Aaah ! Le fair-play ! La bonne entente entre supporters adverses, unis autour de l’amour commun du ballon rond ! Les franches tapes dans le dos entre adversaires avant le match ! Les applaudissements lorsque l’équipe adverse fait une belle action ! C’est beau hein ? Oui. Mais non. Le fair-play est à la tribune ce que la bière sans alcool est à la buvette.
Selon le Larousse, le fair-play désigne la « pratique du sport dans le respect des règles, de l’esprit du jeu et de l’adversaire ». Donc oui, nous sommes bien d’accord, le fair-play, c’est joli. C’est même mignon. Allez, disons le tout net : le fair-play, c’est kawai. Carrément. Finalement, ce n’est jamais que l’application des règles basiques de la société à un sport : on respecte l’autre, on est gentil avec lui, on est de bonne foi etc. Théoriquement parlant, tout le monde devrait A-DO-RER le fair-play. Tout le monde ? Non. Un groupe résiste encore et toujours : le supporter. Ou plutôt, le supporter de foot. Pourquoi ? Parce que le fair-play c’est nul. Ces quelques lignes vous expliqueront pourquoi il vaut mieux le laisser aux amateurs d’ovalie.
Nous avons tous connu ce speaker insupportable qui braille dans son micro, peu importe l’adversaire : « Le football c’est la fête, la fête c’est le football » et autres « applaudissez les [insérez le nom des supporters adverses] qui ont fait le déplacement ce soir ». Nous avons aussi tous vu, avec sidération, certains spectateurs applaudir ces mêmes supporters adverses et semblant se dire en même temps : « Ils ont du courage tout de même ! Tant de kilomètres avec ce temps ! Et seulement pour un match ! ». Vous, qui êtes allé à Minsk, Salonique ou (pire) Luzenac ou Plabennec pour 1 h 30 de plus ou moins beau jeu, vous ricanez intérieurement tout en adressant toutes sortes de qualificatifs péjoratifs à ces squatteurs de parcage parfois agrémentés de gestes fort peu accueillants.
Je t’aime moi non plus
Ces supporters adverses, on les aime autant qu’on les déteste et c’est en effet à cela que tient une grande partie du « sel » du foot. Rien n’égalera jamais cette boule au ventre indescriptible, mélange de stress et de sur-motivation, que l’on ressent dans son stade ou à l’extérieur face à une tribune adverse bien garnie. Lorsque le parcage est plein comme un œuf, le supporter tient, encore plus que d’habitude, à défendre son territoire. Au-delà même de son club, il défend son Stade. Que des voix discordantes s’y fassent entendre lui est particulièrement insupportable, il se fait donc un devoir de chanter encore plus fort pour espérer couvrir les braillements atroces émanant du parcage. Oui, les « braillements atroces » et non pas « les chants sympathiques de nos adversaires mais néanmoins amis ». Même si leurs chants sont canons. Même si leur gestuelle est quasi-irréprochable. Au pire avouera-t-on a mi-mots quelques temps après le match que « le parcage était pas mal quand même ». Peut-être l’avouera-t-on en plein match, mais uniquement pour piquer au vif notre tribune qui aurait démérité et nous aurait fait honte, espérant par là provoquer un sursaut d’orgueil. Le capo n’hésitant parfois pas à proclamer face à un groupe jugé trop mou « putain les gars, on n’est pas [insérez le nom de la ville hébergeant les plus vils représentants du supportérisme français] ! ». Car oui, le supporter fonde notamment son identité sur l’opposition : si tu es stéphanois, tu n’es pas lyonnais, si tu es parisien, tu n’es pas marseillais, si tu es guingampais tu n’es (surtout) pas brestois. Sans cette opposition, il ne reste que du sport. Or, le foot, c’est bien plus que ça.
En effet, si nous n’étions qu’amateurs de foot, nous nous contenterions de matchs de Ligue des champions. Or, nous nous infligeons d’apparemment détestables Metz/Nancy, Lens/Lille ou Auxerre/Sochaux avec un enthousiasme dingue lorsque nous sommes supporter de l’une ou l’autre équipe. Par ailleurs et uniquement par principe, on ne se réjouira jamais du bonheur de l’autre mais plutôt de son malheur. Une bonne fessée infligée au Stade Rennais (par Quevilly, par exemple) mettra n’importe quel supporter nantais ou guingampais digne de ce nom en joie. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Que l’Autre, quand il ne supporte pas la même équipe que nous, est intrinsèquement détestable. Il pourra s’avérer parfaitement charmant dans la « vie civile » mais une fois dans le stade, il ne sera jamais qu’un pauvre Rennais/Parisien/Lyonnais. (Au fait, si ce n’est pas déjà fait, regardez le génial « Looking for Manchester » de Cantona avec ce couple mi-City / mi-ManU…)
Penalty pour Lyon
Le supporter est par ailleurs d’une mauvaise foi à toute épreuve, jamais il ne s’enthousiasmera du jeu léché de l’adversaire. Il éprouvera les plus grandes difficultés à reconnaître que les siens ont failli. Il se dira forcément que ce « penalty pour Lyon » est encore dû à une machination orchestrée par Jean-Mich ou que ce but du coude de son attaquant vedette n’est pas « tant du coude que ça » ou qu’il compense le corner non sifflé lors du match aller. Il plaindra son joueur blessé et criera à la simulation lorsqu’un joueur adverse se retrouvera sur une civière et il n’aura de cesse de huer ce goal adverse qui prend son temps pour dégager à la 89ème minute alors qu’on perd 2-0 et qu’on peut encore remonter le score… De plus, le supporter émettra à l’occasion des suppositions quant à la sexualité de l’arbitre voire de l’ensemble de l’équipe adverse (et, pourquoi pas, des épouses des joueurs de l’équipe adverse).
Alors on appellera ça du « mauvais esprit », du « chauvinisme » ou on ne sait quoi encore… mais on ne nous enlèvera pas l’idée que sans cette rivalité, il n’y a pas de tribunes, il n’y a pas d’ultras et il n’y a pas de football populaire. Ce week-end, une tribune jadis joyeuse, survoltée et qui faisait tant vibrer se meurt. Parce qu’à la mauvaise foi elle a préféré la politesse, qu’à la hargne elle a préféré le fair-play, qu’à la beauté de la passion, elle a préféré le chèque du « meilleur public de France » et que par là, elle a perdu son âme. Parce que oui, le foot, c’est plus que du sport, la tribune, c’est bien plus que du spectacle, et le supporter, c’est tellement plus qu’un spectateur. Et le fair-play, c’est nul.