À quelques heures seulement du coup d’envoi nous vous présentons l’un des matchs, si ce n’est le match le plus chaud du monde, via la désormais rubrique culte « Ils se détestent ». Un duel entre River Plate et Boca Juniors, c’est plus qu’un derby, comme le rappelle son appellation : le « Superclásico ». Récemment, un quotidien britannique avait même classé ce choc comme l’un des 50 événements sportifs à voir absolument avant de mourir. Ce soir, nul doute que le cœur du Monumental va une fois de plus s’enflammer avec ce duel entre les deux clubs les plus titrés du football argentin, qui, une fois de plus devrait retenir toute l’attention de la planète football.
Cette rivalité tient d’ une origine : le barrio (le quartier). River Plate a été fondé suite à une fusion à La Boca, quartier proche du centre de la capitale fédérale, le 25 mai 1901. Boca Juniors voit le jour dans le même quartier quatre ans plus tard, le 3 avril 1905 grâce à un groupe d’immigrés italiens venant de Gênes désireux de créer leur propre club de football. Pour certains, la première confrontation entre les deux équipes remonte au 2 août 1908. Sur le terrain de Boca dans la partie sud des docks, les locaux auraient pris le soin de s’imposer 2-0. Selon une autre version qui parait plus crédible, le premier derby de l’histoire a été disputée le 24 août 1913 sur le terrain du Racing, 2-1 pour River. Le match de football dégénère rapidement, d’abord sur le terrain et ensuite dans les tribunes. Une baston entre joueurs, entre supporteurs, le tout pour l’honneur bien sûr. Toujours est-il que les deux institutions ne vont pas tarder à prendre des chemins totalement différents.
Au niveau sportif, la puissance économique de River Plate lui permet de dominer les premières rencontres. Beaucoup moins riche, Boca devra patienter quelques années pour garnir son armoire à trophées. Sur le plan social, les « Xeneize » sont de plus en plus ancrés dans le quartier populaire de la Boca, au contraire des « Rojo y Blanco », qui ne se sont jamais vraiment installés. Quand River emménage dans le très huppé quartier de Núñez, tous les ingrédients du « Superclásico » sont réunis. Très vite, ce sont « les friqués » qui s’approprient le club rouge et blanc. Disposant de moyens économiques supérieurs à Boca, le C.A River Plate prend alors le surnom de « Millionarios » (les millionnaires). Boca Juniors reste dans son quartier et devient le club emblématique des classes populaires. De là, née une rivalité synonyme de lutte des classes entre les habitants de Buenos Aires. Mais cette rivalité va vraiment prendre forme lorsque le championnat argentin devient professionnel en 1931. Le match entre River et Boca le 19 septembre 1931 fût le véritable déclencheur d’une guerre entre « Millonarios » et « Bosquenses ». Après trois expulsions de joueurs du côté de River Plate pour contestations, ce « Superclasico » aura duré seulement 26 minutes suite à l’abandon du reste des joueurs de River ! Les points du match seront donc attribués à Boca Juniors. Lors du match retour, à la 34 ème et dernière journée, Boca est déjà champion mais la rivalité est encore plus intense. Pas question d’offrir des points à River ni de lever le pied. Le « Millo » prend une raclée 0-3 et immense joie pour Boca qui, en plus de remporter le titre, peut aussi se proclamer « equipo del barrio » (équipe du quartier), une distinction bien plus importante pour les Jaune et Bleu. River terminera 4 ème du championnat à six longueurs de l’ennemi voisin, une grosse déception qui ne sera pas oubliée jusqu’au 19 novembre 1933.
Une première victoire 3-1 pour le « Millo » lors d’un « superclásico ». Plus important encore, River prive du même coup, grâce à cette victoire, son pire ennemi d’un titre finalement glané par San Lorenzo.
« La puerta 12 », une tragédie gravée à jamais
23 juin 1968. River reçoit Boca dans le magnifique stade Monumental à guichets fermés pour l’occasion. Dans le football, rivalité rime généralement avec rixes entre supporteurs. Mais la plus grande tragédie du football argentin na pas été causée par des bagarres. Suite à un match famélique qui se termine sur un score vierge, les fans de Boca sortent de la Puerta 12 qui donne sur la rue Figuero Alcorta. Pour sortir de la tribune réservée aux supporteurs visiteurs, il fallait descendre un peu moins d’une centaine de marches jusqu’à la rue. Un tunnel sombre s’est transformée en un entonnoir, un piège humain. Pour une raison toujours inconnue, la porte qui séparait le stade de la rue n’était pas ouverte. Les visiteurs désireux de sortir ont continué de pousser. Ce mouvement de foule fit plus de 150 blessés et 71 morts, la majorité d’entre eux étant des enfants. Malgré plusieurs plaintes et investigations, le ou les coupables n’ont jamais été désignés. Et à ce jour, personne n’a payé pour cette tragédie. Ce drame du football argentin pérennisera la haine entre River Plate et Boca Juniors jusqu’à aujourd’hui.
Des anecdotes, des chiffres et des traîtres
On ne dénombre pas moins de 328 « Superclásico » déjà joués entre les pires ennemis du monde. Avantage aux « Xeneizes » de Boca Juniors avec 120 victoires au compteur contre 104 pour « la banda roja ». 441 buts ont été marqués par Boca dans ce derby, 403 pour River. Néanmoins River Plate peut se vanter de posséder le meilleur buteur de l’histoire des « Superclásico » en la personne de Angel Labruna qui comptabilise 16 buts en matchs officiels. De l’autre côté, le meilleur buteur des « Bosteros » se nomme Paulo Valentim avec 10 buts inscrits. Chacun s’est toutefois offert le plaisir de fêter un titre dans l’antre de l’ennemi juré. Boca y est parvenu en 1969, en obtenant un nul 2-2 lors de la dernière journée du Metropolitano, alors que les hôtes avaient la possibilité de les priver de titre. Les « Millonarios » se rattraperont en 1986. Déjà assuré du titre, River se fera un plaisir de commencer les réjouissances à la Bombonera. Ce jour-là, les « hinchas » envoyèrent tellement de « papelitos » que le match fut joué avec un ballon orange. River s’imposa 2-0 grâce à un doublé de Norberto Alonso. En 1941, les buts de José Moreno, de Labruna, d’Adolfo Pedernera et d’Aristóbulo Deambrossi (x2) offrent un succès 5-1 à la « banda sangre ». Boca lui renverra l’ascenseur en s’imposant sur le même score lors de ses succès de 1959 et 1982. Lors de ce dernier, obtenu au Monumental, Oscar Ruggeri et Ricardo Gareca figurent parmi les buteurs. Quelques temps plus tard, ils changeront de camp. En parlant des joueurs qui ont porté les deux tuniques, ils sont plusieurs à oser la trahison. Le cas le plus célèbre est celui du goleador Gabriel Batitusta passé de River à Boca en 1990 et qui recevra par la suite des menaces de morts par des supporteurs « millonarios » déçus de son attitude. En Argentine, on ne plaisante pas avec les valeurs. On peut aussi citer Tarantini formé à Boca mais qui a enfilé le maillot rouge et blanc quelques années plus tard ou encore Caniggia qui a fait le chemin inverse. Traître se dit « traidor » en Argentine…
Le torchon brûle toujours
Depuis quelques temps, les deux clubs ont une actualité bien différente. Alors que Boca alterne titres nationaux et beaux parcours au niveau international, River n’a plus remporté un titre depuis 2008. Pire, les « Millionarios » ont même connu la relégation en deuxième division pour la première fois de leur histoire en 2011 ! Après une année de purgatoire, River accède de nouveau au plus haut échelon en compagnie du « Roi » David Trezeguet comme il était surnommé du côté du Monumental. Cette descente fut vécu comme un drame national pour les fans du « Millo » et comme une aubaine pour ceux de Boca. La saison dernière lors des retrouvailles à la Bombonera, les « hinchas » de Boca ont rappelé qu’un « Superclasico » était aussi un spectacle à part entière dans les tribunes. Ces derniers n’ont cessé de chanter à leurs invités du soir qu’ils n’oublieraient jamais cette relégation dans une ambiance extraordinaire !
Oui car le « superclasico » c’est l’Argentine, pays unique pour sa culture football, sa ferveur et sa passion autour du ballon rond. Et si tout cela ne vous suffisait pas pour être persuadé que ce soir il faut zapper l’équipe du dimanche et veiller un peu plus tard, Carlos Bianchi, ex entraîneur de Boca, finira sans doute de vous convaincre. Coup d’envoi à 23 h 15 !
« J’ai joué un Barcelone-Real Madrid, qui est un match très important car il implique deux villes énormes, mais Boca-River, c’est autre chose. C’est comme coucher avec Julia Roberts ! »
Diego Armando Maradona