Après avoir joué avec les plus grands, de Maradona en passant par Messi, Ronaldinho ou Palermo, Riquelme, le plus grand joueur de l’histoire de Boca Juniors a décidé de mettre fin à sa carrière à l’âge de 36 ans. Il aura passé presque 20 ans à marquer des coups francs, mettre des petits ponts et représenter dignement l’esprit de l’enganche, ce numéro 10 typiquement argentin. En 2012, alors qu’il avait annoncé une première fois son départ de Boca, un journaliste lui avait écrit une lettre ouverte. Et quoi de mieux qu’un supporter de River pour décrire « el ultimo diez ».
Pour Roman ;
Soulagement. C’est la première sensation que j’ai ressentie lorsque j’ai appris la nouvelle de ton départ de Boca. Je suis un fanatique de River, comme toi tu l’es de Boca. Ton époque de gloire et de triomphe a coïncidé avec l’étape d’ostracisme et de déchéance de River. Comment veux-tu que je ne sois pas soulagé ?
Ensuite, on peut parler de toi en tant que joueur de football. Sais-tu combien de fois je t’ai traité de « pecho frio » (poule mouillée, ndlr) ? Tristelme ? Freezelme et autres surnoms nés de la rivalité footballistique ? Peux-tu me blâmer ? Je ne crois pas.
Hier, tu a dis à la presse et à Mundo Boca « je suis né bostero et je vais mourir bostero ». Et bien moi, je suis né gallina (poule, surnom péjoratif de River) et je vais mourir gallina. Je l’ai dans mon ADN. Je pensais que dans cet héritage génétique venait également le fait de ne pas t’apprécier. En réalité, c’est une conséquence de mon amour pour ce maillot à bande rouge. Tu as toujours, toujours bien joué contre nous, tu marquais, faisais des passes décisives ou enfilais des coups francs. Toi et tes « amis », Palermo et Guillermo. Vous trois, vous représentez à mes yeux ce Boca qui gagnait tout.
Mais avec toi, Roman, quelque chose de différent se produisit. Je t’ai insulté jusqu’à n’en plus finir lorsque tu as renoncé à l’équipe nationale à cause de ta maman (tombée malade après les insultes envers son fils, ndlr). Tu m’as donné une excuse pour pouvoir dire : « Vous voyez, il est si grand que ça ? Comment peux-tu renoncer à l’équipe nationale ! ». Tu l’as fait une deuxième fois quand le seul joueur plus grand que toi (Maradona) t’as critiqué à la télévision et tu es parti une nouvelle fois. Je t’ai encore critiqué. « Comment peux-tu lâcher la sélection deux fois ! ». Je me suis aussi moqué de toi lorsque tu te blessais tout le temps et lorsque tu as demandé le changement après 5 minutes de jeu lors d’un Superclasico. Ce jour-là, j’ai crié comme un taré depuis la tribune San Martin du Monumental « Il s’est chié dessus, Riquelme s’est chié dessus ».
Ce qui est bien dans le football, c’est que la roue tourne et que l’on peut accepter ses erreurs. Que tu partes de Boca ne me réjouit pas, mais ça me soulage. Et si j’ai cette sensation c’est parce que, à n’en pas douter, tu as été un grand. Si pour les supporters de Boca, ton nom est synonyme de grandeur et succès, pour moi, il est synonyme de martyr footballistique. Je t‘ai vu marquer de nombreux buts, je t’ai aussi vu quitter mon stade vaincu. Je me suis auto-imposé ne pas t’apprécier. Comment pouvais-je, moi, apprécier une idole de Boca ? Mais je ne pouvais pas t’ignorer non plus. Tu es trop grand pour passer inaperçu pour une personne qui aime le foot. Alors j’ai dû me contenter de la 3ème option : Je t’ai maudit. J’ai vécu toutes tes années à Boca avec cette sensation indicible que la victoire xeneize était possible à n’importe quel instant, endroit, circonstance du moment que le numéro 10 était Juan Roman Riquelme. Ça a souvent été le cas. Je suis journaliste en plus d’être pour River. Je ne communie pas avec ceux qui t’ont élevé au rang de Dieu. Pour moi, aucun joueur ne mérite un tel traitement même si j’ai été tenté de le faire avec Ortega, Enzo (Francescoli, ndlr) et même Trezeguet. Mais je comprends ceux qui le font. Immédiatement, je me pose la question : « Et si tu avais joué à River ? ». Je t’aimerais probablement et je t’idolâtrerais encore plus que ceux qui t’ont mis sur un piédestal mais je ne peux pas. Je ne dois pas. Je ne veux pas.
Ai-je perdu un joueur avec des caractéristiques énormes pour River ? Non, pas du tout. Je t’ai vu pareil. J’ai enduré de la même manière. Et pourquoi ne pas le dire, je prenais du plaisir à te regarder quand tu jouais à Villarreal, en sélection, ou quand tu faisais des passes à Saviola pour qu’il marque à Barcelone. Sais-tu combien de fois j’ai mentionné le penalty que tu as raté contre Arsenal pour démontrer que tu n’étais pas parfait ? Des milliers de fois. Il convient de dire qu’il n’y a pas beaucoup de zones d’ombres dans ta carrière. La vérité, c’est qu’il fallait le faire de mener une équipe inexistante comme l’était Villarreal jusqu’ici. Je peux te le dire maintenant que tu ne joueras plus pour Boca même si tu seras
toujours l’un des leurs.
Je respecte Boca comme rival. Je ne prends pas de plaisir à les voir, je les porte encore moins aux nues. C’est une névrose. Pour moi, Boca représente ce qui est mal, ce qui est impure, ce qui est indigne, tout le contraire de ce que je veux moi dans ce monde du football. Mais avec toi, j’ai eu un dilemme. Tu as les gênes de River Plate, Roman ! Les dribbles, l’élégance, le touché. Tout ça, c’est de notre école. Là-bas règnent la garra, les couilles, gagner par n’importe quel moyen, remporter des clasicos d’une manière ou d’une autre. Comment le meilleur joueur du football argentin des dix dernières années pouvait-il jouer à Boca ? C’était impossible. Ce gars-là devait représenter River.
Tu as changé l’Histoire. Malgré les Rojitas, Marcico, Mastrangelo et Maradona, c’est toi qui leur a changé le goût du jeu. Tu leur as ouvert les yeux. Tu leur as montré le football que l’ont m’a appris depuis tout petit, celui que j’ai reçu avec l’héritage gallina de mon vieux. Comment ne peuvent-ils pas t’aimer ! Tu leur as montré un monde parfait. Si j’étais eux, je t‘aurais aimé aussi.
Mais je ne suis pas eux. Je ne t’aime pas, je ne t’adore pas mais je te respecte. Comme toi, tu respectes River. Si il y a une personne qui a les épaules assez larges et les motifs nécessaires pour critiquer River, c’est bien toi. Ni la grande gueule de Bermudez, ni Maradona et sa légende, ni même Palermo. Le gars qui a le plus fait souffrir River, c’est bien toi. Toi et ta vitesse de jeu différente. Toi et cette classe, ce style de jeu. Et en plus, je ne t’ai jamais vu mal parler de River. En tout cas, pas devant les médias ni devant l’opinion publique. Je t’ai toujours vu parler en bien de mon club : « River doit monter », « le Superclasico me manque » et des tas d’autres phrases du genre. C’est impossible, pour moi, de ne pas te respecter. Et ça, tu l’as gagné. Et vois par toi-même, regarde comme tu es grand, même eux, avec toute la haine qu’ils nous vouent, ont été capables de te critiquer lorsque tu parlais en bien de nous. Tu as été le plus grand joueur de l’histoire de Boca.
J’aime Ortega, j’aime Francescoli. Mon père et mes livres m’ont appris à aimer Angel Labruna, ils m’ont expliqué ce que c’était que la Maquina (la « machine » qui était le surnom de l’attaque de River dans les années 1940, ndlr) et me disent pourquoi, Almeyda, par exemple, n’est pas mon idole. Pour toi, je n’ai même pas un peu d’affection. Je ne me le permets pas. Tu es avec eux, tu es bostero. Tu es contre moi. Mais tu es un p***** de joueur de football. Tu fais partie des meilleurs que ce sport ait connu et même si je ne t’ai jamais apprécié pour les raisons citées précédemment, j’ai quand même eu la chance de te voir jouer sur un terrain de mes propres yeux comme j’ai eu la chance de voir Ortega, par exemple.
Au revoir Roman, grâce à Dieu, tu ne joues plus à Boca. Tu ne vas plus jamais me faire souffrir. Maintenant, peut-être, je prendrais du plaisir à te voir sur YouTube ou pendant une discussion avec des amis bosteros. Avant, je ne pouvais pas, tu sauras comprendre pourquoi. À plus, on se reverra à chaque
fois qu’un maillot blanc avec une bande rouge rencontrera un maillot bleu avec une bande horizontale jaune. Après tout, tu es né et mourra bostero et moi, je suis né gallina et mourrai gallina. De toute manière, aujourd’hui, j’ai pris un congé de rivalité et je te dis : merci pour ton football. On continuera toujours à être rivaux parce c’est ce magnifique sport appelé football et l’histoire qui en a décidé ainsi.
Javier Garcia