Le 9 août marque le début de la saison 2013/2014 de Ligue 1 mais le championnat a déjà commencé dans les tribunes. Avec un match à huis clos pour Nice et Monaco, sans compter la suspension de trois matchs du bloc 34 des Green Angels de Saint Etienne. Ces sanctions surviennent après une année difficile envers les groupes ultras en France. Dès lors, on ne peut que se demander pourquoi une telle politique répressive s’abat sur le mouvement ultra français et s’interroger sur son avenir.
L’Euro 2016 serait-il la raison du pourquoi ? L’organisation de la compétition européenne a entraîné le début d’une répression sans faille contre les ultras français. Des stades modernes sortent de terre avec des mesures de sécurités encore plus drastiques, l’objectif étant de remplacer les supporters par des spectateurs. Des fans avec un coca dans la main droite et un Big Mac dans la gauche. Tel est le spectre qui plane sur les tribunes françaises. « Fondamentalement ce qu’on a connu nous du mouvement ultra jusqu’à il y a encore 5 ans, je pense que ce ne sera plus jamais pareil. Avec la répression aujourd’hui, c’est s’adapter ou mourir… Et s’adapter qu’est ce que cela veut dire ? Cela veut dire perdre beaucoup de la spécificité ultra et ressembler de plus en plus à des clubs de supporteurs normaux, on se rend compte que c’est ce qui est en train d’arriver » nous confiait Nassim président des Ultras Monaco 1994. Le football moderne a encore une fois frappé, mais d’autres tempèrent. Cet Euro peut-il être un nouvel élan comme l’a connu l’Allemagne? Difficile de répondre à l’heure actuelle même si Nassim (UM94) avait commencé à formuler une hypothèse crédible à ce sujet « Je pense que dans les clubs où il y aura beaucoup de succès, beaucoup de grands joueurs, il va y avoir assez d’intérêt de la part des gens qui ne sont pas ultras pour continuer à remplir les stades comme on le voit à Paris actuellement ». La saison 2012-2013 a été témoin de nombreux affrontements entre les ultras et les forces de l’ordre. Les Ultramarines de Bordeaux à Lille, les Stéphanois à Reims et les Lorientais à Lyon ne sont que quelques exemples. Sans compter les interdictions quasi permanentes de se déplacer pour les supporteurs du PSG ou encore des rencontres jouées sans fans visiteurs, notamment le derby Nice-Bastia. Autrement dit, l’ensemble des groupes ultras sont touchés par ce phénomène. Sans parler de l’impossibilité pour les groupes ultras de rentrer leur matériel au Parc des Princes. Les Niçois et Montpelliérains ont du faire appel à un huissier de justice. Plus inquiétant, la plupart des dirigeants ne soutiennent plus leurs fidèles supporteurs. La direction stéphanoise est restée insensible au sort des Magics Fans et Green Angels, à Montpellier la fracture entre Nicollin et la Butte Paillade 1991 est actée depuis longtemps, sans oublier la nouvelle direction du Paris Saint-Germain qui reste insensible au sujet. Le célèbre slogan dit que les dirigeants passent, les supporteurs restent. Oui mais pour combien de temps encore ? Le souhait des instances de football est clair : vider les tribunes des ultras afin de les remplacer par des spectateurs se rendant au stade comme au cinéma ou au théâtre. La division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) dirigée par Antoine Boutonnet est l’un des acteurs majeur de la mort des tribunes ultras en France. Ces personnes peu habituées des stades confondent très souvent ultra et hooligan, soit ferveur et violence.
L’union des ultras français, un équilibre fragile
Le samedi 13 octobre 2012 à Montpellier, un millier de supporteurs ultras venus de toute la France manifestent pour leurs droits de citoyens. La bavure policière lors de Montpellier- Saint Etienne, entraînant la perte d’un œil pour Casti membre de la Butte Paillade suite à un tir de flashball, est l’élément fédérateur. Les ultras ont défilé pour rappeler qu’ils sont des citoyens à part entière mais également contre la répression abusive. L’affaire Casti est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le projet de loi loppsi II, adopté en février 2012 qui soutient la criminalisation des supporteurs, est également remis en question. Cette loi conçue dans la perspective de l’Euro 2016 permet par exemple de faciliter la dissolution des groupes. Cette union sacrée entre les groupes ultras français n’était-elle qu’éphémère ? Sylvain de la Butte Paillade, 1991 à l’origine du rassemblement, nous avait donné don avis : « Je n’espère pas. C’est vrai que vu la tournure des choses… Il y a le sous-préfet qui nous avait promis de faire remonter la motion qu’on avait déposée. On n’a pas eu encore le retour donc je ne pense pas qu’on n’en ait. C’est là le problème. Les coups d’épée dans l’eau, ce n’est pas notre style. On va en mettre d’autres des coups d’épée, jusqu’à ce que ce soit dans la tête de quelqu’un ! Au moins, on aura gagné quelque chose (rire). Mais ouais, ce n’est pas en faisant une manifestation tous les 4 ans qu’on y arrivera, c’est en faisant régulièrement. Là, on s’est vu déjà au mois de janvier avec certains groupes. Ça s’est un peu essoufflé. Il faut qu’on reprenne tout ça… ».
Cette manifestation n’est pas le premier essai des groupes ultras. La coordination nationale des supporteurs (CNS) avait été créée en 2007 à l’initiative des Boulogne Boys dont la première action commune fut le déploiement dans les stades de la banderole « supporter n’est pas un crime ». Cependant, cette coalition est rendue compliquée par la non-présence de groupes ultras majeurs refusant de se joindre à ce mouvement. Le CNS perd donc de son influence car ne pouvant unir l’ensemble des groupes français malgré des manifestations à Lens et à Nice le 17 mai 2008. Déjà à l’époque, ces rassemblements avaient pour but de dénoncer la répression abusive dont sont souvent victimes les ultras, de favoriser la liberté d’expression de ceux-ci mais aussi de dénoncer le football business au profit d’un football populaire rêvé. La coordination nationale des ultras (CNU) regroupant 24 groupes ultras d’équipes différentes est donc créée afin de prendre le relais du CNS. C’est plus ou mois un nouvel échec, malgré des actions fortes. Comme en Coupe de la Ligue, Coupe décriée pour son passé quasi inexistant avec des horaires parfois improbables en semaine et si chère au président de la LFP. Des virages vides, grèves des chants, beaucoup d’actions communes avaient été réalisées par les groupes membres de la CNU contre cette compétition qui surcharge un calendrier déjà bien garni. Malheureusement sans succès. Un autre fait d’arme est à l’actif de la CNU. Reconnaissant le rôle important des ultras dans la vie des stades français, le gouvernement décide d’organiser une table ronde avec les divers acteurs du football. Ainsi, s’est tenu un premier Congrès National des Associations de Supporteurs au Stade de France, le 28 janvier 2010, sous l’égide du sociologue et ancien ultra Nicolas Hourcade. Une grande partie des groupes ultras français ont participé à cette réunion et au groupe de travail réunissant aussi des supporteurs « lambdas », des représentants de la LFP et du gouvernement, des forces de l’ordre et des médias. L’objectif était de trouver des solutions pour que les ultras puissent continuer d’animer les stades dans de meilleures conditions tout en éradiquant la violence. Presque tous les clubs professionnels étaient représentés. En fin de congrès, des discours de Rama Yade et Frédéric Thiriez ont été accueillis sans grand enthousiasme par les groupes présents.
Les ultras franchissent aussi parfois la ligne blanche et les tensions et rivalités peuvent reprendre le dessus. Ainsi, les Stéphanois ont été victimes du vol du morceau « Fans 1991 » de leur bâche « Magic fans 1991 ». Les responsables, des indépendants du virage sud lyonnais, n’ont pas hésité à utiliser la violence. Tout comme les Stéphanois pour se venger. Le vol de la bâche est l’affront suprême pour un groupe ultra, qui plus est, une semaine avant la finale de la Coupe de la Ligue. Et rebelote avec les Rhodaniens, cette fois du virage nord. Les Bad Gones Lyonnais croisent les South Winners marseillais sur un péage. Cette rencontre fortuite s’est soldée par une rixe avec 17 blessés au final. Une bagarre aux conséquences importantes avec le risque de dissolution des groupes. Enfin le derby corse, une bagarre sur le terrain comme dans les tribunes. Les supporters ajacciens auraient été selon eux victimes de jets de pierres de la part des Bastiais. Du coup, le prochain derby se jouera à huis clos cette saison. Il faut dire ce qu’il en est, les ultras sont victimes de la répression mais donnent parfois le bâton pour se faire battre. Ces frasques mises en évidence ne permettent pas de donner une image positive du monde des tribunes.
Médias et désinformations
Supporter et médias, deux mots qui ne vont pas ensemble. Les médias ont souvent perdu leur rôle initial d’informer. Ainsi, la plupart de ces médias sportifs attendent le moindre faux pas des supporteurs pour faire le buzz. L’un des nombreux exemples, le déplacement des supporteurs du PSG d’Auteuil et Boulogne à Porto en octobre 2012. Les journaux annoncent une rixe entre les supporteurs historiques du PSG, « à coups de barres de fer et couteaux de boucher». Mais en réalité, aucun affrontement comme l’annonçait l’ensemble des médias. Ces adeptes de la désinformation restent bien souvent muets lors des frasques des policiers ou lors d’actions de solidarité. Lors de Toulouse-PSG, une centaine de supporteurs issus des « Microbes » (entité des Supras Auteuil) sont bloqués par les CRS sur une aire d’autoroute. Ces contestataires, sans eau ni nourriture, ont attendu toute la journée avant d’être invités à faire demi-tour vers Paris à 21 heures. Un traitement indigne, se rendre dans un stade de foot supporter sa propre équipe est parfois plus difficile que de passer la douane. Dernièrement, différents journaux ont relayé les résultats de la DNLH. Ainsi, M.Boutonnet avance le chiffre de 398 hooligans interdits de stade cette saison. Un hooligan est un voyou qui se livre à des actes de violence et de vandalisme, en particulier lors des manifestations sportives (définition du Larousse). Cependant, on peut contester l’amalgame des supporteurs interdits de stade et hooligans. La DNLH annonce une hausse des IDS suite à l’usage d’engins pyrotechniques, de stupéfiants et ventes à la sauvette. Craquer son fumigène dans la tribune fait donc d’un ultra, un hooligan. On nous aurait donc menti pendant toutes ces années ! Les observateurs s’extasient des ambiances de Dortmund ou de Galatasaray mais sont les premiers à discréditer les supporteurs français. Le futur des ultras va pourtant se jouer en partie dans la relations avec les médias avec qui, pour certains, ils refusent de parler. Ces supporteurs doivent impérativement dialoguer afin d’éviter l’image du supporteurs fauteur de trouble.
De nouvelles mesures liberticides
Des supporteurs ultras parqués dans leur propre stade. Voici le nouveau projet adopté par le FC Metz. Après une saison en national, ou une union sacrée avait été décrétée entre les fans Grenats et la direction, le retour en Ligue 2 se distingue par une nouvelle forme de répression. Ainsi, les tribunes réservées aux groupes la Horda Frénétik, la Gruppa et la Génération Grenat seront accessibles seulement aux membres. Les dirigeants messins ont été incités à adopter ces nouvelles mesures sous la pression de la Ligue et des forces de l’ordre. La DNLH n’est pas étrangère à ce changement de politique du club. Ainsi, le renouvellement des membres des groupes ultras de Metz est rendu quasiment impossible. Cette nouvelle mesure aujourd’hui mise en place dans un club de Ligue 2 pourrait très bien à l’avenir être adoptée dans un club de l’élite du football français.
Des solutions existent pourtant dans d’autres pays, c’est le cas de la Norvège qui montre que le dialogue peut éviter une répression de plus en plus forte des pouvoirs publics. Au prix de démarches répétées avec le club, les pouvoirs publics et les pompiers, les supporteurs des clubs de Rosenborg BK et de Valarenga militent pour une nouvelle régulation concernant l’utilisation d’engins pyrotechniques dans les stades. La législation concernant les fumigènes pourrait d’ailleurs changer dès la saison prochaine… Mais la plupart des pays européens ont orienté une politique stricte encadrant le mouvement ultra. Le projet « sécurité dans les stades » en Allemagne, la tessera del tifoso en Italie. La situation est désormais claire, tous les ultras ont une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Au moindre faux pas, les sanctions seront lourdes. Les belles années du mouvement sont désormais révolues. Des stades sans vie pour un football moderne, est-il là le nouveau projet du football français ?
Avec Bastien Poupat