L’entraîneur de l’AS Monaco, Leonardo Jardim, a livré une interview pour le site FourFourTwo Performance dans laquelle il se confie sur sa façon de voir le métier d’entraîneur. Traduction.
Vous aviez 27 ans lors de votre premier rôle de manager, est-ce que votre longue expérience vous donne un avantage en tant que coach ?
Leonardo Jardim : Je dirigeais des U13 à 19 ans. Ensuite, j’ai été manager assistant à 21 ans avant d’avoir mon premier rôle de manager à 27 ans. Je n’ai jamais cessé d’entraîner. Cela m’a donné quelque chose que beaucoup ne comprennent pas : 15 ans d’expérience. L’expérience n’est pas la connaissance. L’expérience est l’expérience par elle-même et rien de plus. C’est complètement différent de la connaissance. L’expérience vous donne la capacité de prendre de meilleures décisions et de faire moins d’erreurs. Voilà ce que l’expérience peut vous donner : la capacité de prendre de meilleures décisions ou d’améliorer votre prise de décision par la répétition.
De quelle manière parveniez-vous à faire respecter vos consignes à des joueurs plus âgés que vous ?
Honnêtement, je n’ai jamais eu de gros problèmes durant mes 15 ans d’entraîneur. J’essaie toujours d’être proche de l’action, donc j’évite que les problèmes surviennent. Je crois que les problèmes existent parce que les gens font en sorte qu’ils existent. En football, tout peut arriver rapidement. Le football est une question d’émotions et si vous ne faites pas attention à une petite chose, soudainement, ça peut devenir un gros problème.
Est-il important pour un manager d’être proche de ses joueurs ?
Mon secret est d’être proche de mes joueurs et de mon staff. C’est si important d’être proche de tout le monde que cela influe sur la performance. Être proche ne signifie pas que j’ai une relation étroite avec les joueurs. Ce sont deux choses complètement différentes. Le plus grand risque est là. Savoir mettre de la distance ou savoir rapprocher les gens, c’est impératif. Je ne crois pas qu’un coach qui mette de lui-même une distance avec ses joueurs puisse avoir le meilleur de chacun d’eux.
Adaptez-vous votre style de management en fonction des différentes personnalités ?
C’est vital. Nous sommes à la fois tous pareils et tous différents. Le même commentaire peut rendre anxieux un joueur, en détendre un autre ou en faire trop réfléchir certains. C’est pourquoi nous avons besoin de très bien connaître nos joueurs. Pour optimiser la performance, je dois motiver certains joueurs et être plus critique envers d’autres afin d‘avoir le meilleur d’eux. Aujourd’hui, le football est une industrie qui est de plus en plus consciente de l’importance de cet aspect. Le scouting est plus conscient de ce détail et, pour moi, avoir une personnalité et la capacité d’apprendre est essentielle. Si un joueur possède ces deux derniers aspects, il peut s’en sortir sans pour autant avoir d’autres qualités spécifiques.
Pensez-vous qu’on puisse devenir un grand entraîneur sans être un leader ?
Être un leader est vraiment important pour moi et mon travail. C’est l’une des nécessités les plus importantes pour un entraîneur. On doit comprendre le jeu et avoir une connaissance de l’entraînement. On doit même avoir des notions médicales et savoir gérer l’aspect médiatique. On doit acquérir un savoir dans un certain nombre de domaines différents, mais le leadership est le point de départ. Si vous n’avez pas des compétences en leadership, il est difficile de devenir entraîneur. Le management dans le football consiste à savoir mener un groupe, mener des groupes de travail différents. Il est aussi vital de transmettre la confiance que l’on a envers le board et les fans.
Étudiez-vous certains grands leaders en football ou dans d’autres domaines ?
Dans ma carrière, je me suis adapté à différentes expériences. Être à la tête de Monaco est différent que d’être à la tête de Camacha, du Desportivo de Chaves, de Beira-Mar, du Sporting ou de l’Olympiakos. Chaque situation est une nouvelle situation. Vous ne pouvez pas acheter le leadership. Mon leadership est mon leadership. Je connais certains leaders, j’en lis d’autres aussi, mais je me construis mon leadership. Essayer de copier le style de leadership de quelqu’un d’autre est une erreur. Chaque manager devrait conduire son équipe comme il l’entend, de la façon dont il se sent le plus à l’aise. Évidemment, je m’identifie à d’autres leaders et je sais que certains bons leaders se comportent d’une façon à laquelle je ne pourrais pas m’adapter. Mais vous n’avez pas vraiment besoin de connaître la personnalité d’autres leaders – vous savez seulement l’image qu’ils transmettent.
À quelle fréquence parlez-vous à vos joueurs en face à face ?
Tous les jours. Je leur parle tous les jours. Toutes les méthodes de communication sont importantes. Nous avons des messages collectifs, aux joueurs, au staff, et tout le monde fait partie du processus. J’ai parfois des messages spécifiques pour notre défense, notre milieu ou notre attaque, mais aussi en fonction des positions. Par exemple, je peux donner des messages à mon attaquant, à l’ailier gauche ou au défenseur central. Je ne parle pas à chacun d’eux individuellement quotidiennement mais je parle avec certains tous les jours. Ça dépend de la personnalité et des besoins du joueur.
Les joueurs d’aujourd’hui sont-il plus difficiles à entraîner que ceux que vous entraîniez au début de votre carrière ?
Aujourd’hui, le monde est plus complexe. Il y a une plus grande connaissance dans tous les domaines et les gens cherchent activement la moindre information. Maintenant, vous ne pouvez pas donner une fausse information à un joueur comme certains entraîneurs le faisaient dans le passé parce qu’aujourd’hui, vos joueurs comprendront facilement ce qui est vrai et ce qu’il ne l’est pas. Il y a 30 ans, votre entraîneur pouvait dire que manger un certain fruit était bon pour la performance et ça devenait une loi. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il est aussi important de comprendre que nous avons aujourd’hui les réseaux sociaux, les agents, et que chaque joueur est une institution pour le fan. Tous ces problèmes n’existaient pas par le passé. Les joueurs jouissent du principe d’individualité et ils ont aujourd’hui une attention envers leur image qui n’existait pas par le passé. À lui seul, Falcao a 12 millions de suiveurs sur Twitter, soit davantage que certains clubs de Ligue 1.
Vous avez déjà travaillé dans trois pays différents, pensez-vous qu’un entraîneur puisse avoir du succès sans apprendre la langue du pays où il travaille ?
La plus grande difficulté quand vous arrivez dans un nouveau pays est de transmettre votre message aux fans et aux médias. Dans les clubs, c’est partout pareil. À Monaco, on a des joueurs italiens, français, brésiliens, espagnols, portugais, etc. En tant qu’entraîneur, nous devons avoir des compétences en communication pour transmettre notre idée au club. Pour réussir à l’étranger, vous devez avoir une grande connaissance du pays dans lequel vous travaillez et avoir la capacité de parler la langue natale couramment. Si vous n’avez pas au moins une de ces choses-là, vous serez en difficulté. Le football, c’est de l’émotion, un élan.
Quand j’étais à l’Olympiakos, le président avait investi pour des joueurs grecs et ils ne parlaient pas anglais. En Grèce, je devais faire avec un traducteur. Pour comprendre la langue, il est toujours important de transmettre votre idée mais l’image est aussi importante. Je peux vous donner un exemple. En phase de groupes de Ligue des champions, on a joué Tottenham, dirigé par Mauricio Pochettino, un entraîneur que j’admire beaucoup. Au début, il faisait avec un traducteur, mais je suis certain qu’il connaissait l’anglais. La question est de savoir si la connaissance qu’il avait de la langue était suffisante pour qu’il puisse transmettre ses idées. Ici, en France, j’ai pris le risque de parler français depuis le premier jour – non sans difficulté – mais parfois c’est un aspect clé.