Né en 2013 peu avant la Coupe du monde, le Bom Senso Futebol Clube n’est pas un nouveau club mais un mouvement de joueurs évoluant au Brésil « pour un football meilleur pour tous». S’il est possible de les considérer comme des révolutionnaires, il s’agit avant tout d’un mouvement éclairé sur les réalités du football d’aujourd’hui. Portrait.
Un mouvement original et engagé
Mouvement social des joueurs du Flamengo et du Corinthians au Maracanã, le 24/11/2013
Saisissantes, ces images de joueurs de deux équipes adverses qui s’assoient durant une minute une fois le coup d’envoi sifflé, avec les bras croisés. De même, quand ils s’assoient tous en rond au centre du terrain. Face à ces protestations, la Confédération Brésilienne de Football demande aux arbitres de distribuer des cartons jaunes. Classe ! Les joueurs se passeront la balle durant une minute, échappant ainsi aux sanctions. C’est un nouveau mode de mouvement social… le Bom Senso Futebol Clube, la protestation la plus lucide et réjouissante du monde du football actuel. Le Bom Senso est né autour du joueur Paulo André, ancien joueur du Corinthians passé par la Chine qui signe en février 2015 au Cruzeiro. Presque 2 ans après sa création, le Bom Senso regroupe plus de 100 joueurs parmi lesquels Dida (Internacional), Alex (Coritiba), Rogério Ceni (São Paulo) ou D’Alessandro (joueur argentin de l’Inter de Porto Alegre).
Un calendrier absurde orchestré par la CBF et la Globo
Au royaume du foot, la Confédération Brésilienne de Football et le géantissime groupe de presse Globo sont rois. Ils régissent le football amateur et professionnel, 684 clubs professionnels au Brésil et plus de 11000 équipes amateurs d’après la fondation Getúlio Vargas. Pour Alex, « la CBF et la Globo vont assassiner le football brésilien », car leur calendrier tient du grand n’importe quoi. Un gros club peut être amené à faire plus de 80 matchs officiels, et les joueurs n’en peuvent plus. En plus du championnat brésilien (Brasileirão) et de la Copa do Brasil s’ajoutent les championnats régionaux, les championnats d’Etats, les traditionnelles Coupes continentales (Copa Libertadores, Sud-Americana, Recopa) et les moins traditionnelles Coupes intercontinentales (Mondial des clubs et Copa Suruga). En clair, une énormité pour un joueur.
Alors quand le calendrier 2014 est tombé, avec en plus la Coupe du monde (adaptée aux calendriers européens, mais pas au brésilien), s’en était trop.Car si les grands clubs sont très sollicités, des centaines d’équipes effectuent moins de 10 rencontres par an. Autant de disparités que le Bom Senso FC pointe du doigt : sur les 684 clubs professionnels au Brésil, 583 n’ont pas un calendrier réparti sur l’année. Et 85% d’entre eux sont inactifs pendant plus de 6 mois. Forcément, le mouvement fâche les dirigeants et attise les critiques. Vempeta, joueur furtif du PSG et entraîneur brésilien ironise « Je prends mes 500.000 reais (153 000 euros) et je réclame 60 jours de vacances ? ». Comprendre que les joueurs du Bom Senso sont bien lotis et qu’ils n’ont pas à se plaindre.
En bas de l’échelle du foot business
Si le Bom Senso FC est formé en partie de sportifs issus de l’élite du championnat brésilien, il met en lumière la dure réalité du bas de la pyramide du foot business. Ici, pas de paillette ni de maillot floqué. Selon les chiffres de la CBF, 60% des sportifs professionnels gagnent moins que le salaire minimum et 15% sont sans emploi durant 6 mois par an. Des joueurs qui galèrent pour vivre.
Figure majeure du Bom Senso FC, joueur de l’élite, Paulo André a connu la précarité. Il jouait dans une petite formation de l’Etat de São Paulo, l’Aguas de Lindoia Esporte Clube : « Je dormais sous un hangar avec 30 autres rêveurs dans mon genre […] Nous n’avions pas une alimentation très variée […] Pour l’entraînement, le moindre coin d’herbe dans la ville faisait l’affaire. Quand nous avions un match ailleurs, un peu loin dans l’Etat, le bus tombait souvent en panne et nous arrivions en retard, après le coup d’envoi. Mon salaire était dérisoire, 180 reais [58 euros] par mois, quand je le touchais ».
Pour lui, la CBF et les fédérations « ne font rien d’autre que de tuer à petit feu les clubs de l’intérieur ». Le Bom Senso réclame moins de matchs pour les équipes de Serie A (la première division) dont les joueurs croulent sous le nombre de rencontres au détriment de leur santé, tandis que ceux des petites sont sous-employés et en grande difficulté.
Les revendications sont simples : une régularisation du calendrier par l’augmentation du nombre de matchs joués par les petites équipes et l’institution d’une bonne pratique financière, le fameux fair-play financier. Les clubs s’endettent de plus en plus et ne peuvent plus respecter leur engagement d’employeurs, aux dépens des joueurs qui réclament leur salaire. Et on ne parle pas seulement des petits clubs. Le Santos est en plein cœur d’un scandale car il ne peut plus payer ses joueurs, parmi lesquels la star Robinho, qui n’a toujours pas reçu son salaire de décembre.
Football pour tous
Les supporters sont aussi victimes de ces matchs à répétition et tiennent à cœur aux membres du Bom Senso. Alex reconnaît lui-même : « Nous étions supporters, aujourd’hui nous sommes joueurs, nous redeviendrons des supporters ». Les stades sont désertés, même en Serie A et B. Évidemment, le public « n’a pas assez d’argent pour aller au stade trois fois par semaine ». Avec cette statistique ahurissante : le Brésil est le 18e pays en termes d’affluence au stade. Il arrive derrière l’Australie. Peut mieux faire pour le pays du foot.
Le Bom Senso FC n’est pas un mouvement typique de révolutionnaires. Juste de joueurs qui réfléchissent. Pour le journaliste sportif brésilien Juca Kfouri, le Bom Senso « est la modernité à la recherche d’un nouveau modèle de gestion de notre football ». Le football défendu par le Bom Senso FC est humain et raisonnable. Comme le nom du club l’indique, c’est une question de bon sens.
Le 20 janvier 2015, la présidente du Brésil Dilma Rousseff a convoqué le Bom Senso à un groupe de travail interministériel sur le fair-play financier. Preuve qu’il est pris très au sérieux.