Supporter du PSG, président d’une grosse association de supporters au Brésil pendant 4 ans, la Máfia Azul du Cruzeiro, Jean-Marc en impose. Lucide et engagé, le désormais président d’honneur a partagé avec La Grinta son enthousiasme pour les tribunes. Dur de faire plus expert. Baston, déplacements, solidarité, PSG, San Lorenzo, Jean-Marc accepte d’aborder tous les sujets sans tabous. Savoureux.
Comment es-tu devenu supporter du Cruzeiro et membre de la torcida organizada (association de supporters) Máfia Azul ?
Jean-Marc : Je suis supporter du PSG, j’allais en tribune Boulogne dès 13 ou 14 ans et jusqu’à mon départ au Brésil. Je n’étais pas du tout des factions politisées, attention. J’étais là pour faire la fête, sans connotations politiques, loin de là. Quand je suis arrivé au Brésil, j’ai vu le maillot du Cruzeiro, cette équipe de Belo Horizonte (État de Minas Gerais, ndlr), qui ressemblait beaucoup à un maillot que j’avais acheté en France parce qu’il était original, bleu avec des étoiles. Le club était fondé par des Italiens, ma mère est italienne… Ils jouent en bleu, comme la France… Je suis devenu supporter de Cruzeiro. Lors d’un derby Cruzeiro-Atlético (Mineiro, club où évoluait Ronaldinho, ndlr), j’ai rencontré 4-5 personnes de la Máfia Azul avec une petite banderole… J’ai fait le premier drapeau du groupe de supporter.
Tu as ensuite été président de la Máfia Azul pendant plusieurs années…
J-M: Etre président d’une torcida, c’est pas facile… Tu as une pression, il faut savoir parler, ne pas commettre d’erreur. J’avais une certaine facilité parce qu’on me respectait comme étranger. Moi ce qui me fait plaisir, c’est voir mes supporters chanter plus fort que tous les autres. Les bagarres, c’est s’il n’y a pas d’autre solution. Plus jeune, je me bagarrais s’il n’y avait pas d’autre solution, voilà. On peut être blanc, riche, pauvre, si t’es au combat à côté des mômes des favelas, ils te respectent pour la vie. T’es au même niveau : tu voyages dans le même bus, tu bois avec eux, tu t’amuses avec eux. C’est tout un système. Moi je suis content, on m’appelle « l’éternel président ». Ça me fait très plaisir.
Dur de gérer tout ce petit monde d’une torcida…
J-M: La violence en Europe, ce n’est rien à côté du Brésil.. Si tu tombes pendant une bagarre et que tu te fais abandonner par tes copains, tes chances de vivre sont nulles. Sauf si quelqu’un fait quelque chose pour te protéger. Lors du derby local Cruzeiro-Atlético, on s’était rassemblé au siège social. Une vingtaine de personnes de la Máfia Azul sont sorties. 2 bus de supporters rivaux se sont arrêtés pour frapper les 20 de la Máfia. Mais à l’angle, y’en avait 500 en plus. Ils se sont faits massacrer… Deux gars sont tombés à terre et allaient être tués, mais les dirigeants de Máfia Azul les ont protégés. Un accident comme ça, t’as une suspension de 1 an voire 2 ans. Les flics sont arrivés et ça s’est calmé.
Le maillot ne veut pas dire que tu appartiens à l’association. On a viré ceux qui ont foutu le bordel. C’est ce que je tente toujours d’expliquer à la police : on peut pas sacrifier l’association quand un mec a fait une connerie. Je me suis pris la tête avec un procureur, ils ont choppé un mec avec des bombes artisanales à 20 km du stade en disant qu’il était Máfia Azul. Mais il a agit individuellement. Je peux pas gérer 10000 mecs !
« Je suis allé en France avec un tee-shirt de la Máfia Azul Saddam Hussein, je peux te dire que je l’ai retiré rapidement ! »
La torcida se divise en plusieurs blocs géographiques, les sections, qui ont chacune un emblème.
J-M : Chaque groupe de la Máfia Azul a son emblème, c’est eux qui choisissent. On a Capone, que j’ai choisi. Je me suis dit, c’est qui le plus gros mafioso ? C’est Capone. Une zone a souhaité reprendre cet emblème, celui de la vieille garde (la vieille garde est le nom donné aux fondateurs de Máfia Azul dont Jean-Marc fait partie, ndlr), pour leur zone, et… On a laissé passer !
Y’a aussi Che Guevara, Chucky, Saddam Hussein… Je suis allée en France avec un tee-shirt de la Máfia Azul Saddam Hussein, je peux te dire que je l’ai retiré rapidement ! Chaque groupe a un nom, un emblème, un numéro et une devise. Les sections sont assez indépendantes, et ça crée des problèmes. Le type, souvent, pense plus à sa section qu’à l’unité de l’association. Il y a des rivalités entre sections de temps en temps… Certaines zones veulent se montrer plus fortes que d’autres. Dans ces cas-là, la direction doit calmer les gens.
À mon époque deux groupes distincts ne se supportaient pas, j’avais beaucoup de mal à contrôler les choses. Quand je suis parti ça a dégénéré, ils sont devenus une dissidence de la Mafia. Aussi parce que le président a été incapable de gérer la situation. Tu dois savoir parlementer. C’est con, on a perdu une section très forte.Malgré tout on souhaite que ce soit uniformisé au niveau de l’apparence, des chants… Tout le monde habillé de la même manière. Les drapeaux des sections sont permis s’ils sont réglementaires, si la cotisation est payée… Mais on veut une uniformisation de l’apparence.
« On a joué contre le rival de San Lorenzo, Huracán. On s’est pris une tôle 3-1, horrible. Ils nous provoquaient… alors on a fait les chants du San Lorenzo. Les mecs étaient fou furieux. »
D’où vient votre amitié avec San Lorenzo en Argentine ?
J-M : On fait tout pour eux, on les récupère à l’aéroport, on les amène, on les sort en discothèque… C’est par un type de la Máfia Azul qui a toujours été supporter du San Lorenzo. Bizarre pour un Brésilien ! Il est super connu dans la Máfia Azul, il est de la police aujourd’hui… en plus il est balèze, genre lutteur. Quand il y a eu des matchs Cruzeiro-San Lorenzo, on est allé un peu en traînant des pieds au début. Mais ils nous ont reçu comme des rois ! Barbecue, tout frais payé pendant le séjour. L’amitié a commencé comme ça, on a fait pas mal de déplacement dans un sens et dans l’autre.
Quand on a fait la fête annuelle de Máfia Azul cette année, ils sont venus à 10 ou 15. C’est une amitié très forte. On est associé à la Butteler (la barra de San Lorenzo, ndlr), mais on est amis avec tout le monde. Le mec de chez nous est tellement reconnu là-bas qu’on est resté une heure après le match, tout le monde voulait prendre des photos avec lui. Sur le quotidien sportif argentin Olé apparaissaient le pape et lui ! Il a des tatouages de San Lorenzo… L’amitié a commencé dès 95-96, mais cette véritable union avec les supporters date d’il y a 4-5 ans environ.
On a joué contre leur rival, Huracán… on a mis une grande banderole et des drapeaux de San Lorenzo pour provoquer. On est allé voir Huracán contre Cruzeiro en Argentine, les types de San Lorenzo ont voulu aller avec nous au stade… ils ont été bloqués par la police qui ont su qu’ils n’étaient pas brésiliens, seuls 2 sont passés. On était une centaine de la Máfia. On s’est pris une tôle 3-1, horrible. Ils nous provoquaient… Alors on a fait les chants de San Lorenzo. Les mecs étaient fous furieux. Ils voulaient envahir notre espace. Les flics nous avaient pas mal embêtés avant, avec notre matériel… À ce niveau-là, ils sont terribles en Argentine.
Je suis venu avec mon écusson du PSG, énorme, pour mettre sur le grillage. Les couleurs, bien sûr, sont bleu et rouge… les couleurs de San Lorenzo ! Ils ont cru que c’était une banderole de San Lorenzo ! 3 barrières de flics, ils voulaient me prendre la banderole… Je leur ai expliqué que c’était le PSG, la France, c’était écrit ! J’ai eu du mal mais ils ont fini par comprendre. Je mets toujours une banderole du PSG.
Justement… Vous aviez une amitié avec certains supporters parisiens ?
J-M : À mon époque, on allait à Auteuil. On était super amis avec les Supras, les Tigris, Lutèce Falco… On sortait. J’adorais le style des Supras. On s’est connu sur les forums, un Français qui commande une association au Brésil ça interloquait… je venais voir ma mère en banlieue et ils m’invitaient au Parc.
Au-delà des amitiés, il y a des unions entre torcidas. Dans le contexte du Brésil, ça veut dire beaucoup.
L’union c’est comme un pacte. Tu dois défendre et faire tout pour aider les autres.On fait partie de « l’union poings croisés ». Quand j’étais président, j’ai décidé de sortir pacifiquement de l’union car je considérais qu’ils ne nous aidaient pas autant qu’on le faisait nous. Ils ne faisaient pas assez… Et on est capable de résoudre nos problèmes nous-mêmes. C’est devenu notre devise, « Nós por Nós ». On est sorti de l’union, en la respectant. On avait un problème avec la Jovem du Flamengo.
Máfia Azul est revenue dans l’union, on est très ami avec Jovem (Torcida Jovem, ndlr) du Sport Club de Recife, qui ont des problèmes terribles de violence, et avec l’Independente de São Paulo. On avait une amitié avec les Fanáticos de l’Atlético Paranaense.
« C’est pas les petits riches qui vont au stade qui vont aider le club. Ce sont les vrais supporters »
Les stades au Brésil sont-ils désormais réservés aux riches ?
J-M : Aujourd’hui, il est clair qu’on essaie d’enlever tous les pauvres du stade. Les dirigeants du club me l’ont clairement dit. Le club veut que les supporters s’associent au club. Je paie 30 ou 40 euros par mois et j’ai ma place de réservée. Mais je la paye chère. C’est énorme pour le Brésil.
On est très forts à l’extérieur, on se déplace en masse. Nos supporters qui sont des classes défavorisées n’ont pas les moyens d’aller au stade tout le temps. Ils se motivent pour voyager à Rio, voir le Flamengo au Maracanã… On peut se déplacer à 40 ou 50 bus. Ça fait 2500 personnes… un cortège impressionnant. Les supporters vont choisir leur déplacement : il y a des matchs de guerre, des matchs tranquilles, d’autres où il y a la plage… les gens décident où ils vont investir leur argent. Flamengo-Cruzeiro au Maracanã un dimanche, ça motive.
Nous on a un gros problème, on a deux tribunes dans le stade, une partie de nos supporters est en haut et l’autre en bas. On n’arrive pas à les regrouper. J’ai dit au club du Cruzeiro, faites une tribune populaire dans le stade !
Le club a pas forcément de bonnes relations avec les torcidas… Quand on a eu la bagarre avec la dissidence, le président du club nous a insulté dans les médias, « pires vagabonds », « race à exterminer »… J’ai eu les nerfs qu’il raconte que des conneries. J’ai téléphoné, je lui ai dit qu’on était coupable et qu’on payait l’amende, mais faut arrêter ces conneries car il va perdre 15% de ses supporters, et quand l’équipe va mal, ça ira mal pour lui. C’est pas les petits riches qui vont au stade, qui vont aider le club. Ce sont les vrais supporters. Tu peux pas te mettre contre les torcidas, ça n’existe pas. On influence les autres supporters… Au final, il a compris.
Propos recueillis par Ophélie F.