L’US Sassuolo l’a fait. Les Neroverdi se qualifient pour le troisième tour préliminaire de la Ligue Europa, aidés par la Juve, vainqueur de l’AC Milan en finale de Coupe d’Italie la semaine passée. Justice eu égard au verdict de Serie A où Sassuolo termine juste devant les Milanisti. Groupe de joueurs composé quasi-exclusivement d’Italiens, entraîneur au look soigné et dont l’équipe est agréable à regarder, sympathie habituelle dégagée par une « provinciale », Sassuolo a tout pour séduire. Pourtant, ce club jusqu’ici sans histoire a réussi à se faire détester par des défenseurs du football populaire en quelques années. Et ce à cause d’une face sombre que l’US Sassuolo tente de maquiller.
Giorgio Squinzi, le milanista revendiqué, n’imaginait sans doute pas devancer un jour son club de cœur lorsque Sassuolo accède pour la première fois en Serie A à la fin de la saison 2012-2013. Et pour cause, lorsqu’il a repris le club en 2003, la relégation en cinquième division est évitée uniquement grâce aux déboires financiers de concurrents. Le président-mécène est à la tête de Mapei, un puissant groupe de produits chimiques générant un chiffre d’affaires annuel de deux milliards d’euros. Avant l’ère Squinzi, l’US Sassuolo se morfond dans l’anonymat malgré une histoire presque centenaire. Il faut dire que la ville de 40.000 habitants d’Émilie-Romagne doit composer avec des voisins encombrants tels que Bologne ou encore Modène. Sans compter tous ceux dont le cœur penche pour les grandes équipes du Nord dans tout le pays, à l’instar du boss de Mapei. Ce manque de ferveur et de saveur est encore perceptible aujourd’hui en Serie A en dépit des résultats probants et fait l’objet de moqueries en Italie, pays de la culture ultra. Sans Frosinone (limité par son stade vétuste bientôt abandonné), Carpi (qui jouait à Modène, à 200 kilomètres), le Chievo (club de quartier de Vérone en concurrence avec l’Hellas) et Empoli, Sassuolo, avec 11.437 spectateurs, aurait la pire affluence moyenne de cette saison 2015-2016. Les Sassolesi évitent cette humiliation grâce à une moyenne gonflée par l’affiche contre la Juventus (20.570 spectateurs, supporters de la Vieille Dame en majorité).
Et si l’US Sassuolo a un jour eu une âme, beaucoup estiment que celle-ci a été vendue (au diable). Personne ne peut reprocher à Giorgio Squinzi d’appliquer ses méthodes entrepreneuriales à succès aux Neroverdi. L’image véhiculée donnerait même envie de s’éprendre pour cette « petite » équipe qui a connu trois montées en onze ans. Elle lance des jeunes joueurs italiens prometteurs au plus haut niveau comme Berardi, Zaza aujourd’hui à la Juve, Pavoletti aujourd’hui au Genoa, tous convoqués par Antonio Conte, ou encore Antei et Trotta, et en relance d’autres comme Sansone, Cannavaro, Acerbi, Floro Flores ou Peluso, à l’heure où un match Inter-Udinese ne comporte pas un seul transalpin au coup d’envoi. Mieux, les rares « étrangers » apportent une réelle plus-value, citons entre autres le Français Grégoire Defrel ou le Croate Vrsaljko, annoncé proche de Naples. Ajoutez à cela un entraîneur jeune (et italien) Eusebio Di Francesco, toujours élégant, apôtre du beau jeu et vous obtenez une sympathie similaire à celle dégagée par Lorient en France. Pour couronner le tout, le dénommé Mapei Stadium est l’une des enceintes les plus modernes d’Italie, sans barrière, coté au point d’accueillir la première finale de Ligue des champions féminine organisée en Italie, remportée par Lyon contre Wolfsbourg le 26 mai (1-1, 4-3 aux t.a.b.). C’est ici que le « mais » arrive pour certains résistants. Sassuolo joue à « domicile » à Reggio d’Émilie, le chef-lieu de la région situé à 20 kilomètres. Le boss Giorgio Squinzi a acheté le Giglio-Città del Tricolore en 2013, alors que Sassuolo surprenait tout le monde en Serie B. L’équipe était sans stade, le sien n’étant même pas homologué pour la Serie B, et la solution de repli du Braglia à Modène n’était pas viable. Sauf que cette enceinte n’était pas inoccupée. Parmi les fameux voisins encombrants figurait aussi la Reggiana (à ne pas confondre avec la Reggina de Reggio de Calabre avec la même couleur grenat), propriétaire du stade.
Une substitution graduelle
Contrairement à Sassuolo, la Regia a toujours bénéficié d’un soutien populaire. Son apogée sportive, entre Serie A et Serie B, a d’ailleurs conduit le club à délaisser son mythique Mirabello pour ce qui sera, bien avant celui de la Juventus, le premier stade propriété d’une équipe en Italie. Nous sommes en 1995, un certain Carlo Ancelotti effectue ses débuts sur un banc pour décrocher une troisième place de Serie B synonyme de montée, et le stade Giglio révolutionne le Calcio. L’Italie découvre déjà le naming (Giglio étant une société laitière), un écrin doté de 32 loges, le précurseur du stade moderne sans barrière et équipé de télésurveillance, et le premier à bénéficier d’une galerie commerciale à proximité en 2007 (rachetée il y a deux mois par un consortium français). Cet investissement sera entre autres financé grâce à la souscription d’abonnements pluriannuels par les tifosi. Hélas, la Reggiana gère mal son retour en Serie A, avec pas moins de 36 joueurs et 2 entraîneurs (le Roumain Mircea Lucescu puis Francesco Oddo, père de l’ex-international italien) utilisés en cours de saison. Retour en Serie B immédiat. La construction du Giglio pèse dans les finances, l’équipe granata s’enlise avant d’être rétrogradée en Serie C en 2000. L’inéluctable se produit, l’AC Reggiana fait faillite en 2005 et repartira soutenue par des entrepreneurs locaux en quatrième division.
Giorgio Squinzi, également à la tête de Confindustria, le Medef italien, flaire l’affaire. Le businessman rachète le Giglio, mis aux enchères par la mairie et les dirigeants de la Reggiana, pour une poignée de cerises, 3,8 millions d’euros. Au nez et à la barbe de supporters qui avaient prévu de tenter une offre. Seules contraintes pour le président de Sassuolo : rénover le stade (ce qu’il avait intention de faire, soit quelques coups de peinture et l’agencement des vestiaires) et continuer à accueillir les matchs de l’équipe granata. Toutefois, la Reggiana passe du statut de propriétaire à simple locataire, expulsable en théorie en juin prochain lorsque le contrat d‘un montant de 250.000 euros par saison arrivera à son terme. C’est aussi une autre manière pour Squinzi de faire fructifier son investissement. En résumé, Sassuolo possède un écrin au rapport qualité/prix inégalé en Italie, en est de surcroît propriétaire dans un pays où les projets similaires ont tous échoué excepté pour la Juve et l’Udinese. Si Reggio d’Émilie n’était pas distant de Sassuolo de 20 kilomètres, l’opération relèverait du génie. La Reggiana n’est plus chez elle dans sa propre ville, ses tifosi l’ont bien compris et organisent une manifestation dès l’annonce de la vente du stade (voir vidéo). Le Mapei Stadium est né. Le logo de la Regia sur la façade est remplacé par celui de Sassuolo, le « Città del Tricolore » en hommage à la ville conceptrice du drapeau italien se voit désormais inscrit en petit, un musée granata a laissé place à un restaurant.
Squinzi a bien compris que pour susciter l’intérêt, Sassuolo devait devenir un club à portée régionale, voire nationale avec son made in Italy martelé de partout, quitte à effacer toute trace de l’identité reggiana. Pour cela, il n’hésite pas à faire du « prosélytisme » dans les écoles, selon les tifosi de la Reggiana. Un rassemblement de groupes organisés de supporters « Tradizione Reggiana 1919 » a vu le jour début mai de peur de voir le club disparaître. Un scénario qui arrangerait bien le patron de Mapei dans une ville de 140.000 habitants. Les tifosi de la Regia accusent leur municipalité et les médias locaux « d’indifférence complice » au nom de l’argent-roi. Certes Sassuolo n’est pas la superpuissance qu’est l’AC Milan qu’il a devancé pour la dernière place qualificative en Europa League. Néanmoins l’image du « petit poucet » sur laquelle communique Giorgio Squinzi ne trompe personne. Surtout pas l’UEFA qui surveille le magnat de la chimie, qui a enfreint le fair-play financier. Un sponsor ne doit en effet pas représenter plus de 30% des recettes d’un club, or le groupe Mapei constitue 35% du chiffre d’affaires de Sassuolo (22 millions sur 62). Une sanction pourrait tomber pour la saison 2017-2018. En attendant, pour la prochaine saison, « l’objectif est la Ligue des champions » selon Squinzi. Petit poucet, vraiment ?