Dans les années 60 et à l’aube des années 70, si le football anglais ne domine pas encore le football européen, des génies sont disséminés au sein du royaume pour, à terme, y parvenir. L’histoire retient ainsi Brian Clough, Bill Shankly, Matt Busby, mais beaucoup moins Don Revie. Et pourtant, c’est avec lui que Leeds United a obtenu ses plus grands titres et s’est forgé l’identité d’un club aussi bien magnifique que diabolique voire précurseur. D’où la question : au fond, n’était-ce pas le Leeds United de Don Revie qui dirigeait l’Angleterre ?
Quand Don Revie prend la tête de Leeds en mars 1961, la ville du West Yorkshire ne vibre pas pour le football mais pour le rugby et le cricket. A Leeds, le football est un sport mineur, sinon désavoué. Il faut dire que la conjoncture n’aide pas l’emballement : quatre ans après la vente de leur icône à la Juventus, John Charles (qui s’éclate aux côtés d’Omar Sivori et Giampiero Boniperti), les fans n’ont plus d’étoiles. Surtout, le club végète en deuxième division. Les deux derniers matchs à Elland Road de l’ère Jack Taylor (prédécesseur de Revie) n’ont attiré que 10 000 spectateurs, alors qu’en finale du championnat de rugby à XIII au Bradford’s Odsal Stadium, 52 177 spectateurs sont allés voir les Loiners. A côté, United est un concentré de médiocrité. Dix saisons de suite sans même une FA Cup, même les clubs de rugby de la ville comme Hunslet et Bramley suscitent davantage les convoitises que Leeds United.
Six semaines après l’arrivée de Don Revie, l’affluence ne devient pas soudainement géniale, seuls 6 975 curieux sont venus se rassembler pour le dernier match de championnat à domicile contre Scunthorpe United. Mais cette désaffection ne va pas durer longtemps. Pour refaire vivre la ville au rythme de son équipe de foot, Revie dévouera corps et âme. Son premier réflexe ? Téléphoner à Matt Busby, l’entraîneur de Manchester United. Revie admire Busby, comme toute l’Angleterre. L’entraîneur-joueur avait prévu une entrevue téléphonique d’une demie-heure, au final, les deux hommes passeront la journée ensemble.
« Nous allons être les meilleurs du monde, comme le Real Madrid »
Sa première décision n’est ni sportive ni anecdotique, celle de changer les couleurs de maillots du club. Le bleu et or doit laisser place au blanc immaculé. Le blanc du Real Madrid. Car Revie veut redonner au club son ambition et sa flamboyance. « Nous allons être les meilleurs du monde, comme le Real Madrid » clame-t-il à ses joueurs alors que le club occupe les bas-fonds de la deuxième division et lutte pour y rester. Un aperçu de la détermination dont Don Revie pouvait faire preuve. De l’audace et de l’ambition vouée à emballer Elland Road après des années de difficultés et contrer une mentalité défaitiste. Cette volonté, c’est aussi montrer aux autres clubs anglais à quoi est voué Leeds : retrouver les sommets. Colin Gringer, joueur déjà au club sous Jack Taylor, n’en pense pas moins dans la biographie consacrée à Don Revie, Revie, revered and reviled : « Don était encore joueur quand Jack Taylor m’a fait venir au club. Leeds était un club qui manquait de fierté, qui se sentait inférieur par rapport aux trois clubs de rugby. Le stade n’était pas terrible, et la pelouse était de piètre qualité. Don savait qu’il fallait changer tout ça. »
Reste que lors des 18 premiers mois, le changement de couleurs confine au simple gimmick. Revie a hérité d’une équipe pauvre, et il le sait. Ce qu’il sait également, c’est que le degré de compétitivité s’étalonnera par l’émancipation de la pépite Billy Bremner et des jeunes en quête de temps de jeu. Car en 1961, Jack Charlton n’est pas encore champion du monde. Pour son projet, Revie dispose également d’assistants de qualité : Les Cocker et Syd Owen. Cocker est un ancien joueur (300 matchs au compteur) mais surtout un coach dont les qualités seront affichées au grand jour aux côtés d’Alf Ramsey lors de la Coupe du Monde 1966. Technicien deux ans durant à Luton avant d’aller à Leeds, Cocker fait partie de cette première génération à posséder un diplôme reconnue par la FA. Idem pour le jeune coach, Syd Owen. Nommé joueur de l’année en 1959 après avoir mené Luton en finale de la Cup, Owen a joué trois fois pour l’Angleterre, dont lors de la fameuse défaite 7-1 contre la Hongrie à Budapest. Ce triumvirat devait jouer un grand rôle dans le développement du club, non seulement en utilisant de jeunes joueurs (héritage de l’ère Taylor) mais aussi par la rigueur dans le travail scientifique (nous y reviendrons). Un triumvirat complété par Bob English et Cyril Partridge pour développer davantage l’atmosphère familiale.
Une bande de jeunes affamés et le développement par l’étude
Dès sa première saison, Revie donne donc sa confiance aux jeunes Billy Bremner, Norman Hunter, Mick Bates et jette son dévolu sur une jeune pépite écossaise, Eddie Gray. « J’avais 14 ans et je n’avais jamais entendu parler de Leeds. Certaines grosses équipes m’ont approché, mais Leeds ne gagnait jamais rien. Je me souviens que la première chose à quoi j’ai pensé quand ils m’ont contacté était : ‘Pourquoi signerai-je pour eux ?’ ». Don Revie lui fera vite changé d’avis. Parce que le jeune coach de 34 ans est prêt à tout pour acquérir un joueur convoité. Du simple paiement de la chambre d’hôtel pour le joueur et ses parents, à l’organisation d’une bringue pour l’esprit de convivialité, jusqu’à les harceler personnellement. « Après ma signature, il a organisé une grosse soirée pour toute ma famille venue de Glasgow. Mes amis et proches étaient là ainsi que sa famille. C’était une soirée spéciale. Elle a joué un rôle dans ma signature pour Leeds, sans aucun doute. Aucun autre club n’opérait de la sorte à l’époque. » Revie a une certaine force, outre celle du discours éculé, celle de savoir parler aux familles de la working-class. Un véritable maître communiquant capable de convaincre le jeune père de famille un peu trop passionné comme la maman soucieuse. Le ton est différent mais le langage reste le même. Il conte et persuade comme s’il leur consacrait sa journée. Peter Lorimer est convoité par une trentaine de clubs en Angleterre ? Qu’importe, le joueur de Dundee signera bien pour le club du Yorkshire. « Manchester United avait mis le paquet en termes d’argent. Ma mère, qui aimait la relation qu’avait su créer Don, a très vite été persuadée. Il a su lui expliquer ce qu’il allait se passer. Dès qu’il a su que Manchester était sur le coup, il est venu me chercher de Leeds en voiture jusqu’en Écosse (600 kms aller-retour), puis m’a ramené sur Leeds avant que Manchester n’ait eu le temps de négocier chez moi. C’est comme ça que j’ai rejoint Leeds. Don était si convaincant sur le futur potentiel du club, son succès, qu’il m’a persuadé, moi et ma famille. »
Si sa politique de jeunes dépend des lois écossaises (un joueur est considéré comme amateur jusqu’à ses 17 ans), sa détermination de construire son équipe autour de jeunes joueurs est totale, sciemment réfléchie mais suppose du temps. Au fond, Revie veut changer les habitudes d’un club au sein duquel on considère la deuxième place comme acceptable. Il se charge donc de modifier de manière drastique les méthodes de travail (appui sur un staff large, développement des jeunes), les moyens de locomotion (avion plutôt que bus) et de communication avec le projet de dominer à long terme le football anglais. Avec patience, science et raison.
Aussi, Revie s’attache à améliorer les standards de la préparation. « L’échec pour se préparer, préparé à l’échec », telle est sa maxime dans l’illustration de l’optimisation de son travail exhaustif. Cela passe par des dossiers complexes et complets sur les équipes adverses comprenant l’ensemble des individualités avec le rapport de leurs forces et de leurs faiblesses. Des dossiers que ses joueurs doivent apprendre puis digérer dans leur intégralité avec des notes individualisées en fonction du duel respectif. Duncan Revie, le fils de Don, explique : « Papa était si méticuleux qu’il ne laissait rien au hasard, c’est pourquoi ces dossiers étaient importants dans la préparation des matchs. Il y a peu encore, je suis allé voir ces dossiers. Il écrivait tout lui-même, de ses propres mains et le détail des notes est extraordinaire. Toutes les caractéristiques des joueurs adverses étaient segmentés en 15 minutes : la qualité de dribbles, des tacles, de dégagement, etc. Des clubs payaient des milliers de livres par saison pour se doter de choses comme Pro-Zone, mais Papa avait déjà tout en mains. » Même pointillisme observé par Eddie Gray et Jack Charlton, qui se souviennent : « Il y avait aussi des informations sur la manière dont l’équipe adverse s’organisait sur corner, coup-franc et sur toutes les phases arrêtées. Ces dossiers n’étaient pas appréciés de tous, mais en ce qui me concerne, je sais qu’ils m’étaient très utiles. » […] « En général, on les recevait la veille au soir du match, avant le dîner, à l’hôtel. Ensuite on en parlait. Et si Don voyait que tu n’y prêtais pas attention, il se tournait vers toi et te disais : ‘Il y a des gens qui ont travaillé pour t’apporter toutes ces infos, des infos que tu ne pourrais pas te payer, alors aie la courtoisie de les étudier.’ Je n’avais jamais vu de telle en termes de préparation, si bien qu’à l’issue de la saison, je doute qu’il y ait un joueur qu’on ne connaissait pas. Sur quel pied tel joueur préfère s’appuyer pour frapper, son degré d’agressivité… Par exemple, quand on jouait Manchester United, Paul Reaney devait se farcir George Best. Et j’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas de coïncidence que Paul, plus rapide et méchant, ait toujours fait de bons matchs contre Manchester United. Paul savait ce qu’allait faire George. Il prédisait, devinait tous ces gestes principalement grâce aux dossiers. »
Des procédés nouveaux, des duels comme des matchs à gagner par l’étude mais aussi grâce au développement d’un esprit de famille auquel Revie tient beaucoup. Quiconque travaille pour le club fait partie de la famille Leeds United. Que ce soit les jardiniers, les intendants ou le personnel administratif. L’assistant-jardinier d’Elland Road raconte à ce propos : « Avant le match, il venait nous voir et on parlait de tout et de rien. Ça pouvait être à propos de la famille, de football ou d’autres. Il était vraiment intéressé par nos vies. Il partait voir ensuite le personnel chargé de l’intendance, et ensuite, il allait aux bureaux. Et c’était la même histoire pour tous les matchs à domicile. Par exemple, il savait qu’on ne partait pas avant minuit en hiver (pour des raisons techniques d’entretien de la pelouse), mais il mettait un point d’honneur à nous remercier. Et cela se passait après tous les matchs. Tous, sans exception. On aurait pu travailler gratuitement s’il nous l’avait demandé. On l’adorait. »
Face aux restrictions financières à l’été 1961, le club s’offre Derek Mayers, un ailier de Preston North End qui, comme les autres, devait prouver ce dont il était capable. Car peu l’ont fait jusqu’à présent. A la mi-novembre, Leeds a seulement remporté quatre de ses dix-sept premiers matchs, ce qui contraint le club à lutter pour le maintien. Anxieux face à cette situation, Revie va même tenter de rechausser les crampons un temps avant d’être vite ramené à la raison. Face aux pauvres résultats, le propriétaire Harry Reynolds met alors à la disposition de Revie 50 000 livres sur la table qui, ni une ni deux, fait signer son ancien coéquipier de Manchester City, Billie McAdams, attaquant de Bolton. Dès son arrivée, Leeds gagne son premier match contre le Liverpool de Bill Shankly alors candidat au titre de seconde division avant de retrouver ses travers. United enchaîne avec une victoire en neufs matchs. Pour la première fois de son Histoire, le club risque la relégation en troisième division. Il faudra une victoire 3-0 contre Newcastle lors de la dernière journée grâce à un fantastique Albert Johanneson pour éviter le désastre.
‘Dirty Leeds’, vraiment ?
Octobre 2006, Dennis Wise, entraîneur fraîchement nommé, énonce dès sa première conférence de presse qu’il attend de son équipe la résurgence du ‘Dirty Leeds’, horrible à jouer par sa dureté. Wise souhaite voir réapparaitre les fantômes du passé. Ce passé où le degré d’appréhension des équipes adverses était tel qu’elles étaient battues avant même d’avoir posé un pied à Elland Road. Car très vite, sous Revie, United est devenu synonyme de tout ce qui est ‘mauvais’ ou ‘négatif’ dans le football. Parce que Leeds reste maître dans la gestion du temps, dans les fautes tactiques à répétition jusque dans la relation avec les arbitres. En somme, la frontière est fine entre brutalité, intimidation et respect des règles. Cette identité explicite – et pour certains péremptoire – donne même lieu à un article paru dans l’édition du FA News à l’été 1963 dans lequel Leeds est labellisé d’équipe ‘dirty’ (sale). Ledit article rend furieux Don Revie qui remet en cause dès lors l’indépendance arbitrale.
Indépendamment de l’hostilité et des événements extérieurs, Leeds finit l’exercice 1962-1963 à la cinquième place avant d’accéder à l’élite la saison suivante. Puis peu à peu, devant la réussite provisoire du projet, les débats se sont orientés vers les méthodes et le football pratiqué par l’équipe. Et surtout sur son éthique. Un joueur illustre cette complexité dialectique : le milieu de terrain Bobby Collins, acquis à l’été 1962. « Bobby était l’exemple du groupe, et je suis certain que sans Bobby, nous n’aurions pas vu le Leeds en action tel que nous l’avons vu. Leeds n’aurait pas été Leeds sans Bobby. Il a appris à l’équipe entière comment gagner. Don a réalisé qu’il devait compter sur un joueur capable de porter sur ses épaules n’importe qui d’entre nous, un compétiteur-né. Les faibles n’avaient pas leurs places. Pour être parfaitement honnête, quand j’ai signé pour Leeds en 1963 et que j’ai vu Bobby en action, j’étais terrifié. C’était brutal. Il voulait gagner coûte que coûte. A l’entraînement, c’était la même chose. Les jeux pouvaient être arrêtés par Don. Ça se transformait en baston avec Bobby au cœur de tout ça », évoque Eddie Gray, ailier et coéquipier de Collins à l’époque. Brian Long, historien officiel de Sunderland, se montre tout aussi explicite : « J’avais l’habitude d’aller voir les matchs à domicile et à l’extérieur, et les matchs contre Leeds étaient à part. Si vous racontez ce qu’était le Leeds de l’époque aux supporters d’aujourd’hui, ils ne vous croiraient pas. »
Pour l’exigence de la première division et pallier au manque récurrent d’efficacité, Revie décide de s’attacher les services de l’international anglais, Alan Peacock. L’attaquant de 26 ans de Middlesbrough est l’un des meilleurs joueurs de tête du royaume en comptabilisant 126 buts en 218 matchs disputés, soit un ratio de 57,8% but par match bien appréciable. Peacock devient rapidement un élément important dans l’approche physique des rencontres, comme lors de cette fameuse journée du 7 novembre 1963. Leeds se déplace au Goodison Park d’Everton. C’est la première fois que Bobby Collins fait son retour dans la banlieue de Liverpool depuis son transfert deux ans et demi plus tôt. Et au bout de cinq minutes de jeu, dès les premiers duels, le ton est donné. Ça palabre, donne des coups, le match est électrique. Sandy Brown, latéral des Toffees, fait faute sur Johnny Giles. Débute alors une véritable bataille rangée, on joue à peine depuis 35 minutes. L’arbitre, Roger Stokes, renvoie les deux équipes aux vestiaires avec l’avantage au score pour Leeds United (but de Willie Bell). Dans le stade, les supporters se battent entre eux et certains balancent des projectiles depuis les tribunes. Des supporters des Toffees tentent même d’entrer sur la pelouse pour se faire Billy Bremner (1,67m). Le lendemain, la presse s’empresse de fustiger Leeds (évidemment) en omettant que sur les 32 fautes, Leeds en a commise seulement douze. Revie pointe du doigt la responsabilité de la presse et de la FA. Après le match, la Fédération se fend innocemment d’un communiqué : « Nous maintenons que le terme d’équipe ‘dirty’ ainsi qualifié par la presse a pu porter préjudice non seulement au grand public mais aussi aux officiels dans la gestion du match. Cela a pu avoir un effet dans le subconscient des arbitres. »
Suite à cette rencontre, Leeds engrange 8 victoires en 10 matchs. Car si Leeds a cette image d’équipe animale, féroce, c’est aussi un collectif qui sait jouer au football. « Don était le premier manager qui m’ait envoyé un plan tactique. A Middlesbrough, on me disait juste d’aller ici ou là et de gagner. Ce n’était pas très scientifique », se rappelle Alan Peacock. Résultat, en étant flexible et efficace, United se battra jusqu’à la fin du championnat pour la quête du titre face au Manchester de Matt Busby pour finalement échouer à la différence de buts. Cinq jours plus tard, le club perd en finale de FA Cup. Deuxième du championnat sur la plus petite des marges, finaliste de la FA Cup, qualification européenne en poche pour la première fois, Leeds échoue d’un rien aux honneurs mais aura marqué la saison en exprimant un football en pleine mutation.
Les années 1960 signent la démocratisation en grande pompe du 4-4-2 en diamant grâce auquel les Anglais remporteront d’ailleurs la Coupe du monde 1966. Le Leeds de Don Revie est ainsi organisée autour de ses deux milieux axiaux, Billy Bremner et Johnny Giles. L’axe le plus polyvalent d’Angleterre. Pendant longtemps, cette paire est la plus redoutée. On a encore jamais vu une doublette à la fois capable de poser le jeu avec justesse comme de détruire avec la même vertu celui de l’adversaire. Alan Hudson, joueur de Chelsea se souvient : « Les gens se plaignent du caractère physique du jeu mais ce n’est rien comparé à ce que Leeds proposait. Je savais qu’à chaque fois que j’allais sur le terrain pour affronter Leeds, j’allais me faire botter le cul de partout. Bremner et Giles étaient les pires. C’était un couple d’assassins de poche. Vous ne pouviez jamais leur tourner le dos une seconde, sinon vous étiez fait comme un rat. Mais ce qu’il faut retenir de ces deux joueurs, c’est que c’était surtout deux grands joueurs. De vrais bons joueurs qui savaient tout faire. C’est pourquoi Revie les adorait. »
Johnny Giles et Billy Bremner. (DR)
Lors de la saison 1966-1967, le club est très vite écarté de la course au titre en ne gagnant que trois de ses onze premiers matchs. Après une sévère défaite 7-0 contre West Ham en League Cup, le dernier espoir de titre reste la Coupe des villes de foires, ancêtre de la Ligue Europa (C3). Après avoir battu le DSW Amsterdam, Valence, Bologne et Kilmarnock, Leeds United se retrouve en finale. En quatre saisons, le club s’est sauvé in-extremis de la relégation en 3ème division avant de monter en 1ère division la saison suivante. Il s’est ensuite immédiatement battu jusqu’à la dernière journée pour le titre avant de disputer une finale de Coupe d’Europe. Une finale perdue face au Dinamo Zagreb (2-0 sur l’ensemble des deux matchs). A défaut d’être ‘Dirty Leeds’, à l’époque, United est davantage ‘Dirty Lose’. « Je ne pense pas que Don ait réalisé à quel point – jusqu’à sa dernière année (1974), il disposait d’une grande équipe, expose Peter Lorimer. Il était assez négatif, probablement parce qu’il haïssait la défaite. A l’époque, tout était fait pour que nous ne perdions pas. Et cela n’a probablement pas changé jusqu’aux années 1970. C’était la personne la plus précautionneuse. Il avait toujours peur de mal faire. A l’automne 1967, après le mauvais début de saison et l’élimination prématurée en FA Cup, il se posait déjà la question de savoir s’il allait finir par gagner un titre ».
« C’est bon, on y va. On part »
Pour pallier à cette obsession, à l’été 1967, le club effectue le plus gros transfert de son histoire avec l’arrivée de l’attaquant Mick Jones en provenance de Sheffield United pour la somme de 100 000£. Mais cette saison 1967-68 a vite été un calvaire, surtout en championnat.
En League Cup par contre, Leeds dispose de Stoke City, de Sunderland ainsi que du Derby County de Brian Clough en demi-finale (4-2 à l’issue de la double confrontation) pour se qualifier pour sa troisième finale après celles de Liverpool et du Dinamo Zagreb. Cette fois, la donne devait être différente. « Une fois qu’on menait au score, moi j’étais sur une aile, Eddie Gray sur l’autre, on s’est replié et on devait respectivement soutenir nos latéraux. J’aidais Paul Reaney pendant qu’Eddie aidait Terry Cooper. C’était efficace, mais je doute que quiconque ait pris du plaisir à suivre cette finale 1968 » déclare Jimmy Greenhoff après la finale contre Arsenal. Leeds l’emporte 1-0, mais surtout, United remporte son premier titre sous l’ère Revie. Seuls Jack Charlton (Coupe du Monde 1966) et Johnny Giles (avec Manchester United en 1963 en FA Cup) avaient jusque-là goûté à la victoire à Wembley. « Beaucoup de choses ont été dites sur le fait que nous n’avons pas gagné de trophées malgré notre récurrente compétitivité en championnat et nos récentes places de finalistes en coupe nationale. Mais ce que les gens oublient souvent, c’est à quel point notre équipe est jeune. Ça fait longtemps qu’on évolue ensemble sans de grands bouleversements et cela montre à quel point nous sommes jeunes. L’obtention de la League Cup accroît notre confiance pour aller de l’avant », avance Billy Bremner.
Et de quelle manière. Sitôt la League Cup remportée, United se concentre sur la Coupe des villes de foires. Leeds se débarrasse successivement du Spora Luxembourg, du Partizan Belgrade, d’Hibernian, des Glasgow Rangers et de Dundee avant de s’imposer en finale face à Ferencvaros en finale (1-0).
A l’issue de la saison 1967-68, Leeds gagne deux trophées après avoir connu des difficultés à construire une équipe taillée pour les ambitions affichées. Cet exploit, c’est aussi celui du propriétaire Harry Reynolds qui a cédé sa place en début de saison à Albert Morris. Revie et Reynolds partageaient depuis 1961 le même goût de l’ambition, possédaient la même détermination. Avec ces deux hommes, Leeds vivait une symbiose sportive qui, à terme, a fructifié les finances du club. Le solde bancaire du club s’est accru grâce aux affluences en hausse, aux rentabilités des transferts et via l’amélioration des installations du stade. John Reynolds, assistant-jardinier un an avant l’arrivée de Don Revie, témoigne de cette évolution : « Le club n’avait pas d’argent quand j’ai commencé à m’occuper de la pelouse. Le club ne pouvait même pas investir sur de la paille pour prévenir la venue du gel. Je suis devenu ami avec Don, qui savait que j’avais été footballeur avant qu’une blessure vienne briser ma carrière. Quand il était joueur, il trouvait déjà ridicule que le club n’épargne pas un peu pour investir sur quelque chose d’aussi important que la pelouse. Mais il était comme ça. Les choses ont changé quand Don est devenu manager et qu’Harry est devenu propriétaire, et particulièrement quand le club a commencé à bien tourner. On a pu avoir quelques machines pour traiter la pelouse et essayer d’améliorer la surface. »
Seulement, quatre semaines après la victoire en Coupe d’Europe, Albert Morris décède. Le co-propriétaire, Percy Woodward, membre du Board depuis plus de 20 ans lui succède. Mais les relations entre le manager et son nouveau propriétaire demeureront au mieux cordiales. Revie est voué, plus que jamais, à devenir la figure toute-puissante de Leeds dans les années à venir.
Pour les joueurs, quels qu’ils soient, aussi bien les jeunes qu’il a vu grandir ou les nouvelles recrues, il n’était pas seulement le boss sur le terrain, il l’était également en dehors. « Je me souviendrais toujours d’un match à Crystal Palace où Don avait dit qu’on devait être de retour au bus à 17h30 pour prendre le train de 19h nous ramenant à Leeds. Au final, tous les gars étaient là à l’heure hormis quelques dirigeants. Ils étaient encore en salle de réunion à boire avec les directeurs du château. On se demandait combien de temps on allait attendre, quand soudainement, Don s’est tourné vers le conducteur du bus pour lui dire : ‘C’est bon, on y va – on part.’ Les dirigeants ont dû rentrer par leurs propres moyens. On était étonnés, on se demandait ce qui allait se passer le lundi mais même si les gars étaient au courant, personne n’en n’a plus jamais parlé. Don avait pris la décision de partir et les dirigeants devaient l’accepter », évoque Mick Jones. Les dirigeants étaient prévenus puisque Revie avait agi de la même façon quelques saisons plus tôt après un match à Newcastle United.
Saison 1968-1969, premier championnat et l’ébauche du rêve européen
Revie est un homme pressé. Déterminé à ne pas se reposer sur ses lauriers. Mais le début de la saison 1968-1969 va très mal commencer. Après 7 matchs, le club n’a engrangé qu’un seul petit point. Pour Revie, obtenir le titre de champion d’Angleterre ferait pourtant de Leeds l’une des plus grandes équipes du pays. Le 19 octobre 1968, les Whites subissent une lourde défaite face à Burnley (1-5), puis parviennent à enchaîner 26 matchs sans défaite pour rester dans la course au titre. Nous sommes déjà le 28 avril, il reste deux matchs à jouer, et Leeds, leader avec 5 points d’avance sur Liverpool (et avec un match en retard), accueille les Reds à Elland Road. Liverpool est dans l’obligation de l’emporter pour entretenir l’espoir de titre. Billy Bremner est si nerveux qu’il admet n’avoir pas dormi de la nuit. Sur le terrain, Leeds fait le minimum, replié dans sa moitié de terrain avec Paul Madeley en piston. C’est le premier relanceur en phase offensive et le cinquième défenseur en phase défensive. 0-0 au coup de sifflet final, Leeds est champion pour la première fois de son histoire.
Mieux, la saison 1968-1969 est la saison de tous les records. Leeds a glané plus de points que quiconque dans l’histoire du championnat (67), avec le plus de matchs gagnés (27), le moins de défaites (2) en ne concédant que 9 buts à Elland Road. Néanmoins, malgré toutes ces statistiques gratifiantes, Don Revie se ravit davantage de la reconnaissance de Bill Shankly. Duncan Revie se souvient : « Bill Shankly a été un grand ami de mon père pendant des années, donc gagner un championnat face à Liverpool à Elland Road était quelque chose de spécial. Ce qu’il avait le plus apprécié, c’était quand Bill lui a demandé s’il pouvait parler à ses joueurs après le match. Dans les vestiaires, Shanks leur a dit : ‘Nous n’avons pas perdu le titre, vous l’avez gagné. Vous êtes la meilleure équipe du pays’. Ce petit discours a vraiment ému mon père parce qu’au-delà d’être des amis, il lui a montré une immense marque de respect. Il faut se rendre compte : ils étaient si proches que tous les dimanches, ils se parlaient au moins une heure au téléphone pour évoquer leurs matchs respectifs et le football en général. C’est un peu comme si Sir Alex Ferguson passait son dimanche matin à appeler Arsène Wenger. »
Avec le titre de champion, le contrôle de Don Revie sur le club est total. Aucune décision n’est prise sans son aval. Y compris pour les beuveries. Jack Charlton raconte : « Moi et Billy Bremner, on allait au pub local ‘The Woodman Inn’ tous les jeudis pour jouer aux dominos. Le pub était seulement à 200 mètres d’où nous vivions et aller là-bas nous aidait à nous relaxer (sans le besoin de boire). Quoi qu’il en soit, si on était bourrés, on allait dans son bureau, on lui mentait, on lui disait n’importe quoi pour s’expliquer. Don écoutait et ensuite disait : ‘Si ça vous détend les gars, ça me va’. C’était une manière très adulte de nous traiter, et on appréciait. » Revie sait que Charlton et Bremner ne sont pas des bad boys, et que s’ils sont amenés à se partager une bouteille la veille du match, cela n’entravera en rien leurs performances le lendemain. En revanche, il s’attache à connaître tous les aspects de vie des autres joueurs. Il pouvait donc se montrer capable d’empêcher un jeune du club de flirter en fonction du profil de la jeune femme. Car pour Revie, les à-côtés ne doivent pas impacter sur le match du samedi. « Si vous avez des problèmes financiers, liés aux jeux d’argent ou des problèmes avec votre famille, avec votre femme…. Venez me voir étant donné que je ne veux pas vous inquiéter. » Une attention particulière pas forcément présente dans tous les clubs. « Je me rappelle une fois avec Bill McGarry, après avoir signé pour Wolverhampton, sa réponse était, ‘Si vous avez fait quelque chose de mal, c’est votre putain de problème » se souvient Mike O’Grady.
A l’été 1969 et avec la plus grande compétition européenne en ligne de mire, le jeu de Leeds continue d’évoluer. Tantôt proactif, tantôt plus direct selon l’opposition. Au fil des saisons, le jeu de Leeds est plus complet, plus continental. Pour mettre toutes les chances de son côté, le club se renforce encore sur le front de l’attaque avec le transfert record d’Allan Clarke de Leicester City pour 165 000£. Considéré comme le plus grand buteur du pays depuis Jimmy Greaves, son association avec Mick Jones doit être la plus dévastatrice du pays. En attendant, Don Revie est élu Manager de l’année avec l’espoir qu’Allan Clarke soit la pièce finale pour conquérir l’Europe. La grande.
Don Revie, en 1969, reçoit son trophée de Manager de l’année quelques minutes avant le Charity Shield. (DR)
À suivre une deuxième partie consacrée au Leeds United de Don Revie.