27 août 2016, les ultras de la Curva Nord de la Lazio annoncent leur retour après une année passée à boycotter leur propre stade. Tout un symbole, pile 30 ans après que le virage de la Rome biancocelesta a évité une terrible rétrogradation en Serie C à une période où il était pourtant désuni. Si en France les tifosi laziali sont aux mieux réduits à des nazis, cet été 1986, ils furent des résistants.
Parlez-en, de l’été 1986, à un vieux supporter de la Lazio. 30 ans après, il sera encore capable de vous narrer ce qui a failli être la petite mort de son club de cœur. Depuis le fameux scandale du Totonero en 1980, les Biancocelesti traversent la période la plus sombre de leur histoire. Des joueurs de la Lazio sont impliqués dans cette énorme affaire de matchs truqués. Le couperet tombe : relégation d’office en Serie B. Les Romains peinent à s’en remettre et à remonter durablement en Serie A. La ferveur ne quitte pourtant pas cette noble déchue malgré les résultats décevants. La Lazio dispute même deux matchs de cette saison 1985-1986 à guichets fermés devant 70.000 spectateurs. Clin d’œil à ceux qui la pensent incapable aujourd’hui de remplir le Stadio Olimpico, son affluence sera meilleure que l’AC Milan, lui aussi tombé dans le Totonero. Se doutant que cette campagne terminée dans le ventre mou ne serait pas celle de la remontée, les tifosi se tournent très vite vers la prochaine. Sans se douter de ce qui les attend.
Claudio Vinazzani, alors dans l’effectif laziale, est ami avec un certain Armando Carbone connu dans le milieu des paris clandestins. Alors qu’aujourd’hui à l’heure d’Internet des sites légaux de paris existent comme vos paris foot avec William Hill. Ce procédé frauduleux ne fonctionnerait plus aujourd’hui en Europe avec des bookmakers en ligne strictement surveillé par les autorités. Cela étant, les deux emploient une méthode sommaire mais efficace : le téléphone arabe. Ils demandent à leurs amis respectifs de passer le mot et de se mettre d’accord pour truquer les matchs. L’enquête « Totonero bis » démarre en 1986, alors que la Lazio paie encore les conséquences du premier volet. Les écoutes téléphoniques ne trompent pas. Le juge de la fédération italienne Corrado De Biase, déjà détesté par les supporters pour la sanction prononcée six ans plus tôt, réclame une sanction exemplaire : « Une rétrogradation en Serie C pour violation de l’article 1 de la justice sportive ». Une sentence confirmée le 5 mai 1986 par le tribunal de Gubbio (Ombrie). Un coup rude qui anéantit les rêves de retour en Serie A. Ce sera aussi à Gubbio que le nouvel entraîneur de la Lazio Eugenio Fascetti choisira de partir en stage avec une Lazio plongée dans l’incertitude. Le technicien y avait déjà ses habitudes avec son ancienne équipe de Lecce qui barra la route de l’AS Roma quelques années plus tôt pour le Scudetto à la plus grande joie de ses nouveaux supporters.
Une mobilisation populaire et spontanée
Le 24 juillet, les avocats de la Lazio sont à Milan pour plaider la cause ciel et blanc. Le juge De Biase n’en démord pas, d’autant que Vinazzani n’a pas changé de maillot. Et ce, alors que la Lazio est a priori étrangère à l’affaire puisqu’aucun de ses matchs n’a été truqué. Si l’épée de Damoclès menace le ciel biancoceleste, les joueurs préfèrent l’unité à l’exode. Seule éclaircie : les nouveaux propriétaires épongent des dettes de justesse laissant un ultime espoir en fonction du verdict. À la fournaise du mois d’août s’ajoutent plusieurs manifestations à Rome où les esprits s’échauffent avec quelques incidents. Comme le 20 août, quand des milliers de supporters protestent dans les rues contre ce qu’ils estiment être une injustice et un acharnement. Une semaine plus tard, les juges de la Cour d’appel fédérale (CAF) se réunissent à l’hôtel Hilton pour décider du sort de la Lazio. Dans le même temps, le football tente de reprendre ses droits avec un match de Coupe. Le Naples de Maradona, le futur champion d’Italie, se présente à l’Olimpico. Pourtant, tous les yeux sont rivés vers le Mont Mario où se joue l’avenir du club.
Un journaliste de la Rai, la télé publique italienne, Sandro Petrucci, par ailleurs laziale de cœur, apprend que les juges, bien que partagés, ont décidé de confirmer le jugement au premier degré. Petrucci le révèle en direct le soir au journal télévisé de la deuxième chaîne, tandis que les équipes viennent tout juste de descendre sur le terrain. Les portables n’existent pas encore. Cependant, les téléphones fixes de la tribune de presse du stade s’affolent. Le bruit se répand dans les travées, même si Internet et les réseaux sociaux existent encore moins. Une véritable douche froide. À ce moment, dans les têtes, c’en est fini de la Lazio. Se dépêtrer aussi bien sportivement que financièrement de la Serie C (où les faillites sont nombreuses) n’est pas donné à tous. Surtout pour une institution aussi glorieuse. Déjà tendus par l’attente, les nerfs des tifosi commencent à lâcher. « Je n’ai jamais vu une chose pareille, confie le gardien Giuliano Terraneo dans le livre La banda del meno nove de Stefano Greco. Avec les indiscrétions sur la confirmation de la rétrogradation en Serie C, le stade s’est quasi complètement vidé de manière spontanée. C’était un spectacle impressionnant, très désagréable et terrifiant. Puis la fumée des lacrymogènes, les informations des incidents. Un climat surréaliste pour qui, comme moi, était à peine arrivé à Rome. On croyait avoir atterri en enfer. »
Une âme d’irréductibles
Cette soirée-là sera en effet des plus agitées, des heurts sont à déplorer avec les forces de l’ordre. Les tifosi se massent devant l’hôtel Hilton, où se barricadent les juges de la CAF durant cette nuit de violences. Évidemment, les habitués du secteur populaire de la Curva Nord ne sont pas en reste. En ces temps plusieurs groupes constituaient ce virage, les Eagles et les Viking. Face à la colère laziali et les émeutes provoquées, les juges en train de rédiger leur jugement sont « contraints » de revoir leur décision. La Lazio s’en tire avec neuf points de pénalité pour le prochain championnat de Serie B. Un handicap bien plus pesant qu’aujourd’hui, car la victoire ne valait que deux points. Un mélange de joie, de frustration et de rage s’empare des présents, avec l‘impression d’avoir repoussé l’échéance d’un an. De cette nuit tumultueuse naîtra l’idée du nom « Irriducibili » (irréductibles), groupe emblématique qui laissera place au grand rassemblement de la Curva Nord en 2013. « J’ai l’impression d’avoir été et d’être toujours irréductible sans n’avoir jamais fait partie des Irréductibles, sans avoir vécu de l’intérieur cette transformation de ma Curva Nord lors de ce bouillant été 1986 », écrivait Stefano Greco dans une chronique sur sslaziofans.it il y a un mois.
Un leader de la Curva Nord appelait en juillet dans son émission sur une radio de laziali à revenir dans ce virage. Le boycott à domicile des ultras dure depuis l’avènement de barrières divisant leur secteur il y a un an. Un choix difficile qui a complètement tué l’âme de l’Olimpico, aussi bien pour la Lazio que la Roma. Le choix de ce retour pressenti des irréductibles biancocelesti a été officialisé le 27 août dernier, 30 ans jour pour jour après cet inoubliable 27 août 1986. Greco critique dans son billet cette décision perçue comme l’abandon d’une bataille, contraire à l’esprit de ne jamais céder. Cette âme d’irréductibles qui a poussé les joueurs de la Lazio à ne pas déserter au bord de la Serie C. Cette ferveur à l’origine des arrivées de Gabriele Pin, alors titulaire à la Juve, Terraneo (Milan), Paolo Mandelli (Inter), Raimondo Marino (Napoli), et bien d’autres. Ou encore qui a permis de conserver une légende comme Bruno Giordano. Tous formeront « la banda del meno nove » (la bande du moins neuf).
Menés par un entraîneur de poigne, les joueurs de la Lazio lutteront jusqu’à la dernière journée régulière de Serie B dans un match épique face à Vicenza devant plus de 60 000 spectateurs. Le barrage pour le maintien face à Campobasso joué à Naples déplacera près de 40 000 laziali. Au bout de la souffrance, la délivrance le 5 juillet 1987. La Lazio est sauvée, et connaîtra par la suite une remontée ainsi que des années dorées sous l’ère Cragnotti. Irréductibles.
Le seul, le vrai, l’unique, le foot à l’italienne.
La chiesa, il stadio e sempre la famiglia.