Ce samedi, pour le compte de la 18e journée de Bundesliga, le Borussia Dortmund se déplace à Mönchengladbach pour affronter l’autre Borussia. Un déplacement qui fait encore cauchemarder des anciens du BVB, qui, un jour d’avril 1978, se sont pris une raclée monumentale. 12-0 ! Le record tient toujours en Bundesliga. Une rencontre qui aurait pu sacrer Mönchengladbach champion d’Allemagne, mais qui a aussi détruit la carrière de certains joueurs de Dortmund et fait naître des rumeurs de matchs truqués. Une confrontation entrée dans la légende de la Bundesliga et qui a engendré quelques inimitiés entre supporters des deux camps.
Nous sommes le 29 avril 1978. Pour le compte de la 34e et dernière journée de Bundesliga, le Borussia Dortmund effectue un court déplacement dans le Niederrhein pour affronter le Borussia Mönchengladbach. Un match sans enjeu pour le BVB. 11e au classement, les hommes d’Otto Rehhagel ne peuvent plus être relégués ni accrocher une place européenne.
Du côté de Mönchengladbach, la donne est différente. Les Fohlen sont seconds du championnat, devancés à la différence de but par leur rival du FC Cologne. Avec un goal-average de +40 – contre +30 pour Gladbach – le 1.FC semble bien parti pour remporter la Bundesliga pour la 3e fois de son histoire. Mais c’était sans compter sur le panache du Borussia Mönchengladbach. Depuis le début des seventies, les Fohlen se sont forgés un palmarès long comme le bras : 5 Bundesliga, 2 Coupes UEFA et 1 Coupe d’Allemagne. Au-delà des titres, la réputation de machine à marquer de Mönchengladbach a fait écho aux quatre coins de l’Europe. Il faut dire que l’effectif a de quoi effrayer: Berti Vogts, Herbert Wimmer, Allan Simonsen ou encore Jupp Heynckes, meilleur buteur de l’histoire du club avec 190 pions (avant cette rencontre). L’attaquant allemand joue d’ailleurs le dernier match de sa carrière face au BVB. L’équipe est chapeautée par Udo Lattek, toujours considéré, à l’heure actuelle, comme le meilleur entraîneur allemand de tous les temps. Costaud.
L’exploit à portée de main
Quelques minutes avant le début de la rencontre, dans les vestiaires, Udo Lattek, le coach du Borussia Mönchengladbach, ne croit pas son équipe capable de réaliser l’exploit, mais harangue tout de même ses troupes : « Sortez et marquez ». Devant les 38 000 spectateurs du Rheinstadion de Düsseldorf, les joueurs vont appliquer à la lettre les consignes de leur coach et débuter leur orgie offensive. Dans le rôle du cobaye, un Borussia Dortmund à la dérive.
Symboliquement, c’est la principale arme offensive de Gladbach, Jupp Heynckes, qui met son équipe sur les rails. Une minute de jeu, Mönchengladbach un, Dortmund zéro. Le début du calvaire pour certains, le début de l’espoir d’un titre inespéré pour d’autres. Le match est à sens unique. Les minutes passent et les occasions s’enchaînent. Pour Gladbach du moins. Peter Endrulat, gardien du BVB, est submergé. À la mi-temps, le score est sans appel. Mönchengladbach mène 6-0. Les hommes d’Udo Lattek ont rattrapé la moitié de leur retard. Car au même moment, Cologne gagne sur le score de 1-0 à Hambourg, face à Sankt Pauli. À cet instant précis, le goal-average des Poulains est de +36, celui de Cologne est de +41. Un écart impossible à combler en une mi-temps pour n’importe quelle équipe. Mais ce Borussia Mönchengladbach n’est pas une équipe comme les autres. Après avoir enfilé les buts comme des perles pendant 45 minutes, Jupp Heynckes et ses potes se mettent à y croire. Seraient-ils entrain de réaliser l’exploit le plus retentissant de l’histoire de la Bundesliga ?
Alors, les Poulains reviennent des vestiaires remontés comme des coucous et poursuivent leur entreprise de démolition. « Nous étions dans une sorte de frénésie », déclarera le joueur de Gladbach Horst Wohlers après la rencontre. « Nos buts ont été rapides, marqués avec une incroyable facilité, c’était simplement le plaisir du football pur. Vous n’aviez jamais peur de perdre le ballon. Tout était facile ».
La deuxième période va ressembler comme deux gouttes d’eau à la première : Mönchengladbach plante 6 pions face à un BVB qui a rendu les armes et se contente de prier pour entendre le coup de sifflet de Ferdinand Biwersi. Même son capitaine, Manfred Burgsmüller a cessé d’encourager ses coéquipiers et attend ce moment avec impatience : « Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point nous étions heureux lorsque le match s’est terminé ». Score final 12-0. Une claque, une gifle, une branlée, une déroute… Appelez ça comme vous voulez ! Une chose est sûre, c’est la plus grosse victoire de l’histoire de la Bundesliga, ou la plus grosse défaite. Tout dépend de quel côté vous vous situez. Aujourd’hui, le record tient toujours. Une ligne qui fait tache sur le CV d’une équipe comme Dortmund, plus habituée à soulever les trophées qu’à servir de défouloir. La palme du pire cauchemar du BVB est attribué à Jupp Heynckes, qui a torturé les défenseurs jaune et noir pendant 90 minutes et inscrit un quintuplé. Le bougre s’est offert un beau cadeau pour le dernier match de sa carrière. À peine la rencontre terminée, une question est sur toutes les lèvres. Mönchengladbach a-t-il réalisé l’irréalisable ? Les hommes d’Udo Lattek sont-ils champions d’Allemagne ? La réponse est non. Pendant ce temps, Cologne s’est bien fait peur mais a fini par taper Sankt Pauli 5-0, brisant les espoirs des Poulains.
Licenciements, amendes, réprimandes et match truqué
À Dortmund, ce match a été vécu comme un traumatisme. Conséquence immédiate de cette défaite historique, le coach du Borussia Dortmund Otto Rehhagel, en poste depuis 1976 est licencié. La direction du BVB contraint ses joueurs à payer une amende pouvant s’élever jusqu’à 2050 Deutsche Mark (environ 1050 euros). Mais un joueur va payer un plus lourd tribut que ses coéquipiers : le gardien Peter Endrulat. Il ne le sait pas encore, mais ce match était le dernier de sa carrière en Bundesliga. À la mi-temps de la rencontre, Otto Rehhagel a pourtant demandé à son gardien s’il désirait céder sa place. Digne et pensant qu’il serait impossible de faire pire lors du second acte, Endulrat n’a pas souhaité abandonner ses partenaires. Une décision courageuse, mais qui a peut-être changé le cours sa carrière. « Avant cette rencontre, mon contrat avec le Borussia Dortmund devait être prolongé. Notamment parce que j’avais aidé l’équipe à assurer son maintien. Mais après Gladbach et le licenciement d’Otto Rehhagel, la prolongation ne vint jamais », confiait Endrulat à Der Tagesspielgel. Un destin brisé en une rencontre, pour un joueur qui poursuivra son chemin dans l’anonymat de clubs comme le Tennis Borussia Berlin ou le SC Charlottenburg. Le départ de joueurs et du coach, un moyen de laver l’affront de la défaite pour Dortmund. Interrogé sur cette rencontre, Wolfgang Kleff, le gardien du Borussia Mönchengladbach au cours de ce match, n’aurait pas accepté que son équipe ne l’abandonne comme l’a été Peter Endrulat. « Si j’avais été dans les cages de Dortmund, j’aurais explosé et j’aurais donné à l’un ou l’autre des joueurs un coup de pied dans le derrière. Je n’aurais pas pu supporter cela avec calme et bienséance. »
Pour le défenseur du Borussia Dortmund Amand Theis, le constat est le même que pour son coéquipier Peter Endulrat. Plus de 30 ans après, il est encore traumatisé par ce résultat. « Si mon adversaire marque deux buts, je me laisse remplacer volontairement ». Ce samedi 29 avril 1978, Theis devait s’occuper de Jupp Heynckes, qui n’a pas marqué deux, mais cinq buts. Un choc pour le défenseur qui se sent aujourd’hui encore coupable : « Je suis resté deux jours enfermé chez moi après le match, je ne pouvais plus me regarder en face », a-t-il récemment déclaré à Der Westen.
Mais ce score improbable a également éveillé les soupçons de match truqué. La fédération allemande de football s’est très vite saisie de l’affaire et a même interrogé les joueurs du Borussia Dortmund présents sur le terrain ce jour-là. Amand Theis le confirme, la rencontre s’est jouée loyalement. Une autre raison explique ce score fleuve :« À la fin de la rencontre, chaque frappe de l’adversaire était un but, nous avions tout simplement lâché ». Si l’enquête de la DFB n’a pas réussi à démontrer qu’il y avait eu match truqué, les joueurs de Dortmund ont eu le droit a une réprimande pour « comportement antisportif ».
Hannes Löhr, attaquant du FC Cologne, est donc champion d’Allemagne 1978. Pour lui, c’est une bénédiction que Mönchengladbach n’ait pas remporté le titre. « À la mi-temps de notre match face à Sankt Pauli, lorsque nous avons découvert le score, nous nous sommes demandés : mais que se passe-t-il donc ici ? En fin de compte, toute autre chose aurait été un scandale. Dieu soit loué, tout s’est bien déroulé ». Si « Dieu » a veillé sur les joueurs du FC Cologne, une chose est sûre, il a abandonné les joueurs du Borussia Dortmund ce 29 avril 1978.
Bon article, que je n’aurais pas eu le courage d’écrire en tant que supporter du Borussia jaune et noir. 😉