Déjà battu deux fois en trois rencontres depuis la reprise, l’OM marque clairement le pas en 2015. Tout est planifié chez Bielsa, et son emprise sur son groupe est totale. Impossible d’analyser cette baisse de régime sans parler de sa stratégie.
Marcelo Bielsa est incontestablement l’un des entraîneurs les plus intéressants de la planète. Ses idées de jeu sont tranchées et ses équipes reflètent toujours sa personnalité : tenaces, travailleuses et organisées selon un plan très précis, avec et sans le ballon. Gros client au micro, l’Argentin se démarque de ses collègues de Clairefontaine par un sens aiguisé de la formule et une remarquable capacité à analyser le football. Voire même à en produire une véritable philosophie, qu’il dispense laconiquement par des maximes à l’impact ravageur.
Malgré trois accrocs chez ses principaux concurrents au titre, il va sans dire que la première partie de saison de l’OM est une réussite. Pas payés à Lyon, trop timides, et inférieurs individuellement au Parc, et défense intraitable sur le Rocher, les Olympiens n’avaient pas vraiment à rougir des ces trois faux pas. Mais avec déjà deux revers en trois journées, l’OM marque clairement le pas en 2015. Des défaites plus significatives car là, ce sont peut-être plus celles des idées.
Souvent enclin à se remettre en question en conférence de presse, Bielsa n’est-il pas entrain de s’enfermer dans un excès de rigidité ? Les deux derniers déplacements le laissent à penser. Deux fois, le technicien argentin a fait preuve d’un certain entêtement en appliquant à tout prix sa méthode défensive. À Montpellier face au 4-1-3-2 de Courbis, et à Nice, face au 4-2-3-1 de Puel, dans différentes circonstances.
Obstination offensive : trop de jeu long à la Mosson
La logique défensive de Bielsa est toujours la même : il s’adapte, comme suit : un calque de l’équipe adverse et un défenseur libre en plus des marquages. Lorsqu’il affronte un 4-4-2 en losange (4-1-3-2), il pose un 3-3-1-3. Sur le papier, un 3-4-3 en losange comparable à celui du grand Ajax, ou encore Guardiola en 2012. En théorie, l’OM, dans cette configuration, devrait évoluer dans un système proche du 3-6-1/3-1-2-3-1, et donc se payer le luxe d’allier présence dans la surface et au cœur du jeu ; en plus de son habituelle capacité de percussion sur les ailes.
La réalité est plus décevante : les Marseillais ne trouvent pas d’appui au centre du terrain, et on ne voit plus Payet, Thauvin et Michy (Ayew) décrocher au-delà du milieu de terrain adverse pour aider la construction, comme c’était le cas en début de saison. Mendy et Djédjé sont bel et bien des ailiers en phase offensive, et l’organisation de l’OM tourne trop souvent au 3-1-0-6. À la place du « mort » devant la défense, Imbula ne fait plus de miracle avec le ballon.
Le schéma des marquages marseillais face au 4-4-2 losange de Courbis. (DR)
Sur le papier, le 3-3-1-3 fait sens face au 4-4-2 losange en termes d’animation défensive, mais quand Montpellier défend, c’est un 4-4-1-1 à plat qui se dresse face à l’OM. Pourquoi ne pas avoir plus utilisé l’espace devant les milieux pour construire ? À 4 contre 2 en relance, les Marseillais se sont trouvés impuissants à 6 contre 8 dans le camp adverse. Montpellier a contrôlé un jeu long dont les Marseillais ont abusé, sans prendre le temps de préparer leurs actions, et de créer ce nombre dans la projection qui faisait si mal en début de saison. En s’obstinant à jouer de cette façon, les Olympiens se sont privés de beaucoup de possibilités offensives. Au final, l’OM n’a pas vraiment été dangereux à La Mosson.
Bielsa s’est inspiré beaucoup de van Gaal, à quand un cahier des charges offensif calqué sur F. De Boer et Reiziger pour Morel et Romao quand l’OM joue à trois derrière ? En impliquant 4 joueurs dans la relance et 6 dans la construction, l’OM joue en réalité avec 2 libéros. Il paye cet « abus de couverture » au moment d’attaquer.
Là est son vrai problème offensif, quelque soit le nombre « officiel » de défenseurs sur la feuille de match.
Entêtement défensif : un excès d’adaptation ?
Sans le ballon, les Marseillais payent également leur adaptation systématique au schéma de l’adversaire. Sur la séquence ci-dessous, Lasne et Mounier, les deux « relayeurs-ailiers » du 4-1-3-2 de Courbis sont très haut au moment de la relance. Quand El Kaoutari s’apprête à lancer une nouvelle attaque, le MHSC est clairement en 4-2-4. Mais l’OM pense tellement à s’adapter à son adversaire qu’il le suit jusque dans son déséquilibre offensif. La ligne défensive ne remonte pas, alors que Gignac et Thauvin (alors axial) pressent dans le vide devant. Le ballon sera ressorti tranquillement par les Pailladains. Certes, il sera récupéré par Morel à la faveur du défenseur supplémentaire dont Bielsa se dote systématiquement, mais trop bas pour que l’OM puisse être dangereux sur une transition rapide.
Si Imbula (seul vrai milieu à intégrer le top 10 des dribbleurs européens) est souvent seul avec le ballon, il l’est également sans, quand sa défense recule alors que les attaquants pressent vers l’avant.
Avec un ailier percutant et un axial très plongeant, là où l’on trouve habituellement deux véritables relayeurs, capables de donner une vraie consistance au bloc, il était prévisible que l’organisation du MHSC allait parfois tourner au 4-1-5 en phase offensive.
À la vue de ce manque de compacité, Bielsa ne gagnerait-il pas à défendre d’une façon plus « zonale », avec une ligne plus haute, et en se référant plus à la position du ballon qu’à celle des adversaires ? Pour ça, il faudrait les mettre hors-jeu… Donc faire remonter la défense pour être plus compact. Cela pourrait être un moyen efficace de ne plus être en difficulté quand un attaquant adverse dézone, rendant inutile la couverture du libéro. Saint-Maximin avait ouvert cette piste au Vélodrome, Barrios et Carlos Eduardo s’y sont engouffrés.
L’OM a connu les mêmes problèmes contre l’OGCN. Organisés en 4-4-2, les Niçois ont pris le parti d’aller chercher l’OM très haut en début de match. Carlos Eduardo et Pléa ont pressé haut et fort sur Morel et Aloé. Ni Payet – n°10 du 4-2-3-1 – ni les autres joueurs offensifs n’ont offert de solution en décrochant. L’OM n’a ni créé de surnombre derrière (2 contre 2), ni au milieu, en essayant d’isoler Mendy et Hult par ces décrochages qui n’ont jamais été produits.
Preuve que les Marseillais jouent à l’envers en ce moment : Morel préfère balancer précipitamment quand il peut prendre l’espace à La Mosson, et Aloé fait l’inverse à l’Allianz Riviera, alors que les Nicois prennent le risque d’opérer un pressing total sur le bloc marseillais. Inévitablement, les Phocéens payent leur sous-nombre au cœur du jeu, et le décrochage de Carlos Eduardo détruit la chaine des marquages. Comme celui de Barrios une semaine plus tôt.
Et pourquoi pas la zone ?
Posé d’une façon un peu barbare : si l’adversaire joue en 3-1-6, Bielsa jouera-t-il en 7-1-2 ? Pourquoi s’entêter à jouer le 3 contre 2 derrière au lieu de le jouer au milieu de terrain, alors que l’OM a la plus grosse possession de Ligue 1, doublée d’un excellent matériel offensif ?
Avec son surnombre défensif, Bielsa s’offre certaines certitudes au moment de l’intervention finale. Un libéro pour couvrir le 2 contre 2 avec les attaquants peut garantir le contrôle de la profondeur. Mais s’il est possible de tuer dans l’œuf les attaques adverses, n’est-il pas entrain de guérir là où il pourrait prévenir ? Pourquoi toujours penser à ce qui pourrait se passer dans sa propre surface, plutôt qu’essayer de mieux contrôler le centre du terrain grâce à la circulation du ballon ?
On avait déjà vu l’OM subir et contre-attaquer face au 4-2-3-1 stéphanois en septembre. Sans piège du hors-jeu ni pressing en zone, l’OM se condamne à repartir de trop bas pour être dangereux, alors qu’Ayew est à la CAN, et qu’Imbula et Thauvin sont moins décisifs. En se « soumettant » ainsi à l’adversaire et à ses déplacements verticaux, l’OM se prive de la possibilité de lui faire payer son éventuel déséquilibre au milieu. La projection des offensifs adverses fait baisser la ligne de récupération et leur mobilité détruit les marquages. Pourquoi ne pas imposer sa loi en étant plus compact ?
Ce n’est pourtant pas le moment de tout remettre en question. L’OM a sûrement un destin cette année, et il faut se rappeler – par exemple – que l’Atlético avait également flanché au coeur de l’hiver l’an dernier. Mais cette stratégie systématique et rigide est peut-être en train de tutoyer ses limites avec ce mois de janvier compliqué.