Nouveau tremblement de terre sur la planète Calcio en fin de semaine dernière. Une conversation téléphonique entre dirigeants du foot italien a été dévoilée par La Repubblica. Claudio Lotito, conseiller fédéral et président de la Lazio, y tient des propos qui ne vont pas faire remonter sa cote de popularité. Omnipotence autoproclamée, pressions, et mépris des petits clubs… Bienvenue dans le « système ».
Quelle saveur aurait le Calcio sans ses « affaires » ? Pas la même, à n’en pas douter. Quelques mois seulement après le tristement célèbre « Opti Poba » du désormais président Carlo Tavecchio de la fédération italienne (FIGC), c’est l’un des principaux artisans de son élection qui se retrouve au cœur d’un tourment médiatique. Claudio Lotito, président de la Lazio et de la Salernitana (Lega Pro) et aussi conseiller fédéral, avait fait jouer son réseau pour assurer une majorité écrasante. Tout part d’un entretien téléphonique du 28 janvier dernier entre Pino Iodice et Lotito, censé rester privé, déballé au grand jour. C’est l’ensemble du football italien qui en est secoué. Le directeur général d’Ischia (Lega Pro) a enregistré la conversation à l’insu de son interlocuteur, et contacté l’un des plus grands titres italiens vendredi. Si la méthode est discutable – le cinquantenaire prétendant avoir agi « pour se protéger » – cela permet au moins de révéler des pratiques dignes de mafieux et un dédain des petites équipes. Le Laziale exige un soutien du club napolitain à Mario Macalli (président de la Lego Pro et numéro 2 de la FIGC) lors de l’assemblée de ce lundi pour obtenir une majorité absolue.
Problème, Iodice veut éjecter Macalli. Lotito l’invite donc à raisonner en employant les arguments financiers après l’échec du vote du budget de la troisième en décembre : « J’ai un programme, en 6 mois j’augmenterai les recettes (du championnat de Lega Pro, ndlr). J’apporterai un sponsor au championnat et l’argent du streaming en plus de RCS (équivalent italien de l’ASO) à la FIGC ». Plutôt cocasse lorsque l’on sait que l’équipe féminine de la Lazio a refusé de jouer à Palerme ce week-end en raison de promesses financières non tenues. Mais à cette pression économique, s’ajoute celle de l’influence que Claudio Lotito exercerait dans le football italien : « Selon toi, c’est Maurizio Beretta (le président de la Serie A, ndlr) qui décide en Serie A ? Tu sais de quoi il décide ? De rien ». Et d’ajouter : « Moi, en trois mois, je vous fais tout. La Lega Pro devient une horloge suisse […] En Serie A j’ai 17-18 voix […] Maintenant il y a Pozzo (le président l’Udinese, ndlr) qui m’appelle que j’ai placé au conseil fédéral. Ici le système saute, vous l’avez compris ? Déjà, il y a Parme qui est en train de sauter, qui a déjà sauté… ». « Je vous rassure, moi je ne suis candidat à rien. Cela ne m’intéresse pas (sic). Je veux seulement sauver la Lega Pro », nuance Lotito peu après avec une « bonne foi » presque convaincante.
« L’amitié a un poids »
À la longue diatribe selon laquelle toute la troisième division coule si son protégé Mario Macalli n’obtient pas le soutien nécessaire s’ajoute une salve de qualificatifs peu amènes envers plusieurs dirigeants importants. Marcello Nicchi, patron des arbitres ? « Une tête de con ». Andrea Abodi, président de la Serie B ? « Il pleure pour les droits TV » avant de le traiter de « crétin » le lendemain dans le Corriere Dello Sport. Sachant que le duo Tavecchio-Lotito est déjà très impopulaire depuis l’élection du premier nommé aux dépens de la « nouvelle vague » représentée par le challenger Demetrio Albertini. Le hashtag #LotitoOvunque (Lotito partout) avait ainsi fait fureur sur Twitter, agrémenté de photomontages comiques suite à l’omniprésence du Romain lors des matchs de l’équipe d’Italie au bord du terrain avec un survêtement de la Nazionale. Sans compter que les tifosi de la Lazio et de la Salernitana sont en guerre avec leur président depuis des années en raison de sa mauvaise communication, d’une attitude parfois méprisante et de résultats sportifs très mitigés.
C’est donc tout un « système » qu’a souhaité dénoncer Pino Iodice. Le DG d’Ischia affirme détenir d’autres enregistrements où le conseiller fédéral se fait plus menaçant. « Il a utilisé un langage de parrain », s’offusque-t-il. Pour preuve, ces quelques bribes : « Aujourd’hui si tu n’as pas d’argent tu vas vers un ami, non ? L’amitié a un poids, le rapport personnel a un poids, non ? ». Cependant, ce qui choque quasiment davantage l’opinion publique concerne un passage sur des petites équipes de deuxième division qui jouent la montée en Serie A : « J’ai dit à Abodi. Andrea, on doit changer. Si tu me fais monter Carpi… Une peut y accéder… Si tu m’amènes des équipes qui ne valent que dalle, nous d’ici deux ou trois on n’a plus une lire (l’ancienne monnaie italienne, ndlr). Parce que moi, quand je vais vendre les droits TV – que nous avons porté à 1,2 milliards grâce à mon intelligence parce que j’ai réussi à mettre d’accord Sky et Mediaset ce que personne n’a fait en 10 ans – D’ici 3 ans, si on a Latina, Frosinone… Putain qui achète les droits ? Ils ne savent même pas qu’ils existent ! ». En soi, la forme est plus que discutable, mais le fond du problème n’est pas erroné ; et beaucoup pensent ainsi au sein des instances. Qu’ils donnent alors les moyens à ces petits clubs de devenir attractifs pour les diffuseurs, qu’ils partagent plus équitablement les droits TV ! Sinon, aux locomotives de tenir leur rang. De son côté, Carpi a fait part de son « incrédulité et indignation ». Le présentateur de la célèbre émission de foot de la Rai 90minuto a lui ouvert la retransmission avec de faux résultats d’une Serie A composées que de petites équipes.
Claudio Lotito a vivement dénoncé ce déballage voire lynchage médiatique, qualifiant tout ceci de « piège pour le décrédibiliser » et donnant rendez-vous à Iodice au tribunal. Toujours est-il que sa tête est réclamée de tous. Enfin presque, Adriano Galliani l’administrateur délégué du Milan « reste son ami ». Même l’Etat réclame des comptes à la FIGC qui a ouvert une enquête via son procureur. En attendant, l’assemblée du jour a rejeté d’une petite voix seulement (29 contre 28) la demande de destitution surprise de Mario Macalli par ses opposants. Une petite victoire pour Lotito, mais le football italien apparait désormais nettement comme divisé en deux courants distincts : les pros et les anti-Tavecchio. Pas la meilleure des nouvelles pour adopter des réformes tant attendues et retrouver la compétitivité d’antan.