sélection ?
Je ne suis personne pour juger Tata. Par contre, je pense que Martino fait appel à des joueurs qui veulent, ensemble, jouer vers l’avant. Et quand il était joueur, il était incroyablement collectif, sa façon de jouer m’enchantait. Et c’est par le choix des joueurs que tu marques le plus ton empreinte. Et en sélection, je te raconte pas.
Ce qui nous amène donc à évoquer le Chili…
A juste titre, parce que Jorge est au-dessus de tout. Je me suis retrouvé avec quelque chose que j’attendais, mais multiplié par dix. Jorge est un type avec un talent merveilleux pour la direction technique. Ce que possède Jorge Sampaoli, on ne le trouve pas en magasin. Ça ne s’achète pas. C’est le talent. On l’a ou on ne l’a pas. Si au lieu d’être entraîneur, il était à la tête d’une multinationale, il connaitrait le même succès. Il pourrait faire ce qu’il veut.
A-t-il révolutionné le football sud-américain ?
Ce qu’est parvenu à faire le Chili lors de la Copa América, la gagner comme ils l’ont fait, c’est extraordinaire. Je vois beaucoup de gens qui me disent que la Universidad de Chile est l’équipe sud-américaine des 15 dernières années qui a laissé la plus grande impression. Et en Europe, on me dit que cette équipe qu’a dirigé Sampaoli et le River d’Aimar et Saviola sont celles qui ont eu le plus d’impact.
Les experts assurent que notre championnat est le plus compétitif du continent.
Le meilleur championnat du monde est le championnat mexicain. Du point de vue du concept du jeu, c’est au-dessus de tous les championnats. Ici tout le monde comprend qu’il faut penser le jeu pour marquer un but de plus et pas le contraire. Et ils savent comment procéder. Ils ont un processus pour y parvenir. Si tu ne proposes rien, ici on ne t’accepte pas. C’est un championnat merveilleux.
Mais ici il est plus difficile de gagner. Les équipes se regroupent et sont très prudentes.
Parce qu’elles savent que le compliment ou le rejet dépend exclusivement du résultat. Dans ce cas, que faites-vous ?
Nous sommes perdus ? On ne peut donc plus espérer voir un football argentin attractif ?
Soyons honnêtes. Avec ce qui se passe en ce moment, entre les balles et la faim dans le monde, ça ne veut pas déjà dire que nous sommes perdus ? Donc ce qu’il se passe dans le football n’est rien de plus qu’une transposition que rien ne compte. Nous sommes très pervers. Et en football, pourquoi en serait-il autrement ?
Excellent article, peu de personnes connaissent la réelle importance de ce monsieur. Le Chili a tout de même vu passer de sacré coach : Bielsa, Pelegrini…