Le Portugal traverse depuis plusieurs mois une profonde tempête : un changement de jeu. Après les deux rencontres de qualification pour l’EURO 2020 contre l’Ukraine et la Serbie, des nations qui défendent en bloc devant leur but, la Seleção a pu tester ses principes de construction. Bilan, le Portugal joue plus mais pas mieux.
Il y a trois ans en France, la Seleção est arrivée sur le toit de l’Europe avant de se faire piéger à son propre jeu par l’Uruguay d’Óscar Tabárez. Mais à la place d’aiguiser son approche aux capacités croissantes de ces joueurs, elle a fait le choix de recommencer tout en bas. On imagine pourtant bien une équipe soucieuse de bien défendre et de se projeter rapidement avec Raphaël Guerreiro, João Cancelo, Rafa, Bernardo Silva, André Silva et Cristiano Ronaldo. Mais depuis la Coupe du monde en Russie, Fernando Santos a affiné sa démarche. Le nouveau projet se base sur une philosophie protagoniste à travers la balle. Aujourd’hui, cela fait six mois qu’il est en marche. Et après quatre matchs d’UEFA Nations League et deux matchs de qualification pour l’EURO 2020, le Portugal rencontre plusieurs complications sur le chemin.
À la recherche du détournement
Le 22 mars 2019 à l’Estádio da Luz, le Portugal affronte l’Ukraine ultra-fermé de Shevchenko. Autour de William Carvalho, pièce centrale du 4-3-3 de Fernando Santos, récente réussite lors des rencontres de Nations League (deux victoires, deux nuls) le sélectionneur lâche deux milieux portés vers l’équilibre : João Moutinho à gauche, Rúben Neves à droite. Résultat : 59% de possession de balle mais une circulation de balle sans dynamique. En conférence de presse, Fernando Santos a expliqué ce qui cloche : « Des changements dans le onze ? C’est possible, car on a joué il y a deux jours. Il faut améliorer certains aspects, contre l’Ukraine on a fait circuler le ballon sans être dangereux. Nous devons créer plus de problèmes à l’adversaire et être plus agressifs. Contre l’Ukraine, nous avons manqué de réalisme, et c’est quelque chose que nous souhaitons corriger contre la Serbie. » Mais pour être efficace face à des équipes capables de défendre bas, le jeu de position nécessite des prises de risques. Un besoin qui entre en conflit avec la culture tactique du sélectionneur.
En possession, ses hommes sont en capacité de créer les conditions de centres grâce aux passes diagonales. Contre l’Ukraine, le jeu long a été utilisé par Guerreiro (2 réussis sur 4), Rúben Neves (9 sur 10), João Moutinho (4 sur 7), William Carvalho (9 longs sur 11) et João Cancelo (2 sur 4). Ainsi, le Portugal a de nombreux joueurs capables d’envoyer le jeu d’un côté à l’autre du terrain. Mais à l’exception de William (2 grosses occasions créées et 4 dribbles réussis sur 5), aucun des milieux n’a été le moteur des offensives portugaises.
En ce sens, le milieu se transforme en axe ordinaire d’échanges, mais pas davantage. Le Portugal comme la France, a la volonté de contourner le bloc plutôt que de le déstructurer. Elle se réfère donc à la position haute de ses latéraux mais n’a pas la présence physique pour conclure ces séquences avec des centres. Le latéral ou l’ailier est décalé, la surface est attaquée : toutes les conditions sont réunies pour le centre mais ni Dyego Sousa, ni André Silva n’ont été en mesure d’imposer leur jeu de tête. Ainsi, les séquences ont eu tendance à finir dégagées par la défense adverse ou par atterrir dans les gants d’Andriy Pyatov.
Le retrait des troupes axiales
Trois jours plus tard, toujours à l’Estádio da Luz, mais contre la Serbie cette fois, Fernando Santos passe à un 4-4-2 et Danilo sécurise le milieu à côté de William Carvalho. Encore une fois, l’absence d’élaboration offensive saute aux yeux. Elle est soulignée par l’absence de pôle de création au milieu : Pepe transmet à Rúben Dias qui tente de fixer les attaquants rivaux mais cadenassé par le bloc serbe, il transmet à Guerreiro sur le côté. Là-bas, le latéral du Borussia Dortmund trouve William Carvalho juste devant ses centraux qui va renverser de l’autre côté, sur João Cancelo. Et puis ? Le vide. Hormis le dynamisme de Bernardo Silva. En fait, le Portugal souffre dans sa quête de création offensive.
Pourtant, sa circulation est longue (69% de possession), juste (86% de passes réussies), et même intense (645 passes). Mais ce qui ne fonctionne pas, c’est l’absence de création en profondeur au milieu. Dans les schémas de jeu de la Seleção, l’élaboration est prise en charge par les défenseurs centraux, les latéraux et un éclair offensif. Or entre ces éléments de créativité, on retrouve de la solidité physique et tactique, mais surtout un vrai vide de construction.
Ce vide est symbolisé par les rares participations offensives de William Carvalho et Danilo. Allégorie, le fantastique but du milieu de Porto sur sa seule incursion. Le problème s’impose donc : la pertinence de l’association de Danilo aux côtés de William Carvalho dans un système guidé par la recherche d’espaces face à des blocs fermés. En sa présence, le Portugal ne gagne pas en protection mais ne gagne pas non plus en solidité puisqu’elle défend avec le ballon (69% de possession). La Seleção gagnerait plus en installant les profils percutants de Rúben Neves, Pizzi ou Bruno Fernandes. Ou les mouvements de Bernardo Silva.
La voix de Bernardo
Suivant la blessure de Cristiano Rolando à la demi-heure de jeu contre la Serbie, le changement de système opéré par Fernando Santos a été un élément déclencheur. Du 4-4-2, il passe à un 4-2-3-1 avec Bernardo Silva au cœur du jeu. Et son influence est grande : 56 passes tentées, 6 dribbles réussis sur 7 tentés et 4 occasions créées, le joueur de Manchester City est le seul à déséquilibrer la défense grâce à ses dribbles et gestes techniques. Exceptés les latéraux sur le côté et Bernardo au milieu, les Portugais se proposent (en décrochant), plutôt qu’ils attaquent (en se projetant dans le camp adverse).
Dans le dernier quart d’heure, alors que le bloc serbe bouche sa surface, tous les Portugais sont sur la même ligne, et la profondeur n’existe plus. À ce moment-là, seul le pied gauche de Bernardo à partir d’une position arrêté permet à l’équipe de créer du danger. Mais cette influence ressemble plus à un monopole qu’à un excès de pouvoir. Car sur les deux rencontres, les seules paires capables de produire du jeu ont été moulées autour du milieu : Bernardo-Cancelo et Bernardo-Guerreiro pour un grand nombre de centre. Mais il manque d’échanges dans l’axe. Dans ce secteur, l’ex-Monégasque est le seul à prendre des initiatives. Alors que le Portugal a besoin d’une société créative au milieu, elle ne possède qu’un chef isolé.
De la nécessité d’un nouveau tableau
Éloignées dans le temps, courtes dans la durée, les périodes internationales ne renforcent pas l’implantation des nouveaux principes de jeu chez les joueurs – quoique bien connus par beaucoup. Et l’adaptation de ces joueurs dans ce schéma de jeu inédit pour la sélection. Mais pour compléter son œuvre, Fernando Santos pourrait peindre un nouveau tableau. Avec une défense à trois, l’ingénieur placerait ses brillants latéraux dans des conditions de création optimales sans renoncer au contrôle et à la solidité dans l’axe.
Avec Bernardo Silva en organisateur et Ronaldo dans la surface plutôt que sur un côté, accompagné par André Silva, elle gagnerait en activité. Un peu plus d’un an avant son retour dans la compétition dont elle est championne en titre, le Portugal cherche ainsi encore la formule permettant de donner vie, avec harmonie et efficacité, à son football de mouvements.
En ce sens et parce que ce type de changements de cap implique des résultats pour être jugé positivement, le Final Four de la Nations League en juin avec la Suisse, les Pays-Bas et l’Angleterre, peut s’avérer essentiel.
Super article !