La saison 2017-2018 de l’ASNL fut un long voyage dans une obscure brume. Pour l’année de son demi-siècle, elle se montre hostile au contrôle du jeu et le club se sauve d’une potentielle relégation en National lors de la dernière journée. Cette année, elle éclate sans prendre son envol et accouche du plus mauvais début de saison de toute son histoire (6 matchs, 6 défaites, 0 but). Depuis quelques années, Nancy traverse une crise de résultat, marquée par une crise de jeu.
2ème tour de Coupe de la Ligue entre Nancy et Orléans, au Stade Marcel-Picot le 28 août dernier. Nous sommes à la soixante-quinzième minute de jeu lorsque Mons Bassouamina est lancé dans le couloir gauche par Marchetti. Bloqué par Adrien Monfray et condamné par le rapide repli défensif d’Hurtado et Talal, le jeune ailier se déplace entre les jambes adverses et évite les obstacles par deux crochets. Penché vers l’avant, mais mieux balancé que tous, il déséquilibre la défense sans même avoir besoin de lever la tête. Après un furtif coup d’œil, il dégomme Thomas Renault pour son second but de la saison et permet à son équipe de revenir au score. Et ensuite ? L’ASNL de Tholot a fini par céder. Mais surtout, elle n’aura seulement existé que par une solution individuelle.
All-in mystère
Déjà il y a quelques semaines face à Lens, monté à gauche avec des fusées à la place des chevilles, le jeune nancéien s’était régalé d’un terrain ouvert à ses chevauchées et était parvenu à déséquilibrer une défense entière à l’aide d’un crochet. Mais Nancy avait déjà fini par céder (0-3) contre une équipe lensoise clinique. Il lui aura fallu deux corners et un penalty pour faire la différence au marquoir. Et des idées : le contrôle du ballon et du jeu. Tandis qu’à Nancy, les échanges du cuir semblaient rappeler une partie où les différents acteurs se relancent une bombe prête à exploser : la circulation de balle est générique (50% de possession, 348 passes, 63% de passes réussies) et saccadée (13 pertes de balles). Alors qu’Arrigo Sacchi, maître à jouer du grand Milan et référence en organisation collective disait : « Le football est un sport d’équipe, l’intelligence vaut plus que les pieds, il faut prendre des joueurs intelligents avec de la générosité, de la passion et du professionnalisme, c’est ça l’essence qui fait avancer la machine ». Nancy serait comme un mécanisme en surchauffe, inapte à réaliser la tâche de prendre le jeu à son compte.
Car dès qu’elle a fini de courir dans tous les sens et qu’elle a le temps de prendre le ballon, elle ne joue pas plus, ni mieux. Les milieux centraux se placent haut pour faire gagner du terrain à l’équipe ? Décrochent-ils pour créer une supériorité ? Les joueurs fixent un côté et libèrent un homme libre au milieu capable de renverser le jeu ? Rien de tout cela. Seul mouvement : les pieds frileux des milieux Da Cruz et Clément s’approchent de la balle pour combler leur plaisir fondamental de footballeur : sentir le cuir toucher l’intérieur du pied. Mais sans structure de possession, les passes s’enchaînent et aucun déséquilibre ne se crée. Alors quand la balle arrive à l’avant, Koura, Bassi et Bassouamina sont forcés de s’en remettre à une supériorité individuelle. Dans cette situation, l’ASNL se dévoile être la seconde équipe de Ligue 2 à réussir le plus de dribbles (11,8% par match). Et la dernière dans la création d’occasions (2 en moyenne par match). En causerie de mi-temps de ce match face à Lens, Didier Tholot dicte le scénario d’une partie jouée avec des cartes de pique : « Amine (Bassi), cherche moi pas (sic) tout le temps la passe décisive, d’accord ? Va fixer, fixe, donne sur le côté, ou percute et obtiens des coups francs. OK ? (…) Mons (Bassouamina), la profondeur ! ». Une carte joker : « On a la possibilité de centrer, on centre fort devant le but ! ». Et les cartes de cœur ?
L’exode de l’axe
Ce manque de création se révèle fatalement dans l’animation des différents schémas (4-3-3/4-2-3-1) du coach français, dès lors que la phase n’appartient pas aux milieux centraux. Ce sont les défenseurs centraux, les latéraux et deux éclaireurs offensifs qui sont chargés d’élaborer. D’abord, Sega Coulibaly (1), Laurent Abergel (1) et Serge N’Guessan (1,3) créent le plus de passes-clés par match en moyenne et jouent le rôle de meneurs de couloirs : sur son côté droit pour Coulibaly et de manière intermittente face à Bézier pour Abergel puis contre Auxerre concernant N’Guessan. Dans l’axe, où les joueurs s’accumulent sans avoir les conditions de créer, certains chiffres traduisent ce phénomène de crise de jeu : Vincent Marchetti et Amine Bassi tournent autour des 0,5 passe-clé par match. Conséquence : un vide de construction. Sur les quelques phases de préparation, les centraux – rarement pressés – écartent sur le latéral. Rapidement enfermé, celui-ci remet sur son central le plus proche et lance un circuit de possession qui s’allongera jusqu’au latéral opposé, en passant dans les pieds des milieux Jérémy Clément et Danilson Da Cruz. S’il est esseulé, il cherche alors à lancer l’un des offensifs derrière la défense, entre le central et le latéral adverse en sautant l’axe du terrain. En somme, le ballon circule par le centre mais ne fait seulement que passer. L’enjeu des ailes, le (non) jeu du milieu.
Et l’exode de l’axe s’établit également d’une autre manière : le jeu long. Face à Lens, le jeu long a été utilisé par Modou Diagne (5 longs ballons réussis sur 11), Ernest Seka (2 sur 6) et Lois Néry (1 sur 9). Alors que l’ASNL a réalisé 71 longs ballons dans ce match, seul Amine Bassi, après avoir quitté son marquage et être redescendu plus bas que la ligne centrale, est parvenu à offrir des situations par le jeu long. Dans un flot de longues courbes depuis la défense, largement attendues, celles du milieu viennent créer la surprise. Mais qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? À l’autre bout du terrain, les offensifs n’offrent pas du sens à cet usage : Maurice Dalé (52%) et Pape Sané (30%) ont un sombre taux de duels remportés en moyenne. Les grands n°9 se transforment en phare dont la lampe à huile souffre à prendre feu. Ainsi, ils peinent à montrer la direction, les tentatives d’attaques échouent en mer et l’ASNL se perd encore plus dans l’obscurité.
2 ans aux abîmes
L’an passé, elle s’est régalée pendant six mois des longs ballons à la Sergio Ramos de Clément Lenglet et pendant les six suivants de l’explosion – dans l’axe – du créateur Amine Bassi. Cette saison, Nancy n’a que Bassi. Et même esseulé sur l’aile, il reste le seul à savoir lire le jeu dans le brouillard. Face à Châteauroux, en seize minutes, il compte deux tirs (sur les 5 cadrés), plus une frappe alléchante sur l’angle du but. En plus d’avoir centré neufs fois, soit autant que Loris Nery et N’Guessan réunis. La mèche crée le feu de paille. Mais depuis quand l’ASNL n’a-t-elle pas vu la lumière et connu le feu intérieur ?
En fait, la dernière fois que Nancy s’est montrée joueuse c’était en 2016. Quand elle avait pu compter sur un 4-3-3 largement estompé par son milieu Pedretti-Lusamba (ou Walter)-Bennasser. Le départ du dernier à Monaco a laissé l’ASNL orpheline. « J’vais manquer à ma ville comme Aït Bennasser », dirait le rappeur Kikesa. En 2013 aussi, lors d’une naissance créative en janvier, au milieu de la saison, qu’accouche Patrick Gabriel en transformant le 5-4-1 de Jean Fernandez en un 3-4-3 piquant, surtout sur les branches. Aujourd’hui, Tholot pourrait aussi tenter de résoudre l’équation du jeu à son tour. En utilisant des moyens techniques au cœur de son jeu, ce qu’il ne manque pas (Nguiamba, Marchetti…), et en plaçant Bassi en tête haute de son milieu. Dans la « Rouge Mecanique » de Didier Tholot, il est l’élément essentiel de création autour duquel le vaisseau doit se construire. Mais aussi en utilisant la géométrie et en bâtissant une défense à trois centraux. Surtout, il offrirait à ses latéraux, ses meneurs de jeu qui touchent énormément de ballons, du temps et de l’espace : conditions optimales de l’élaboration. Tout en gagnant du contrôle dans l’axe. Alors, elle pourrait accéder à la phase du décollage. Et voler loin.