Longtemps cantonnée à un rôle de sparring-partner dans les éliminatoires européens, l’Albanie a créé la surprise en se qualifiant pour l’Euro 2016. Une grande première pour cette sélection, construite sur une vision partagée par un sélectionneur et un capitaine charismatiques. De quoi peut-être entrevoir un futur radieux pour le football albanais.
Il y a 20 ans, l’Albanie touchait le fond. Cent seizième nation au classement FIFA en 1996 et 1997, les Albanais ne font pas illusion lors des phases éliminatoires pour les Coupes du monde ou les Euros. Entre celles pour l’Euro 1992 et l’Euro 2004, l’Albanie participe à 65 rencontres et n’en remporte que 9 pour 45 défaites. Dans un pays qui vient juste de sortir de 45 ans d’isolement dû à un système politique communiste strict, le sport n’est qu’un vaste champ de ruines.
La peur d’un nouveau rendez-vous manqué
Dix ans plus tard, cette édition 2016 de l’Euro avec son nombre historique de qualifiés était une occasion unique pour de nombreuses petites nations du football européen. Une aubaine que l’Albanie n’a pas voulu manquer dès le début des qualifications. Bluffant tout le monde avec une victoire 0-1 sur le terrain du Portugal en match inaugural, l’Albanie s’est forgée la croyance d’un exploit possible après un match nul contre le Danemark, une victoire contre l’Arménie à domicile et une autre sur tapis vert de triste mémoire en Serbie.
À venir 4 matchs et une position préférentielle pour finir à une des deux premières places du groupe. Après le nul 0-0 à Copenhague, l’Albanie compte 11 points, tout comme le Danemark mais ces derniers n’ont plus que deux matchs à jouer. L’euphorie commence à être palpable dans les rangs albanais, preuve que la leçon des éliminatoires pour le Mondial brésilien n’a pas été retenue. Il y a deux ans, après 6 matchs de qualification, l’Albanie était deuxième derrière des Suisses intouchables. Mais les Aigles explosèrent complètement lors des 4 derniers matchs avec trois défaites contre la Slovénie, l’Islande et la Suisse avant de prendre un point inutile à Chypre.
Ce coup-ci, ce sont les Portugais, les Serbes et les Arméniens qui se profilent. Les Portugais prennent difficilement leur revanche en marquant à la 92è par Veloso à la suite d’un match solide des Albanais. L’histoire est farceuse, la qualification historique sera donc forcément pour la réception des Serbes. Mais là encore, les arrêts de jeu jouent avec la patience des supporters albanais qui voient les leurs perdre. Dès lors, plus d’alternative, il faut gagner en Arménie pour s’assurer la deuxième place. Chose faite, 0-3. L’Albanie verra la France.
Un sélectionneur et un capitaine charismatiques
Pour créer l’impossible, il faut toujours quelques personnages qui croient un peu plus en leurs destins que d’autres. Un de ceux-ci est l’Italien Gianni De Biasi, débarqué en 2011 au poste de sélectionneur de l’Albanie. Comme le reconnaît Enxhi Fero, expert du football albanais, « De Biasi est l’acteur principal de cette qualification. Il a tout de suite compris que cette équipe ne pourrait se qualifier pour une grande compétition que d’une manière : à ‘l’italienne’. Pas un football fait de tiki-taka mais un football défensif basé sur la détermination. » Il n’y a qu’à voir l’activité défensive jamais démentie de la pointe offensive de l’équipe albanaise Sokol Cikalleshi, présent à chaque match, jamais buteur mais toujours très important, pour se convaincre que le message est passé.
Plus qu’une vision, Gianni De Biasi a su transmettre à ses joueurs une confiance de tout instant. Dès sa prise de fonction, avant son premier match contre la Géorgie, le sélectionneur écrivait à ses joueurs sa croyance en de grands lendemains et sa confiance dans ce groupe de joueurs et d’hommes. Une lettre mettant l’emphase sur la possibilité de créer l’histoire et de devenir des héros pour le peuple albanais se terminant par « J’AI CONFIANCE ET JE SUIS AVEC VOUS. » Un beau message d’espoir pour un sélectionneur envers ses joueurs.
Le relais sur le terrain de cet espoir fut facilement trouvé en la personne de Lorik Cana. Enxhi Fero ne met pas en avant les performances du capitaine mais « sa personnalité et son charisme. Il a réussi à garder le groupe concentré et solidaire pour aller à l’Euro, même après des moments difficiles comme les matchs contre la Serbie. » Un homme foncièrement indispensable à l’édifice albanais que ce soit par sa prestance sur le terrain, la confiance qu’il inspire à ses coéquipiers, son esprit guerrier jamais démenti et surtout son amour vrai et indéfectible pour la patrie.
Une nouvelle génération au pouvoir
Parmi les joueurs souvent utilisés par Gianni De Biasi, on retrouve de nombreux jeunes joueurs comme le gardien Etrit Berisha (26 ans), le très prometteur latéral droit de Naples Hysaj (21 ans), les milieux Xhaka, Lenjani, Abrashi et Roshi (tous entre 24 et 26 ans) ainsi que les attaquants Balaj et Cikalleshi (24 et 25 ans respectivement). Leur présence laisse à penser que ce groupe a encore de nombreuses belles campagnes devant lui. Avec les tauliers Mavraj, Cana, Kukeli et Agolli, l’ensemble s’est construit comme une équipe très difficile à bouger, besogneuse mais aussi souvent à court d’idées offensives.
Parmi les joueurs les plus en vue lors de cette phase éliminatoire, Fero place Taulant Xhaka, Mergim Mavraj et Odise Roshi. Les trajectoires des deux premiers portent aussi le sceau de l’identité de cette nouvelle équipe d’Albanie. Tous deux sont nés à l’étranger de parents albanais partis du Kosovo dans les années 1980 et 1990. Tous deux ont été formés à l’étranger et ont même porté les maillots des sélections de jeunes en Suisse et Allemagne avant de choisir le maillot kuq e zi. Cette équipe est donc aussi aujourd’hui l’amalgame d’enfants de la diaspora et de jeunes joueurs nés et formés en Albanie.
La formation albanaise promet d’ailleurs selon Enxhi Fero : « Milot Rashica, qui joue au Vitesse Arnhem, est un de nos meilleurs jeunes mais nous avons aussi Liridon Latifi (Skenderbeu), Endri Cekici (Dinamo Zagreb) et Rey Manaj (Inter). Vous entendrez parler d’eux dans le futur. » Chose intéressante à considérer, tous sont des joueurs offensifs, de quoi peut-être entrevoir un changement de philosophie pour la sélection albanaise dans les années à venir.
L’ombre du Kosovo
Tous les voyants semblent au vert pour que le football albanais puisse faire de cette qualification historique une première étape et non pas seulement l’aboutissement d’un groupe de joueurs. Les scènes de liesse en Albanie mais aussi au Kosovo ont laissé entrevoir que ce peuple albanais avait soif d’aventures footballistiques en rouge et noir.
Mais l’ombre du Kosovo plane également sur le futur du football albanais. Depuis quelques années, le Kosovo essaye de gagner sa place au sein des nations estampillées FIFA et UEFA pour pouvoir participer aux qualifications pour les grandes compétitions. L’acceptation du jeune état ne semble qu’une histoire de temps. Peut-être dès les prochaines qualifications pour le Mondial 2018. Mais cette décision de la FIFA aurait des conséquences négatives pour l’Albanie.
En effet, dans l’effectif actuel de la sélection d’Albanie, une dizaine de joueurs dont les icônes Cana, Mavraj, Xhaka ou Gashi sont originaires du Kosovo. L’arrivée de l’État voisin et frère dans le football international pourrait donc priver l’Albanie d’un réservoir important et particulièrement prolifique de joueurs. De quoi peut-être repousser l’Albanie quelques années en arrière dans son développement footballistique.
En attendant, l’Albanie sera bien au rendez-vous en France à l’été 2016. Et toute l’Albanie et le Kosovo vivront pour les couleurs rouge et noir. Une performance en soi pour un pays écarté des affaires européennes dans de nombreux domaines et l’occasion de projeter une lumière positive sur un peuple qui le mérite. Finalement.
Tristan Trasca
PS : Je vous laisse avec l’hymne estival des Albanais, l’officieuse chanson de la sélection.
Superbe article, Bravo!!