Début août, c’est la reprise de nombreux championnats de notre très jeune continent. Alors que certaines équipes ont déjà commencé la saison et en connaissent un peu plus sur son dénouement, d’autres attendent encore leur tour pour s’immiscer dans la partie. Le jeu du ballon rond repart pour une nouvelle fête.
Comme chaque été, un peu avant minuit et le début de la soirée, après quelques discussions amicales de retrouvailles, tous rejoignent la table à laquelle ils sont conviés. Et jouent tous au même jeu. Là-bas, quelques-uns retrouvent la même place au même endroit depuis des années, quand les plus jeunes se payent un siège bancal et que le vainqueur du dernier classement prend place sur un siège qui domine le tapis vert. Et comme chaque année, dans l’attente impatiente d’une nouvelle partie, leurs pions se sont taillés une posture et un revêtement plus neuf. L’heure a sonné. A cette époque, les arbres sont chargés de fleurs et les journées battent encore les nuits. Mais cela est bientôt fini. Un bonheur s’éteint doucement et un autre bien plus pressé nous est offert. Maintenant, les cartes peuvent être redistribuées et les dés relancés. La saison commence.
La construction d’un espoir
Et la précédente alors ? Que reste-t-il dans nos mémoires une fois que le trophée est rangé dans l’armoire du vainqueur et que son nom rempli une ligne de plus dans l’histoire ? Des souvenirs d’une grande compétition ? Mais qu’est ce qui caractérise la grandeur d’une compétition ? Certainement les histoires qu’elle raconte, les émotions qu’elle dégage, la tension qu’elle fait ressentir, le niveau de jeu qu’elle présente. A la dernière partie, les vainqueurs s’étaient montrés dans l’ensemble entreprenants, comme Manchester City, le Bayern Munich, le Paris Saint-Germain, le FC Barcelone et le FC Porto, en dévoilant un jeu fluide. Accompagnés par des seconds comme Schalke 04, Naples et l’Atlético Madrid, aux idées très claires. Des charmantes équipes : Real Betis, Girona, Sampdoria, Atalanta, Hoffenheim, Bayer Leverkusen, Chaves. Et des jolis spectacles : la longue lutte Juventus-Naples pour le titre de Serie A, celle entre Porto et Benfica en Liga NOS et celles pour l’Europe dans chaque championnat national. Mais le classement lui, comme le classement final d’un jeu entre amis écrit sur un bout de papier est immédiatement jeté aux prémices d’une nouvelle partie.
Car pendant l’été, les sorties du samedi soir, jour de match habituellement, les compétitions de jeunes en Europe et les soirées en terrasses ont tout effacé. Sauf pour certains cas profonds : la descente aux enfers de l’ASNL, le voyage européen étonnant de l’OM, la relégation d’Hambourg après 55 saisons consécutives en Bundesliga. Mais dans tous les cas, c’est une histoire ancienne envolée. « Le temps adoucit tout » écrivait Voltaire. Il emporte dans un long et ennuyant voyage nocturne fait de remords et de dépit, mais depuis quelques semaines, calendrier de la saison annoncé, transferts actés, une sensation d’une tout autre espèce anime le fidèle. Cette privation de compétition, de jeu durant l’été fait revenir tout le monde à l’essence même du jeu : l’imprévisibilité. Cette période, celle où les participants se mettent à rêver, imaginer. Où rien n’est fait et justement où tout reste à faire. Aussi bien pour les gros bolides que pour les petites citadines, l’odeur du coup de feu de départ à la même odeur pour tout le monde. En fait, le mois d’août c’est la phase rêveuse du supporter.
La loi de l’enjeu
Pourtant, dans quelques semaines, la partie offrira un football bien différent. Car comme tout jeu, comme la vie, le football est habité par la survie de l’enjeu. Lorsque celui-ci fuit, le jeu n’est plus que règles et lois. Ainsi au printemps, alors que la période hivernale sera doucement passée, les journées du championnat se seront écoulées et l’espoir lui, sera pour beaucoup perdu. Le football prédestiné est d’une tristesse inouïe, comme un long film dont on connait la fin. Alors en automne, lorsque le dénouement deviendra immuable, que tout sera fait, que les clubs éliminés de toutes les coupes, recalés à l’entrée de boite de nuit, seront pour la plupart contraints de roder dans leur championnat respectif jusqu’à la fin de saison dans l’unique but de remplir les cases manquantes du calendrier, le supporter, lui, verra ses espoirs et rêves barricadés par la réduction au néant des lignes du classement. Résultat de tout ça : une frange d’euphoriques dispersés dans une foule de désespérés. Pour peu, l’envie, l’excitation du résultat final de la saison se remettra à bourgeonner avec les compétitions européennes. Pour la grande majorité, ces sensations n’auront pas pris racine. L’imprévisibilité est le charme du football. Mais lorsque ce charme meurt, quand le calcul de nombre de point atteint une limite, on se rend compte que la fête est déjà finie. « L’histoire du football est un triste voyage du plaisir au devoir » écrit l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano. Ainsi, l’histoire d’une saison de football aussi.
Mais des fois, un homme offre sa science du jeu à certains supporters au destin injuste d’équipes à l’ombre. Et le jeu dévoile un endroit où cette expédition de football s’offre un looping. Dans le nord-ouest de l’Espagne entre 2011 et 2013, puis dans le sud de la France en 2014, dans son nord en 2017. Et, cette année dans la cité de Leeds en 2018. Alors, si le plaisir est évidemment au cœur de la performance sportive, chez beaucoup, il est l’origine de la conquête de résultats et trophées, mais chez Bielsa, il est la finalité d’un processus de satisfaction chez les supporters. Sur son terrain, pour ses joueurs, la saison est un courageux voyage du devoir, le temps d’assimiler l’homme et sa philosophie, au plaisir. Dans les gradins d’Elland Road, pour ses supporters, la saison est un entier voyage de plaisir qui ne s’arrête jamais, à moins qu’il termine lui-même écartelé. « Envers le public, nous avons des devoirs, jamais des droits. Je me demande seulement ce que nous devons offrir, et pas l’inverse » aime-t-il rappeler. C’est la morale du justicier Marcelo Bielsa. Et surtout l’histoire d’un homme qui donne sa vie pour produire des émotions chez les mendiants de football. A ce moment-là, où les places européennes sont décidées, les membres du haut et bas de tableau s’affrontent en petit comité, la saison est finie pour de nombreux clubs. Dont les supporters oublient le calendrier appris auparavant par cœur, se permettant même de sortir les soirs de matchs, car l’enjeu n’est plus. Chez les fans de Leeds et les adorateurs de Bielsa, le cœur bat mais surtout vibre toujours, en hiver et même à la fin du printemps.
Le dessous du jeu
Alors, en août, lorsque le championnat débute, que les portes des stades s’ouvrent de nouveau, les murs des allées tendent l’oreille à toutes les discussions, les gradins se remplissent de maillots aux mêmes couleurs, l’enthousiasme revient à vive allure. À ce moment de la saison, le destin n’est qu’un vide mais les espoirs fous prennent une grande envergure. C’est un véritable droit au rêve. Le moment des premiers vœux d’un long pèlerinage. La nuit tombe et c’est l’entrée de la fête. Un nouveau départ qui suppose l’aurore de questions distrayantes : Quels seront les relégués ? Quelles équipes vont compléter le podium ? Qui sera champion ? Et des questions plus nourrissantes. Les équipes de Domenico Tedesco, Quique Setién et Marco Giampaolo vont-elles encore séduire par leurs philosophies de jeu ? Le Burnley de Sean Dyche se montrera-t-il tout aussi puissant dans son 4-4-1-1 très bas comme en 2017-2018 ? La philosophie protagoniste et verticale de Maurizio Sarri s’adaptera-t-elle avec la verticalité de la Premier League ? Son Chelsea peut-il réunir les disciples d’un Gegenpressing, type Liverpool, et ceux d’un jeu de position, type Manchester City ? L’institution AC Milan, convaincue d’atteindre le sommet en 2017-2018 va-t-elle retrouver une identité et des idées ? Le FC Séville de Pablo Machín permettra-t-il à la ville de briller des deux camps ? Lucien Favre peut-il corriger les problèmes collectifs (phases sans ballons, transitions défensives) de Dortmund et l’emmener au sommet de la Bundesliga pour la première fois depuis 2012 ? Et tant d’autres. Parce que l’été n’est pas fini et la saison ne fait que commencer. Au pire, on attendra le début d’une nouvelle partie.