Peu le savent, mais des changements importants ont été opérés concernant les supporters en Italie en automne dernier. Le document obligatoire pour les déplacements appelé tessera del tifoso a été modifié en faveur d’une majorité de leurs revendications. Et est définitivement entériné, ce qui ne va pas aider à améliorer les affluences catastrophiques des stades italiens.
Décembre 2014, l’administrateur délégué Barbara Berlusconi annonce en grande pompe la construction d’un nouveau stade – déjà remis en cause – pour l’AC Milan à l’horizon 2020. Problème, l’actuel co-pensionnaire de San Siro avec l’Inter n’attire plus les foules à l’instar de son rival (qui a un projet similaire) pour des raisons essentiellement sportives. Mais ce manque d’attrait sportif est-il valable pour l’ensemble de la Serie A (à une ou deux exceptions près) dont l’affluence est mauvaise ? Non, en témoigne la « Supersfida » Napoli-Roma devant un San Paolo à moitié vide en novembre dernier tandis qu’ils étaient plus de 50 000 fidèles en troisième division une décennie plus tôt. La Serie A comporte son lot de projets de nouveaux stades, la vétusté de ceux-ci étant aussi régulièrement mise en avant pour expliquer cette tendance.
La crise économique, un désamour général pour le Calcio secoué de temps à autre par les affaires sont autant de raisons avancées. La violence autour des stades aussi avec une énième victime en Coupe d’Italie en mai, comme s’il s’agissait malheureusement d’un phénomène récent. Il est indéniable que tous ces paramètres ont une influence sur la baisse des fréquentations. Mais la principale barrière d’accès au stade – bien trop souvent oubliée – est administrative et touche les familles comme les supporters les plus acharnés. Se rendre dans une enceinte sportive relève presque du parcours du combattant de l’aveu même de certains dirigeants.
L’échec du système tessera del tifoso
En cause, la désormais fameuse tessera del tifoso ce document d’accès au stade un temps obligatoire pour les matchs à domicile (sauf sanctions) et désormais seulement indispensable lors des déplacements. Il est intéressant de constater que depuis l’introduction de Passolig, son pendent turc, les stades de Turquie d’ordinaire si garnis ont vu leurs affluences chuter de manière spectaculaire. En Pologne, certains clubs commencent même à abandonner ce système preuve de son inefficacité. Dans le cas spécifique italien, celle-ci a été introduite en 2010 et était censée être la réponse à la violence et l’insécurité dans le football italien. Alors pourquoi, exemple parmi tant d’autres, interdire le déplacement aux supporters de l’Hellas Vérone à Naples en possession de tessera ? Mais le ministre de l’Intérieur italien de l’époque, Roberto Maroni, a sans doute négligé un point pourtant crucial : la plupart de ces problèmes surgissent à l’extérieur des stades.
Et ce ne sont pas les seules interdictions de stade (daspo) qui constituent la réponse adaptée. Encore aujourd’hui, les sanctions pleuvent et la répression s’apparente à un aveu d’échec. Tantôt c’est la Lazio qui écope d’un huis clos partiel, tantôt c’est la Curva Nord de l’Atalanta. En clair, rien n’a changé depuis ce fameux derby sicilien de 2007. Un drame arrive toujours de temps à autre, les scènes de violence ne sont pas éradiquées, en revanche ils ont réussi à vider les stades. Même l’Indian Super League, championnat artificiel nouvellement crée en concurrence avec l’historique en Inde, est déjà devant la Serie A en termes d’affluences dans un pays où le football n’est pas (encore) roi.
Des modifications et une application irrévocable
Au minimum controversée, la tessera del tifoso a failli être expédiée aux oubliettes d’après des sources bien informées avant que ne survienne le décès de Ciro Esposito. Plus maintenant, cette mesure est bien définitive. En octobre dernier, les avocats des tifosi ont néanmoins obtenu une avancée passée inaperçue : le contesté article n°9 a été modifié. Aussi appelé « décret Amato », celui-ci empêchait une personne de revenir au stade même après échéance de la peine d’interdiction. Désormais, ce sera automatiquement possible si le sujet n’a pas été condamné durant les cinq dernières années sinon la décision pourrait revenir aux tribunaux.
Des décisions de justice multiples qui ne vont que conforter l’impression de disparité. Ainsi selon les villes, de rares supporters ont obtenu des déplacements autorisés « pour tous » (souvent de nouveau interdits par la suite) alors que d’autres peuvent toujours rêver. C’est le cas par exemple à Pisa (Lega Pro) via un « Trust » à l’anglaise très actif ou pour la Sampdoria qui a la chance d’avoir un président impliqué sur le dossier. Des cas isolés, malheureusement. Il s’agit d’un vrai dilemme pour les tifosi : remettre en cause son idéal ou rester à la maison.
Un véritable choix idéologique
Les supporters ultras notamment sont divisés en deux catégories : ceux qui ont une tessera et ceux qui ne l’ont pas. Ainsi, les premiers sont rangés dans la case « servo dello stato » (esclave de l’Etat) et les seconds sont des « ultras sul divano » (ultras sur le canapé). Si de nombreux groupes ont fait le choix de rester à la maison en déplacement (ou de se déplacer et de se faire recaler à l’entrée du stade) lors de l’intronisation du système, beaucoup ont depuis capitulé. Une autre part assez importante n’en démordra sans doute jamais.
L’un des spécialistes du sujet, l’avocat romain Lorenzo Contucci conseille désormais à tout le monde de prendre cette carte. « Parce qu’elle n’a plus rien à avoir avec celle d’il y a 5 ans et qu’elle a été modifiée à 70% selon les indications émises », explique-t-il. Et que les 30% pourraient éventuellement sauter lors de recours. L’AS Roma, avec laquelle Contucci a longtemps mené bataille, a d’ailleurs lancé récemment une tessera « Privilège » simplifiée : pas reliée à un circuit bancaire et facile à commander sur Internet.
Si les quelques avancées peuvent laisser penser que les supporters « ont gagné », la réalité est diverse. C’est tout le football italien qui est rejeté. Et tant que les divers paramètres liés à la désertion des stades resteront figés, les affluences de Serie A ne sont pas prêtes de redécoller.