Pendant que le football français est occupé à traverser l’une des plus graves crises de son histoire, entre pertes de recettes liées au coronavirus et retard de paiement de son nouveau diffuseur, l’envie de certains supporters de posséder des parts de leur club est parfois tombée dans l’oubli. Pas à Bastia et Rouen, uniques exemples de réussite.
« Je ne sais pas qui vous représentez, combien [d’associations], et quels sont vos objectifs. C’est plus clair avec l’ANS », taclait Didier Quillot lors des troisièmes assises du supportérisme en octobre 2016. Quatre ans se sont écoulés depuis les propos de l’ex-DG de la Ligue, aujourd’hui conforté par le destin du Conseil National des Supporters de Football (CNSF). Le site de la principale organisation nationale promouvant l’actionnariat populaire fondée en 2014 pointe désormais vers un article d’une salle de sports à Nantes. Confirmant que le CNSF n’a plus d’activité, la faute au manque de temps de ses membres fondateurs partis vers d’autres horizons.
L’émergence de l’Association Nationale des Supporters, certes davantage tournée vers les problématiques sécuritaires, a aussi troublé les interlocuteurs du CNSF. Les instances, à l’image de Didier Quillot, se sont engouffrées dans la brèche. Toutes heureuses d’avoir un argument de représentativité à opposer à des supporters qui oseraient se mêler de gouvernance. C’était oublier la contribution du CNSF à certaines avancées, dont l’aboutissement à la loi Larrivé. Mais l’idée d’un actionnariat populaire dérange. Il ne s’agit pourtant pas de s’inspirer du modèle espagnol, où certains clubs sont détenus en totalité par les socios. Juste d’une minorité de parts acquises par les supporters et une vraie représentation au sein de ceux-ci, ce qui améliorerait la transparence.
Bloquage ou abandon des associations
Dans la lignée de l’inactivité du CNSF, l’organisation européenne Supporters Direct reconnue par l’UEFA semble avoir abandonné le terrain hexagonal pour y exercer son lobbying à ce sujet. Les associations membres du CNSF – et les autres – bataillent donc désormais chacune de leurs côtés à leur échelle locale. Avec peu de réussite jusqu’à présent. La pionnière en la matière A la Nantaise a beau être l’une des seules à avoir réussi à lever des fonds, elle n’en demeure pas moins bloquée tant que Waldemar Kita détiendra le FC Nantes. Concernant l’OM, idem pour le Massilia Socios Club qui admet de son côté ne pas être certain de parvenir un jour à son objectif.
Aucune prétention à la vérité. Le projet @om_socios réussira, reussira pas ? On n en sait rien. Dire que ça ne marchera pas ne représente pas plus une vérité que de dire qu il faut essayer. Les supporters @OM_Officiel n'ont rien à perdre. #TeamOM #OM https://t.co/AR90dL5X9A
— Massilia Socios Club (@om_socios) October 24, 2020
Certaines associations ont mis de côté ces préoccupations d’origine, préférant se concentrer à d’autres activités ou sur la situation sportive délicate de leur club. C’est un peu le cas du Mouvement Azur et Or (MAO) à Toulon dont le fondateur, très porté sur l’actionnariat populaire, s’est retiré. Priorité est donnée à la culture club avec la réalisation notamment d’émissions sur YouTube autour du Sporting (N2). « Mais c’est toujours quelque chose dans un coin de notre tête », confie l’actuel président du MAO. Des socios existent déjà à Toulon – au Havre aussi – depuis 2007 lorsque 250 supporters ont acheté des parts à la création de la SASP. Nombre d’autres fidèles du Sporting leur reprochent toutefois de ne pas représenter la majorité des supporters et d’être bien trop lisses avec l’actionnaire majoritaire Claude Joye.
Bastia et Rouen, les exceptions
De rares exemples de réussite viennent cependant contraster cette situation d’échec collectif. À la suite de la descente aux enfers du Sporting Club de Bastia (N1), le Socios Etoile Club Bastiais voit le jour en juillet 2017. Il représente depuis lors plus de 5600 adhérents. C’est précisément dans ce profil de clubs populaires tombés dans le monde amateur que l’opportunité de monter un système de socios se veut la plus grande. Les Bastiais n’ont pas laissé échapper l’occasion, imitant leurs homologues du FC Rouen (N2). La Fédération des Culs Rouges est devenue actionnaire à hauteur de 7% de la SAS du club normand après une campagne de financement participatif atteignant les 40 000 euros. En outre, les Culs Rouge comptent un administrateur les représentant au sein du FC Rouen.
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A Bastia, deux représentants siègent également au conseil d’administration de la SCIC, deux autres au CA de l’association. Surtout, les socios détiennent 220 000 euros de capital du club. Cela représente environ 20% des parts. Étonnement, cet exemple majeur de réussite n’est jamais mis en exergue. Ce n’est pas faute de multiplier les coups de communications (revue, conférence de presse, publications sponsorisées de flyers sur les réseaux sociaux…) et de mener de nombreuses autres actions. Ainsi le SECB innove dans sa campagne abonnements cette saison avec des packs « famille », et prévoit d’investir cette manne dans divers projets : réhabilitation du terrain d’entraînement pour 100 000 euros, participation au budget de l’académie pour 15 000 euros, réalisation d’actions culture club pour 30 000 euros (dont la moitié pour des panneaux avec des Unes d’époque à l’intérieur du stade). Le tout en prônant des principes de transparence (sondages, votes, élections…). Ces rares succès seront peut-être davantage mis en lumière en cas de retour des Bastiais et des Rouennais dans le monde pro.
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Guingamp, une initiative marketing avant tout
En revanche on ne tiendra rigueur à personne d’avoir oublié que chez les pros, Guingamp a aussi lancé ses « socios » en 2017. Enfin ses « Kalon » (cœur, en breton), projet né de l’idée de l’ancien président de l’EAG Bertrand Desplat. Une initiative marketing avant tout, certes avec un engouement indéniable (17 000 membres). Difficile de parler d’actionnariat populaire lorsque le club en est à l’origine et que le pouvoir décisionnel des Kalon est quasi nul. « Cet apport financier reste anecdotique par rapport à la surface financière du club, assurait Desplat. On peut imaginer que les supporters apportent pas loin de 1.5 million d’euros pour renforcer les fonds propres du club avec cette opération. On ne crache pas dessus bien sûr. Mais ce n’est pas la clef de cette opération ».
Un montant sur lequel le club breton doit encore moins cracher dessus aujourd’hui face aux pertes de recettes de billetterie et l’incertitude autour du paiement des droits TV. Cette solution pourrait s’avérer non-négligeable pour des entreprises en mal de liquidités. Bernard Caïazzo lorgne déjà sur ces potentielles rentrées d’argent depuis des années, lui qui souhaite instaurer un système similaire à Saint-Etienne. « Si vous avez 200 000 socios qui versent chacun 80 euros par an, cela fait un apport de fonds non négligeable. Cela peut apporter une stabilité financière. Le cœur du sujet, c’est ça« , expliquait-il déjà en 2017 à Eurosport.
Cela étant on imagine mal le co-président de l’ASSE voir en ces socios autre chose que des mécènes. En empruntant ce chemin, l’esprit de l’actionnariat populaire en serait détourné. Aux supporters français de se réapproprier l’idée au risque de la voir un jour dévoyée.