Au fil de l’évolution du football, le rôle des médecins sportifs a pris une place de plus en plus prépondérante au sein des clubs. Si bien que la réussite au haut niveau est conditionnée, entre autres, par une bonne entente entre entraîneurs et docteurs.
Nous n’apprendrons rien à personne, le football de haut niveau est très exigeant. Les clubs qui souhaitent maintenir un certain niveau de performance n’ont d’autres choix que de former des cellules médicales complètes afin de garantir la santé de leurs joueurs. Il s’agit-là d’une évidence : aucune équipe ne saurait répondre à un tel niveau d’exigence sans un suivi complet, des ateliers de prévention et des tests réguliers de chacun des membres de cette équipe. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un fait propre aux clubs de dimension internationale, car même une équipe végétant en Ligue 2 ou au fin fond de la Serie C aura une cellule – certes restreinte et à mi-temps, mais existante – de spécialistes.
Un métier mal perçu
Mais le caractère indispensable du corps médical, bien qu’intégré dans tous les organigrammes, n’est pas forcément perçu de la même manière par certains entraîneurs. C’est bien le plus gros problème auquel pourrait faire face un médecin travaillant dans le milieu du football : avoir un interlocuteur qui ne saisit pas l’importance et la portée de son métier. Les conséquences qui en découlent sont potentiellement catastrophiques, car les joueurs (et donc les performances sur le terrain) sont les premiers à en pâtir. Franck Le Gall, médecin de l’équipe de France et de l’Olympique de Marseille, confirme à So Foot qu’il est d’une importance capitale d’avoir une bonne relation de travail avec le dépositaire d’une équipe. “C’est plus intéressant de travailler avec quelqu’un qui n’est pas toujours en train de mettre en cause votre diagnostic, votre prise en charge, les examens que vous demandez. […] Si vous avez en face de vous quelqu’un de caractériel, de versatile, quelqu’un qui n’a pas d’écoute médicale, qui n’a pas de message de prévention, qui n’a qu’une envie, c’est que le joueur joue, c’est inintéressant, et c’est la meilleure façon de faire des conneries.”
Les “conneries” en question, ce sont les blessures, et leurs éventuelles aggravations. Les différents corps du métier médical accompagnent constamment les joueurs, qu’il s’agisse pour eux de retrouver leur niveau après une période de convalescence ou de prévoir les futurs accidents. Les kinésithérapeutes, masseurs et autres spécialistes imposent donc des contraintes aux joueurs afin de maximiser leurs chances de jouer. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’un entraîneur fait la sourde oreille à ces contraintes. Celles-ci sont souvent mal perçues et génératrices de frustration pour un technicien qui souhaite voir son protégé sur le terrain, lui-même ayant la pression du résultat. Mais si ce manque de perception peut vite être réglé par davantage de communication entre les deux métiers, les médecins se heurtent parfois à de véritables murs qui peuvent expédier une équipe entière dans le décor. C’est ce qu’il s’est passé au début de ce mois de novembre, en Argentine, au sein du club d’Argentinos Juniors.
Des relations compliquées avec les entraîneurs
Un journal local a ainsi relaté les propos de Juan Herbella, médecin du club, et dont l’entraîneur Ezequiel Carboni a été viré après cinq défaites et un match nul en six rencontres. Selon Herbella, Carboni est en grande partie responsable de cet échec car il a tout simplement renié le volet médical lors des séances d’entraînement. “Il a provoqué autant de blessures en un mois que l’entraîneur de la saison précédente en une année”, explique-t-il. “Malgré nos avertissements, en tant que corps médical, il a remis en cause tout notre travail. Dès le premier jour, il a remis en question les plans de notre nutritionniste, et par la suite il a détruit la batterie d’ateliers préventifs élaborés par l’équipe de kinésithérapie. Et ainsi de suite…” avant de conclure, la mort dans l’âme, que “Carboni est un âne et une mule têtue.”
Si les adjectifs caractérisant Carboni sont un peu forts de la part de Herbella, c’est avant tout parce qu’ils traduisent un sacré malaise lorsque les choses se passent mal. Le corps médical peut avoir beaucoup de difficultés à se faire entendre, et si la direction d’un club ne lui donne pas un certain poids, l’issue d’une confrontation avec un entraîneur tourne rarement en la faveur des premiers. Le cas le plus frappant est celui du professeur Hans-Wilhelm Müller-Wohlfahrt, directeur médical du Bayern Münich et bavarois depuis 1977.
Lorsque Pep Guardiola est nommé à la tête de l’équipe première en 2013, la relation est tout de suite exécrable entre les deux hommes. Selon le spécialiste allemand, Pep ne supporte pas les recommandations du staff médical, pas plus qu’il n’accepte les décisions de mettre au repos certains joueurs dont les muscles deviennent douloureux. Il ose même faire une comparaison entre les médecins allemands et espagnols, au détriment des premiers évidemment.
La rupture, elle, s’opère définitivement après un match face au FC Porto en Ligue des champions, en 2015. Lors de cette rencontre, Benatia était sorti sur blessure et Pep avait réagi en applaudissant ironiquement Müller-Wohlfahrt sur le bord du terrain. Il est important de souligner que Benatia venait gonfler un peu plus les rangs de l’infirmerie qui comptait déjà Ribéry, Robben, Alaba et Schweinsteiger, et qu’en tout état de cause, le technicien espagnol estimait que la faute en incombait uniquement à Müller-Wohlfahrt. Était-ce pour autant le cas ? Pas si sûr, lorsqu’on connaît l’état des relations entre les deux hommes. Ribéry avait d’ailleurs été au centre d’un feuilleton agité, puisque son retour dans le groupe, où il était resté de nombreuses semaines en tant que spectateur, était l’oeuvre de Pep malgré les contre-indications de Müller-Wohlfahrt. Quoiqu’il en soit, après le geste de Pep envers son collègue, ce dernier avait présenté sa démission et quitté le Bayern.
Plus de pouvoir pour le staff médical ?
Heureusement, il existe des histoires qui finissent mieux. Regardons un peu plus dans le rétroviseur, à la fin des années 90. L’AC Milan est l’un des premiers grands clubs à avoir compris que la gestion de la santé des joueurs est un paramètre à prendre au sérieux. Avec la refonte du deuxième tour de la Ligue des champions 1999-2000, qui inclut deux phases de poules et donc plus de rencontres, l’accroissement du nombre de matchs internationaux ainsi que les blessures de certains des joueurs rossoneri – dont Redondo, recruté en 2000 près de 20M€, et qui n’aura pas joué un seul match en deux saisons -, les dirigeants milanais décident de construire le Milan Lab, un centre médical ultra moderne, dès l’année 2002. À sa tête, le docteur belge Jean-Pierre Meersseman, spécialiste de la médecine sportive mondialement reconnu. Et investi des pleins pouvoirs.
Si l’efficacité de ce centre a parfois été remise en cause, force est de constater que les avis de Meersseman, qui avaient valeur de veto, ont permis de construire une équipe à succès. D’ailleurs, avec plusieurs cadres âgés de plus de 35 ans, tous les titres ont été remportés durant son ère : Serie A, Coupe d’Italie, Ligue des champions (x2), Coupe du monde des clubs, Supercoupes d’Europe et d’Italie. Cette entreprise de maintien en condition physique, qui a longtemps interpellé en Europe, a été rendue possible grâce à la voix de Meersseman et à son pouvoir d’interdire l’utilisation d’un joueur par l’entraîneur. Ce n’était pas sa seule prérogative, puisqu’il avait également le droit de couper court à un recrutement s’il estimait que la santé du nouvel arrivant était incompatible avec le niveau exigé par le Milan.
Et de son propre aveu, cela a plutôt bien réussi au club. “Lors d’un transfert, j’étais la dernière signature avant celle du président”, explique-t-il. “Si un joueur ne passait pas les tests, je faisais valoir mon droit de veto. Le temps me donnait raison, car en général, ces joueurs ne réussissaient rien de bien dans les autres clubs”. Ses propos sont certes à nuancer – Kaladze et Nesta ayant subi leur lot de blessures -, mais on pourra toujours lui accorder que Kakà a enchaîné les blessures après son départ pour le Real, et que Shevchenko a été un vrai flop à Chelsea, dans un championnat réputé comme étant très physique. De surcroît, ceux-ci n’avaient, respectivement, que 27 et 30 ans lorsqu’ils ont quitté le Milan. Ont-il été relâchés par Galliani et Berlusconi au moment opportun, sur indication de Meersseman ? Peut-être bien.
Dans tous les cas, l’UEFA, peu loquace sur le sujet jusqu’à il y a peu, prenait note de son importance dès 2010 et tenté de faire comprendre l’importance d’un staff médical, ainsi que de l’obligation d’être à son écoute. Les congrès médicaux régulièrement proposés depuis cette date en sont un marqueur fort. Gageons qu’ils feront comprendre au plus grand monde pourquoi il est primordial d’être ami et non ennemi avec une cellule médicale.