Dans sa première interview après avoir quitté le puissant groupe média brésilien Globo en mai 2018, l’ancien joueur de Lyon confie à El País, sa perte de confiance vis-à-vis de la presse et raconte comment le football l’a aidé à éveiller sa conscience politique. Traduction.
Sept fois vainqueur du championnat français avec Lyon et idole au Vasco da Gama, l’ancien milieu de terrain Juninho Pernambucano vient d’emménager aux Etats-Unis. Installé à Los Angeles, il a pris la décision de respirer l’air américain pour sa famille. À 43 ans, il s’apprête à devenir grand-père et va accompagner de près les dernières semaines de grossesse de sa fille aînée, Giovanna. Il explique que son départ du Brésil n’a pas été motivé par la rupture de son contrat avec Globo, où il était commentateur de football depuis 2014. Dans une interview à El País, Juninho se plaint d’avoir souffert de la censure pour avoir remis en question le travail de la presse, et plus spécifiquement, celui des « setoristas » : les journalistes qui couvrent quotidiennement les clubs. « Jusqu’à l’épisode de mon départ, il serait injuste de dire que j’ai été empêché de parler » affirme-t-il. À la fin du mois d’avril, durant l’émission dans lequel il a exprimé que ces journalistes qui couvrent les clubs « sont très mauvais de nos jours », la direction de SporTV, canal de sport du média Globo, a émis un communiqué officiel condamnant les propos de l’ancien joueur.
En plus de la réprimande émise en direct, qui l’a poussé à annoncer sa démission, il raconte qu’il avait déjà accumulé des conflits avec ses collègues de l’émission. Bien qu’il possède un diplôme de management de l’UEFA, Juninho ne manifeste aucun intérêt à l’idée de revenir dans le football. Pour l’instant, son unique projet est de passer une année à aiguiser son anglais et, malgré la distance, de se maintenir actif dans le débat politique national (alors que Jair Bolsonaro, candidat d’extrême droite, a recueilli 46% des voix au premier tour de l’élection présidentielle).
El País : Le football fait partie de vos projets dans cette nouvelle étape de votre vie ?
Juninho Pernambucano : Après être parti du Globo, je me suis mis à penser à ce que je pourrais faire. Mais encore maintenant, je n’ai pas trouvé de chemin. Je ne me sens pas prêt. Ni même désireux de revenir dans le football.
Ni même comme dirigeant ?
J.P. : J’ai reçu une offre de Lyon, mais j’ai préféré attendre. J’ai la capacité pour être dirigeant, sauf que, en vue du désordre total au Brésil et pour ce que je connais de la presse, je ne le ferai pas maintenant. J’ai joué au football durant vingt ans. Et toujours, j’ai eu en tête que je pourrai n’avoir besoin de personne à ma retraite. Pour ne pas courir le risque de vendre mon âme et mon caractère, j’ai uniquement dépensé 30% de ce que j’ai gagné en tant que joueur. Je me suis préparé pour cela. J’ai investi 70% de mes revenus.
Ni même comme commentateur ?
J.P. : D’aucune façon. J’ai perdu toute confiance dans la presse.
À cause de l’épisode avec Globo ?
J.P. : Vous enregistrez ? Vous pouvez, puisque je parle pour ça. Quand j’étais dans la presse, j’ai été effrayé de l’ignorance généralisée. Le football a beaucoup changé. La science, la nutrition, la psychologie et l’analyse de la performance sont arrivées. Aujourd’hui, le joueur court beaucoup plus, possède plus de muscles, réagit plus rapidement. Et l’espace sur le terrain a été réduit. Seulement, la presse ne comprend toujours pas cette évolution. En fait, elle s’accroche à la nostalgie : « Ah, mais dans le temps d’untel, c’était comme ça ». Ce n’est pas le cas de tout le monde, mais la majorité des journalistes ignorent le jeu.
Ils l’ignorent dans quel sens ?
J.P. : Une grande partie de la presse joue contre l’évolution du football. Les journalistes ont besoin de nous, les anciens joueurs, pour compléter ce qu’ils ne parviennent pas à comprendre. J’ai été censuré à Globo pour avoir dénoncé qu’il y avait des « setoristas » vendus. C’est lui qui donne les informations, puisqu’il couvre les matchs et les entraînements. Quand il se prostitue, il pourrit l’atmosphère dans le club. Il est nécessaire de combattre ce gros problème omniprésent dans les chaines d’information pour diffuser des informations plus sérieuses. C’est comme cela, en pleine année 2018, que j’ai souffert de censure à la télévision. Et aucun journaliste ne m’a défendu. Au contraire, j’ai été humilié par Milton Neves (présentateur, ndlr). Avant, j’avais déjà reçu des lettres de menaces. Si j’ai été censuré et menacé, cela signifie que toute la presse l’a été également. Et personne ne comprend cela, soit par ignorance, soit par peur de perdre leur travail.
Avant vos critiques envers les « setoristas », vous avait été empêché de donner votre opinion dans l’émission ?
J.P. : À la fin de l’année 2013, lorsque j’avais déjà prévu d’arrêter ma carrière, les types de Globo m’ont appelé, et m’ont demandé si j’étais disponible pour commenter la Coupe du monde 2014. J’ai répondu que cela m’intéressait. Mais, que si je jouais encore, alors je répondrai non. Puis, j’ai arrêté de jouer et j’ai signé un contrat d’un mois chez eux. Ensuite j’ai prolongé pour deux ans de plus. Et enfin, pour une troisième supplémentaire. Mon contrat allait jusqu’à la fin de l’année prochaine. Pendant cette période jusqu’à l’épisode de mon départ, il serait injuste de dire que j’ai été empêché de parler. Mais, je me suis disputé avec les trois principaux commentateurs et le principal reporter de l’émission. Une grande dispute, une discussion lourde, jusqu’à se pointer le doigt au visage lors des réunions. Il n’y avait pas mille routes en fait. Je voulais donner mon opinion et eux ne voulaient pas. Ils disaient que je parlais trop. Ils commençaient à s’énerver lorsque je donnais longuement mon opinion pendant l’émission. J’ai subi des pressions pour avoir dit ce que je pensais. Mais ils m’ont embauché pour donner mon opinion. Je critiquais ce qu’il y avait à critiquer. Alors ils m’ont laissé travailler, j’ai tenu mes engagements. Je suis parti avec la conscience claire. Je n’ai pas vendu mon âme ni mon caractère.
L’ambiance alors n’était pas des meilleures, n’est-ce pas ?
J.P. : La relation a mal tourné quand j’ai critiqué Vinicius Junior (après un clássico contre le Botafogo alors qu’il jouait encore à Flamengo, ndlr). J’ai été menacé de mort par des supporters de Flamengo, ce que j’ai signalé au commissariat de police, puisque j’espérais un soutien. Mais je n’ai reçu de l’aide de personne de la chaîne. À partir de ce moment, l’histoire n’était pas claire. Comme tout était déjà planifié pour aller en Russie, je n’ai pas voulu lâcher tout le monde. Mais j’ai abandonné le navire après la compétition.
Le fait d’avoir été gêné en direct a anticipé la rupture ?
J.P. : La chaîne a interrompu le programme (Seleção SporTV) pour me reprocher mes propos, et cela de la part d’un directeur lâche, dont je ne sais toujours pas le nom. C’était la goutte d’eau de trop. Dans la même semaine, j’ai décidé de ne pas fournir davantage de service à Globo et demandé à partir.
Pensez-vous que le fait d’avoir manifesté vos positions politiques ait un lien dans la rupture avec Globo ?
J.P. : J’espère que non, mais probablement que si. Durant la Coupe du monde, Globo a lâché un communiqué demandant aux salariés d’être prudents quant à l’expression de leurs positionnements politiques sur les réseaux sociaux. Je pense que, à partir du moment où vous êtes à la maison, la vie est la vôtre. Vous postez ce que vous voulez. Le journaliste qui utilise les réseaux sociaux à la demande du patron, indirectement, vend sa personne au chef.
Qu’est-ce qui vous a le plus déçu lors de votre passage dans les chroniques sportives ?
J.P. : Le manque d’humilité des journalistes. Ils aiment se moquer des anciens joueurs qui commettent des fautes de portugais, mais le public réclame un autre type de connaissance. Vous connaissez la différence entre un athlète et un journaliste ? C’est que nous, depuis l’enfance, nous apprenons qu’il existe quelqu’un de mieux que nous. Quand nous jouons, on pense : « Mince, ce type est bon hein ? ». Nous avons appris à respecter notre adversaire. Je peux arriver au point de le détester, mais je ne voudrai jamais qu’il disparaisse, parce que j’ai besoin de lui pour être meilleur. Le journaliste n’a pas cette capacité parce qu’il n’est jamais entré sur le terrain. Je n’ai pas l’écriture, le vocabulaire ou l’étude du journaliste, mais j’ai une autre vision du monde. Cela a été très moche d’observer de près ce comportement. Comment quelqu’un qui n’a jamais foulé la pelouse, peut-il est sûr d’une chose ? J’ai passé une vie entière à être critiqué. Il a été dit des choses absurdes à l’époque où je jouais. Pourquoi, moi, je ne peux pas critiquer la presse ?
Vos réserves vont au-delà de la question des journalistes de clubs ?
J.P. : Comment se fait-il que la presse ait laissé Eurico Miranda (ancien président de Vasco impliqué dans des affaires de corruption, ndlr) rester autant de temps au pouvoir ? En 2015, il a rénové le contrat liant Vasco avec la télévision. Quand Globo avance la somme des droits de transmissions, elle rend un mauvais service au football, puisqu’elle n’enseigne pas au dirigeant comment gérer l’argent. Et à ce moment, les clubs tombent dans un trou. Mais eux, ils aiment (les dirigeants, ndlr) tromper les fans en annonçant que la solution est de changer d’entraîneur, de virer les joueurs, signer je ne sais qui… Je ne sers pas (en tant que joueur) pour tromper les supporters. Une équipe comme Vasco, nécessite un travail sérieux, à long terme, de sept à dix ans, pour aspirer à un quelconque changement définitif. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Quand le club perd, il explose tout, au lieu d’approfondir les causes de la défaite. Une autre affaire qui m’a choqué, c’est les championnats d’États. Les mecs ne disent pas les noms des joueurs de petites équipes. On dirait que les grandes équipes jouent contre des fantômes. Lorsque j’ai commenté un match de Volta Redonda (une équipe de Rio, ndlr), par exemple, j’ai appelé l’assistant du club pour avoir des informations sur tous les joueurs et le système tactique de l’entraîneur. Si le gamin jouait bien, j’avais besoin de connaitre son nom pour le féliciter. Ou pour le critiquer, s’il jouait mal. Ces situations que j’ai observées m’ont énormément attristé.
Vous n’étiez pas en conflit avec vous-même dans le fait de travailler dans un endroit si éloigné de votre vision ?
J.P. : C’est inutile de payer si cher les droits du championnat si vous ne protégez pas le spectacle. J’ai lutté pour cela à Globo. Je voulais leur montrer qu’un meilleur calendrier donnerait un meilleur travail. Au Brésil, il y a match le mercredi et le dimanche. Mais personne ne peut tenir. En fait, tout est associé à l’argent. L’athlète n’est pas une machine. Pour bien jouer, il a besoin de se reposer. Il ne peut pas y avoir des matchs du championnat brésilien durant les trêves de la FIFA. Et ce manque de connaissance de la presse sur ces détails m’a surpris. Tout le monde a évolué. Pourquoi la presse ne pourrait-elle pas évoluer ? L’analyse se résume toujours à élire le héros et le vilain. C’est très dangereux. Regardez le message que vous envoyez à la société : soit vous êtes un talent, soit vous êtes une merde (sic). Pourquoi certaines fois, l’athlète brésilien fuit ? Parce qu’il sait qu’il va être massacré quand il perd ici. Il grandit avec la peur de la défaite, qui influence beaucoup son rendement. Le supporter, lui, entre dans cette logique et veut savoir qui est le coupable (de la défaite, ndlr).
Un jour, vous avez dit que Renê, le latéral du Flamengo, était uniquement critiqué puisqu’il est du Nordeste. Ce commentaire a eu une grande portée.
J.P. : Lorsque tu dépenses 180 reais (environ 40 euros, ndlr) dans un ticket, tu as un autre type de public dans le stade. Aujourd’hui, les matchs du Flamengo sont faits pour quelqu’un qui est né dans la zone sud de Rio, ou à la Barra da Tijuca (zone ouest de la ville de Rio, ndlr). Quels sont les joueurs que les supporters de Flamengo critiquent le plus ? Alex Muralha (gardien) qui a une coiffure complètement différente. Márcio Araújo (milieu défensif) qui est noir. Rodinei (arrière droit) qui, de manière absurde et irrespectueuse, est surnommé ‘porca gorda’ (« grosse vache » en VF). Pará (latéral droit) et Renê (arrière gauche), qui viennent des régions Nord et Nord-Est. Comme commentateur, j’ai réalisé qu’il y avait une campagne de supporters contre Renê, mais, sur le terrain, je n’ai pas vu des raisons de le critiquer. Au contraire, il est l’un des meilleurs latéraux du Brésil. En plus, l’équipe ne perd pas seulement à cause d’un joueur. Et des autres joueurs, qui réalisaient des performances moins marquantes, étaient analysés d’une manière différente. Mais tout cela fait partie de notre culture élitiste. Et le prochain de la liste sera Vitinho (milieu offensif) qui est également noir. Ils parlent seulement de ce qu’il a gagné et combien il a coûte, mais personne ne considère qu’il revient de Russie (CSKA Moscou) et qu’il va devoir se réadapter. « Ah mais il gagne autant pour faire ça. » Bordel, c’est un être humain ! Tu sais d’où il vient ? Tu sais comment s’est déroulée son enfance ? Tu sais tout ce qu’il a dû vivre pour en arriver là ?
À cette époque, Flamengo avait publié un communiqué assurant que ses supporters ne sont pas racistes.
J.P. : C’est évident que les supporters de Flamengo ne sont pas racistes. Mais une partie des supporters qui payent 180 reais (équivalent à 40 euros) pour aller voir le match est raciste, oui, tout comme une part des supporters de Vasco et des autres grandes équipes l’est. Comment un supporter d’un club qui a accepté que des ouvriers noirs bâtissent leur propre stade, peut être raciste ? Le type est supporter d’une équipe populaire. Comment peut-il être fasciste ? C’est fou. Et ils s’en prennent qu’aux mêmes. Ils se passionnent pour un joueur qui n’a pas une grande valeur technique mais qui a une apparence qui leur sied mieux. Je viens du Nordeste, je sais bien comment ça se passe.
Vous avez souffert de beaucoup de critiques présomptueuses ?
J.P. : Tout le monde passe par là, mon ami. Qui joue au football, écoute beaucoup de choses présomptueuses, à l’intérieur et à l’extérieur du stade, et même dans les analyses de la presse. N’y sont pas faites des critiques techniques, mais des critiques humiliantes pour le joueur. Pourtant, il devrait y avoir des limites au moment de critiquer. Le mec a une famille, des enfants qui vont à l’école, qui entendent beaucoup d’absurdités. La pression est en réalité très grande. Alex (Muralha) racontait que son père a eu énormément de mal à entendre les critiques de Galvao Bueno à la télévision. Et c’est quelque chose qui se répète.
Selon vous, existe-t-il des préjugés de classe dans les critiques de la presse envers les joueurs ?
J.P. : Les préjugés existent, mais aussi l’idée de marginaliser l’athlète. La vérité c’est que la presse opprime le joueur. Elle veut qu’il soit vu comme un marginal, un ignorant. Je ne suis diplômé en rien. Mais je suis né à Recife, j’ai débarqué sur Rio à 19 ans, j’ai vécu huit ans en France et deux au Qatar, puis 6 mois aux États-Unis. J’ai visité plus de 40 pays en jouant au football. Est-ce que la vie ne m’aurait rien enseigné ? Vous savez pourquoi l’athlète homosexuel ne s’assume pas ? Parce qu’il a peur des répercussions de la presse. Il a peur d’être humilié. Et voilà une autre chose à laquelle je suis opposé : les entretiens de bord du terrain. Le joueur doit aller au vestiaire, prendre une douche et se refroidir la tête. Car à ce moment, il n’est pas dans la plénitude de sa réflexion. Dans la chaleur de l’émotion, après 90 minutes d’effort intense, le joueur peut sortir du contexte et ne peut pas s’exprimer sereinement.
Pourquoi si peu de joueurs se positionnent politiquement ?
J.P. : La carrière de joueur est courte. Le football exige tellement d’engagement que vous terminez votre carrière en étant aliéné. Je comprends l’athlète qui joue toujours et qui préfère ne pas se positionner. Mais un ancien athlète qui a une bonne qualité de vie et qui ne s’engage pas dans la situation du pays est inadmissible.
C’est pour cela que vous vous êtes engagé, longtemps après avoir quitté les terrains ?
J.P. : Ma conscience politique et ma responsabilité en tant que citoyen se sont développées beaucoup plus tard, bien après le moment où j’ai décidé d’arrêter de jouer. Avant, quand j’apercevais des informations concernant la mort d’un politique, je disais : « Un voleur de moins ». J’ai appris les choses en lisant, en voyageant partout dans le monde et en observant comment tout cela fonctionne pour ensuite exprimer mon opinion. Mais c’est clair que le jeune joueur, qui n’est pas l’ami de journalistes et qui n’a personne pour le protéger, va se tuer s’il s’exprime politiquement. Il vaut mieux pour lui d’éviter de dépenser son énergie là-dedans pour se concentrer sur son jeu.
« C’est pour cela que je m’énerve quand je vois un ex-joueur de football voter pour l’extrême droite. Nous venons d’en bas, nous avons été élevés au sein du peuple. Comment l’oublier ? Comment être de ce côté ? Tu vas soutenir Bolsonaro, mon frère ? »
Votre passage en France vous a aidé à faire mûrir votre conscience politique ?
J.P. : Ce qui m’a surtout frappé pour la politique, c’est le côté humain des français. Je pensais que le brésilien était solidaire. Mais c’est un mensonge. Le Français est solidaire pour de vrai ! Il y a les extrémistes, la partie qui méprise les musulmans, la partie raciste. Mais la majorité du peuple français a une humanité très développée. J’ai vu le plus jeune joueur de mon club recevoir des propositions pour gagner le double de son salaire dans un autre club et refuser parce qu’il jouait dans le club de sa ville et qu’il ne voulait pas en partir. Et moi je ne le comprenais pas. Je regardais uniquement le côté financier. C’était ma mentalité. J’ai vu aussi des joueurs qui arrivaient de pays encore plus pauvres que le nôtre, de pays en guerre civile, avoir plus de respect avec le prochain et à son éducation que nous. Nous sommes très avides. Je l’ai su parce que j’ai vécu en dehors du Brésil. Le football m’a enseigné à voir le monde. Le football m’a sauvé la vie.
Vous vous référez à l’avidité du Brésilien en général ?
J.P. : Écoutez, celui qui a de l’argent, vit très bien, et profite de la situation chaotique du pays. J’ai joué 10 ans en dehors du Brésil, reçu une monnaie étrangère, et j’ai uniquement dépensé 30% de ce que j’ai gagné, tout déclaré officiellement, OK ? Seulement, le patrimoine dans lequel j’ai investi ne fait qu’accroître. Mais comme le peuple est heureux avec ce système, il y a toujours des enfants qui meurent de faim dans le pays. Cela est injuste ! La classe la plus riche a besoin d’une formation. Nous tous, brésiliens, nous aimons l’argent. Mais quand l’avidité grandit trop, la distance avec les plus pauvres devient plus grande et la violence s’étend. La richesse ne peut pas rester dans les mains d’un petit groupe. C’est égoïste. Je lutte pour que les opportunités ne restent pas dans les mains de quelques privilégiés. Comment peut-on parler de méritocratie ? Elle existe dans le sport, où tout le monde est ensemble et le meilleur doit jouer. Mais, dans un pays comme le Brésil, nous ne pouvons pas parler de méritocratie.
Vous sentez-vous privilégié dans ce système ?
J.P. : À Globo je travaillais deux fois par semaine. Déjà, je vis en bonne condition. Je pourrai être calme, heureux de la vie et en profiter, puisque le système m’aide. Mais est-ce que le bonheur se résume à cela ? Le Brésilien a perdu de l’estime de soi, il marche la tête baissée dans la rue. Il y a des gamins de 20, 30 ans qui vivent encore chez leurs parents et qui passent leur journée devant la télévision. Ce n’est pas ce pays que je veux pour mes filles.
Vivre dans une maison avec quatre femmes, cela a aussi influencé votre vision du monde ?
J.P. : Je reconnais que je suis un macho en déconstruction, parce que c’était l’enseignement que j’ai reçu. Et j’accepte cette condition pour évoluer. J’apprends tous les jours avec mes filles. Je vends le combat des femmes pour avoir le même droit que les hommes au Brésil.
Comme certains de vos amis anciens joueurs de football, avez-vous des plans d’entrée dans la politique ?
J.P. : Je ne sais pas encore. J’attends que la vie me montre ce que je dois faire. Je ne me suis jamais engagé pour un politique, jamais je n’ai fait campagne pour quelqu’un. J’ai connu Lula personnellement quand le Brésil a joué contre Haïti en 2004. Il était là, il a remercié le peuple. C’était la seule fois que j’étais avec lui. Je l’admire beaucoup. Personne n’effacera ce qu’il a fait pour le pays. Lula est un homme de 72 ans qui se fait démolir sans pitié. Pourquoi les gens détestent Lula ? Ce qu’ils détestent de lui c’est son apparence, son origine, son accent, son histoire et sa popularité. Si l’on fait un test de haine dans les rues, avec une marionnette de Lula, au côté d’un partisan d’Aécio (président du Parti social-démocrate brésilien, ndlr), c’est Lula qui va sortir premier. L’élite exerce un contrôle mental. Les fonctionnaires portent des vêtements blancs chez eux, une habitude du temps de l’esclavage. Comme j’ai de bonnes conditions, j’ai vécu dans des immeubles de riches. Et cette haine, se transmet du père au fils, c’est quelque chose de surréaliste.
Comment analysez-vous la scène politique brésilienne des dernières années ?
J.P. : Notre démocratie est très jeune, mais de base il faut comprendre que chaque vote à un poids égal. Noir, blanc, pauvre, riche : aucun vote ne compte plus qu’un autre. Le problème c’est que, après tant de temps sous un gouvernement de gauche, le désespoir pour la reprise du pouvoir a aveuglé quelques personnes. Il a fallu qui pour tirer sur Dilma (Rousseff) ? Aécio, Eduardo Cunha (président de la Chambre des députés de 2015 à 2016), Temer (président de la République par intérim dans le cadre de la procédure de destitution de Dilma Rousseff) et… La presse ! Ils déchirent nos votes et nous emmènent à cette terreur. Peu importe comment, pour ce pays, que la situation qu’un extrémiste arrive à la présidence, n’arrive pas. Mais vous pouvez noter : les grands médias supporteront Bolsonaro s’il va au second tour.
Quelques personnalités du football également, non ?
J.P. : Beaucoup de Brésiliens ignorent que d’autres ont été torturés et assassinés pendant la dictature. C’est désespérant de voir des gens soutenir les interventions militaires. O Exército (l’armée) existe pour défendre le pays, protéger les frontières, mais pas pour tuer les Brésiliens dans les favelas. Ils n’ont pas été formés pour cela. Ils disent que je défends le voleur. Mais le peuple doit arrêter avec cette manière de penser que tout crime est égal. L’assassinat est une chose, le vol en est une autre. Je ne peux pas mettre un jeune de 18 ans qui a volé dans une prison. Car quand le mec sort de prison, il veut se venger de la société. C’est pour cela que je m’énerve quand je vois un ex-joueur de football voter pour l’extrême droite (une référence au soutien de Ronaldinho au candidat d’extrême droite, ndlr). Nous venons d’en bas, nous avons été élevés au sein du peuple. Comment l’oublier ? Comment être de ce côté ? Tu vas soutenir Bolsonaro, mon frère ?
Parce qu’il implique de la passion, le milieu du football est un terrain fertile pour l’intolérance. Comment vous vous êtes protégé de cet environnement, surtout en jouant dans d’autres pays ?
J.P. : Une de mes filles est né à Recife et les deux autres, à Lyon. Ma petite fille va être la fille d’une femme provenant du Nord-Est brésilien avec un américain, descendant de chinois. Il n’y a pas de diversité dans ma famille ? Je suis un citoyen du monde. Je ne peux pas être intolérant aux différences. La seule exception est les extrémistes. Mais est-ce qu’une personne qui croit dans l’existence de « races humaines » et propage un discours de haine, mérite la démocratie ?
Vous notez des parallèles entre le football et la politique ?
J.P : Le football est tout autant perdu que le Brésil. La différence est que le football a toujours le talent en sa faveur et cela pourrait prendre moins de temps avant qu’il ne quitte le fossé.