Les Ultras Montréal 2002, qui célèbrent cette année leurs 20 ans, boycottent le virage depuis plusieurs mois et tentent de vivre loin de leurs tribunes, prenant leur mal en patience. Le 14 janvier 2021, la direction du club de l’Impact de Montréal dévoilait un nouveau logo, de nouvelles couleurs et un nouveau nom, rasant toute évocation de l’identité précédente. La Grinta a rencontré une membre des Ultras Montréal, qui a accepté de revenir sur l’histoire des UM02 malgré le contexte. Retour sur les Ultras Montréal, un groupe ultra en Amérique du Nord qui, par son existence même, va à l’encontre de la culture nord-américaine du divertissement et du show-business.
Les Ultras Montréal 2002 (UM02) connaissent depuis plus d’un an une période trouble. Ils se mobilisent avec les autres groupes de l’Association des supporters de l’Impact de Montréal (ASUP), une association créée en 2012 qui facilite les communications avec le club. Il faut dire que la culture ultra n’est pas forcément banale en Amérique du Nord. Pas évident de réaliser un portrait sur les Ultras Montréal 2002 dans les conditions actuelles. Comme le reconnait cette membre des Ultras Montréal depuis 10 ans (que nous nommerons A.) « c’est douloureux de parler de tout ça (…) ça n’enlève pas tout ce qu’on a eu et vécu avant. Malgré tout, on est loin d’être morts ». Loin s’en faut.
Impact et Ultras Montreal : une histoire qui dure depuis 20 ans
Les Ultras Montréal sont nés en 2002 et supportent l’Impact de Montréal depuis la tribune 132 du stade Saputo (nom du fondateur et propriétaire du club, également détenteur de l’équipe de Bologne en Italie). Ils sont apolitiques et tout ce qui compte, c’est d’être actifs en tribune « On n’a pas de prise de position. Tout le monde, peu importance l’origine, le sexe, la religion, l’allégeance politique, peut venir avec nous, chanter, encourager l’équipe, participer aux activités ».
L’équipe évolue en Major League Soccer (MLS), une ligue regroupant des franchises au Canada et aux Etats-Unis. Les mieux placés joueront contre des pays des Caraïbes ou encore d’Amérique Centrale en CONCACAF, la confédération de football regroupant des équipes de ces 4 zones. Le déplacement le plus proche, c’est 6h30 de route. Une véritable implication en termes de temps et d’argent pour les supporters. Pour « rester indépendant et s’autofinancer », ils créent et vendent leur propre matos en plus d’organiser des barbecues à prix libre au Bar Le Frappé, qui sert aussi de QG pour voir les matchs sans déplacement ou pour ceux qui ne peuvent pas y aller.
L’un de leur meilleurs moments, c’est une victoire 6-0 en 2013 contre Toronto « Tout nous oppose à Toronto. C’est nos ennemis jurés ». Toronto est une ville anglophone quand Montréal est francophone. Grosse différence de culture. Le club de Toronto est représenté dans un tifo par les UM sous la forme d’un clown rouge aux couleurs de Toronto, ressemblant drôlement à Ronald Mc Donald. L’identité des UM, c’est le dragon. Sinon, ils mettent en avant les idoles locales telles que Patrice Bernier « un gars qui a grandi ici à côté de Montréal, qui a joué sa carrière ici, s’y est entrainé… c’est une partie prenante du club. L’Impact n’aurait pas été ce qu’il est sans lui ». Il y a eu aussi Louis Cyr, un haltérophile québécois considéré comme étant l’homme le plus fort du monde, qui a été dévoilé arborant le blason de l’Impact dans le cadre d’un match de la CONCACAF, ou encore Michel Tremblay, auteur montréalais, une des figures d’un tifo pour les 375 ans de la ville. Des figures loin des célébrités qui passèrent par le club tel Thierry Henry, entraineur du club avant le changement du nom, ou Didier Drogba. « Tout le monde peut proposer une idée de tifo. On regarde, on les analyse, les idées retenues on les place dans le calendrier. Des personnes se chargent de la confection. De la planification, de l’achat des matériaux, de trouver le local pour les faire ».
Foot Show Business
Les Ultras sont des « supporters actifs », un profil peu commun en Amérique du Nord, où le divertissement prône. Le spectateur est impliqué dans l’action. « La culture du foot est vraiment mise de côté. Ils essaient d’américaniser le sport et le mettre au même niveau que les autres : le hockey par exemple, qui est extrêmement cher. Ils essaient d’emmener cette espèce de machine à profit dans le foot. Il y a des spectateurs, comme s’ils regardaient un spectacle. On est en opposition avec ça. Beaucoup de gens apprécient ce que nous faisons et nous écrivent parce qu’ils regrettent qu’on ne soit plus là ».
La culture ultra passe moyen en MLS « Évoluer en MLS est difficile, il y a beaucoup de répression. Il faut « techniquement » faire approuver tout ce que nous entrons au stade pour être sûr que le message convienne à la direction et les choses un peu vulgaires ne passent pas ». Le « Fuck Toronto » sur une bannière a été sanctionné. A. explique : « Le niveau de répression a augmenté avec le temps. Le niveau de la ligue. On sait que le club est parfois un peu coincé entre nous et la Ligue. Certaines années l’utilisation des fumigènes et de moyens pyrotechniques divers étaient très très régulière. La Ligue a dit qu’ils (les dirigeants du club, ndlr) n’appliquaient pas des sanctions assez sévères ». Les sanctions peuvent être carrément des interdictions de stade, individuel ou de groupe. « On est les moutons noirs de la ligue. Ça fait longtemps qu’elle aimerait qu’on ne soit plus là pour ne pas questionner leurs actions ! ».
Ça passe mal quand les UM02 s’expriment sur Gilmore, l’ancien président à l’origine du changement de nom, qui a aujourd’hui quitté le club. « On s’est fait chicaner car on avait écrit Gilmore OUT. On s’est fait taper sur les doigts même pour ça ». Elle reconnait : « C’est purement de la censure, c’était pourtant pas grand-chose cela ».
Les critiques semblent de trop dans une Ligue qui aimerait voir de la lumière plus que de la pyrotechnie, de la sono plus que des chants partisans, des gens assis plus que des supporters actifs, debout et agitant les bras. « Ils veulent que ce soit un spectacle. Très axé sur la consommation et le côté familial… Mais les « partisans » (terme que A. utilise pour désigner les supporters qui ne sont pas ultras) tout comme les familles, seraient-ils contents comme cela, dans un stade sans ambiance ? ».
Impact
Le 14 janvier 2021, l’Impact a perdu son nom au profit d’une appellation plus lisse, très généraliste, un peu naze, le « Club de Foot Montréal ». Et un logo qui va avec, avec des flocons. Un changement qui nie l’histoire du club et qui passe très mal auprès des supporters actifs. Pour A. « c’est un nom sans saveur, aseptisé, comme c’est à la mode partout. Un nom qui veut rien dire. »
Malgré pas mal d’efforts, aucun terrain d’entente n’a été trouvé. « Quand la rumeur du changement de nom est sortie, on a commencé à communiquer avec le président pour lui dire à quel point on était attaché au nom et à l’identité de notre équipe. (…) On a même été jusqu’à écrire un communiqué commun qui a été signé par tous les groupes de supporters ».
Après le changement de nom, les groupes de supporters organisent la contestation et continuent d’aller au stade. « On faisait des chants pour l’Impact, des chants contre la Direction, on avait des bannières contre la direction, des manifestations et plusieurs actions. On a fait pas mal d’efforts pour leur parler. Lettre ouverte, lettres adressées au club, communiqué commun. Tout ça est resté lettre morte. Ils n’ont jamais voulu nous parler. La mobilisation s’est intensifiée et ils n’aimaient vraiment pas ça. Ils ont commencé à faire encore plus de répression. Il y a eu une campagne dans les médias… puis ils ont fermé administrativement notre section ». Résultat de cette prise de parole, la tribune entière est fermée administrativement, condamnant les groupes de supporters comme les supporters indépendants, que l’ASUP inclut et défend également.
Les groupes de supporters font alors appel au boycot. « Avant, on voulait aller au stade pour pouvoir s’exprimer. Les gens nous demandaient pourquoi on ne se défendait pas dans les médias. Mais nous, on est des gens qui ont des emplois, des familles, on est passionné par notre équipe, mais on n’est pas des gens de la com. On n’a pas d’équipe de com pour gérer ça, aller dans les médias et répliquer à leur équipe de com… ils sont des professionnels en la matière, ce n’est pas notre force. Habituellement on ne parle tout simplement pas aux médias. Notre mission c’est de supporter. Dès qu’on a eu l’opportunité de retourner au stade pour avoir nos moyens habituels de s’exprimer, on l’a évidemment saisie. On voulait qu’il y ait des gens au stade, pour pouvoir chanter, pour que le nom de l’Impact résonne haut et fort. Puis, ils ont décidé de fermer injustement la section au complet, pour tout le monde, même les petites familles. »
Comble du ridicule, l’effacement du nom historique de l’Impact de Montréal sur des visuels. « Ils ont essayé de nous dire qu’ils ne reniaient pas l’histoire. Mais le nom de l’Impact a été effacé de partout. Quand ils faisaient des publications sur les réseaux sociaux, ils floutaient le logo de l’Impact sur la tenue des joueurs et du staff ! C’est un crachat au visage ».
Les groupes de supporters, regroupés dans l’ASUP ont eu une réunion en fin d’année 2021, qui a mis un terme à leurs espoirs. « En gros ce que le propriétaire nous a dit, c’est que la seule chose qui l’intéresse c’est l’argent, le nombre d’abonnements. Notre poids financier n’est pas suffisant pour donner notre avis, car nous ne sommes pas actionnaires. » Il n’y a aucune contribution possible des supporters actifs. « Si on voulait se rallier à cette nouvelle identité, il se disait prêt à envisager un retour au stade. ». Il y a quelques semaines, un nouveau directeur a été nommé à la tête du club. Gabriel Gervais, ancien joueur du club. Sa nomination semble une relativement bonne chose pour les ultras. Il dit souhaiter le retour des Ultras au stade et apparait plutôt favorable au retour du logo historique, arguant être un peu coincé par la MLS, qui a les droits d’image. Mais les UM ont une demande majeure, incontournable, sur laquelle ils ne peuvent revenir : le retour du nom de leur club, l’identité même. A. explique : « Le logo, passe encore, mais le nom, c’est pas possible ». Le club souhaite aussi réunir les supporters dans une même tribune, celle occupée actuellement par le groupe 1642 MTL. Le seul groupe à être revenu au stade depuis le changement de nom.
Le groupe est en quelque sorte taillé pour la MLS. Le 1642 MTL avait signé le communiqué des groupes de supporters contre le changement de nom, avant de se rétracter récemment et de se désolidariser des supporters. Sans doute pour se faire une jolie place au soleil dans les tribunes du stade, quand les autres luttaient pour que l’identité du club soit retrouvée. A. l’assure : « Ce groupe et le nôtre ont vraiment deux visions différentes de ce qu’est un supporter. Par exemple, ils ont essayé d’implanter une nouvelle tradition. Ils ont acheté une espèce de grosse cloche et puis quand il y a un but, ils la sonnent, alors que nous pensons que les traditions doivent être organiques et non imposées ». Sur leur page Facebook, on voit que des stars sont invitées pour sonner la cloche, photographiées et partagées sur les réseaux. Un groupe taillé par le club pour appliquer le show à l’américaine. Qui va jusqu’à participer aux actions marketing du club pour la vente des nouveaux maillots du club. Une com bien rodée… C’est sûr qu’un groupe comme ça, élevé par le club, ne risque pas de faire de vagues.
L’avenir des UM02 et du Kop Montréal
Le groupe se réunit et reste actif. Leur histoire les lie. « La douleur est très vive. C’est tellement une partie de notre vie. Le temps que ça prend, l’implication que ça demande. Certaines années, je n’ai presque pas vu ma famille, mes amis pendant la saison. Ni même mon amoureux. On fait des déplacements à travers le Canada, les Etats-Unis, on les a aussi suivis quand ils ont joué au Mexique, au Costa Rica… Nous, les couleurs on les a portées fièrement, donc là de s’entendre dire qu’on n’est pas important, qu’on devrait passer à autre chose… ». Les années d’implication pour chaque membre du groupe comptent et font partie de l’histoire du groupe, comme de l’histoire personnelle de chacun. « J’avais mon drum (percussion), jusqu’à un mois avant mon accouchement… Ca manque vraiment beaucoup. Les déplacements… Cette camaraderie là me manque. Ca fait 10 ans que je suis l’Impact. J’ai eu le temps d’avoir un appart, d’acheter une maison, de changer de travail, d’avoir une promotion… j’ai fini mon bac à l’université ! On est plusieurs à être là depuis longtemps. Y’a carrément des gars que j’ai vu devenir des hommes. » La culture ultra n’est pas prête de disparaitre. « Les UM et les gens du KOP sont passionnés de foot. Sont passionnés de l’ambiance. C’est quelque chose qui nous manque à tous. ».
Le groupe a des alliances avec les San José Ultras, les District Ultras de Washington, les OPS au Mexique. Tous sont solidaires des Ultras Montréalais, comme nombre de leurs homologues européens, touchés par la situation où le foot business s’impose sur le supportérisme. Ils ont aussi lié une amitié avec d’anciens supporters du New York Cosmos, qui ont créé leur propre équipe et dont la saison inaugurale débutera sous peu. Les Ultras Montréal vont certainement aller voir ce qui se passe là ou l’herbe est plus verte. Là où certaines décisions ne relèvent pas du marketing et où on peut dire « fuck » en toute liberté. Mais bien sûr, ils espèrent encore pouvoir retourner supporter l’Impact. « Pour l’anniversaire des 20 ans du groupe, évidemment dans mes rêves ils ramènent le nom de l’Impact et on fait quelque chose de gros, un gros tifo au stade. Mais ça ne semble pas dans leur plan pour le moment ».
Depuis un an, les Ultras Montréal se sont mobilisés entre refus du nouveau nom et espoir du retour de l’Impact, tentant le dialogue avec la direction. Ils s’organiseraient en local, toujours en gardant leurs valeurs de supporters actifs. « Les UM sont loin d’être morts. Le mouvement ultra est pas né à Montréal évidemment, alors on regarde ce qui se fait ailleurs, on s’en inspire. (…) Bien que pour nous c’est clair qu’on ne peut pas supporter cette nouvelle équipe, les gens sont définitivement intéressés à ce que le mouvement survive ici. Tous les groupes du kop aussi d’ailleurs. Nous ne savons pas encore quelle forme ça va prendre, mais il y aura certainement une suite ».
Un immense merci à A. et aux Ultras Montréal 2002.