Le FK Partizan Belgrade reçoit l’Etoile Rouge de Belgrade ce samedi à 19 heures au stade du Partizan. Le match le plus attendu pour les supporters serbes et pour les amateurs du monde des tribunes en général. Depuis maintenant plus de soixante ans, les deux clubs de la capitale serbe s’affrontent lors du « derby éternel ». Zoom sur un antagonisme qui frôle parfois l’excès.
La Serbie, pays de la région des Balkans, passé successivement de la Yougoslavie à la Serbie-Monténégro avant de devenir totalement indépendante en 2006. Dans le pays de Slobodan Milošević, le football est roi. Les deux équipes de Belgrade, le Partizan et l’Etoile Rouge, Crvena Zvezda pour les locaux, sont les plus populaires de Serbie. Elles s’affrontent chaque année depuis 1947 dans le cadre du Večiti Derbi, le derby éternel, souvent pour les premières places du championnat.
Dans l’Europe de l’Est d’après-guerre, football rime souvent avec politique. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les deux formations voient le jour à quelques mois d’intervalle. D’un côté, l’Etoile Rouge de Belgrade fondée le 4 mars 1945 par des antifascistes représentants du Parti communiste Yougoslave. De l’autre, le club de l’armée Yougoslave, le FK Partizan Belgrade crée le 4 octobre 1945. Les oppositions entre les deux équipes tournent rapidement à la confrontation entre le ministère de la Défense et celui de l’Intérieur. Aujourd’hui, nous sommes loin de la réalité de l’époque, du moins en tribunes où malgré la rivalité sportive, les deux virages les plus chauds de Belgrade sont très proches politiquement dû à leur proximité avec l’extrême droite. En attestent les nombreuses amitiés des deux principaux groupes de supporters en Europe, avec un petit clin d’œil du destin : Le Spartak Moscou pour l’Etoile Rouge et le CSKA Moscou pour le Partizan…
Le premier match entre les deux clubs se déroule en 1947 avec une victoire 4-3 pour les Rouge et Blanc, cependant cette victoire n’empêche pas le Partizan de remporter le championnat cette année-là. Il faut attendre le 27 avril 1947 pour que les Noir et Blanc ne remportent leur premier derby et 1951 pour que l’Etoile Rouge de Belgrade, club de cœur d’un certains Novak Djokovic, soit sacré pour la première fois. À l’origine, c’est sur le terrain que le derby gagne ses lettres de noblesse. Et pour cause, la Yougoslavie est un vivier de talents avec des joueurs tels que Marko Valok ou Bora Kostic. La rivalité sportive monte d’un cran à Belgrade lors du démantèlement de la Yougoslavie et la création du championnat de Croatie dans lequel le Dinamo Zagreb et l’Hajduk Split joueront désormais. Il ne reste alors plus que les deux équipes de Belgrade pour se partager la suprématie sportive et les trophées qui vont avec. Sur la scène nationale, l’Etoile Rouge et le Partizan sont à égalité parfaite : 25 titres de champion chacun.
Grobari-Delije : le match des tribunes
L’actuel défenseur de l’Olympique Lyonnais et ancien joueur de l’Etoile Rouge, Milan Bisevac a décrit la tension qui monte à quelques jours du match : « Une semaine avant le derby, on sent une atmosphère particulière, la pression monte dès le lundi. C’est un grand match dans une ambiance magnifique. Au Marakana, dans le vestiaire, avant le match, on entend déjà le public. Ça donne la chair de poule ». Sur le terrain, le match a perdu son lustre d’antan contrairement à l’engouement populaire autour de ce classique du football serbe. Les supporters des deux clubs donnent de la voix et se livrent à un concours de romantisme : « L’Etoile Rouge est ma vie, rien d’autre n’a d’importance ». Ce à quoi les fidèles adverses répondent : « Je donnerais ma vie pour le Partizan ». Les Delije (« vaillant » en français) pour l’Etoile et les Grobari (fossoyeur) pour le Partizan sont les principaux groupes de supporters qui ne manquent pas d’imagination pour mettre le feu au stade. À noter que les Delije sont malgré eux responsables du surnom (Grobari) de leurs rivaux. En effet, le pseudonyme que portent fièrement les fans du Partizan provient des couleurs (noir et blanc) du club que les employés des pompes funèbres portaient. Un virage noir et blanc pourtant divisé depuis 2011 où des tensions sont apparues entre les Zabranjeni (les « Interdits »), qui ont maintenant migré dans le corner Nord-Est du stade façon UB90 de Strasbourg, et les Alcatraz. Ces premiers reprochent à leurs homologues d’avoir privilégié d’autres activités et d’avoir laissé la mentalité ultra de côté… Depuis, les deux groupes s’ignorent totalement et assurent l’animation séparément. Du côté du Red Star la situation est tout autre, les Delije reste la référence, en dépit de l’existence des Belgrade Boys, pour enflammer le virage du Marakana. De plus, les relations avec le club restent cordiales. « Nos relations avec les Delije sont bonnes dans le sens où nous aimons le club autant qu’eux. Et nous sommes fiers de leurs animations. Lorsqu’il y a des incidents où certains ultras sont concernés, nous faisons notre possible pour que les autorités policières visent à punir les individus impliqués, et non les associations de supporters ou l’institution même de l’Étoile Rouge », confiaient Marko Nikolovski le responsable des relations publiques et Stefan Pantovi le secrétaire général du club à nos confrères de So Foot.
Autre source de conflit dans les tribunes, le parcours des deux géants serbes dans les compétitions européennes. Les supporters du Partizan se sont longtemps vantés d’être le seul club serbe à avoir atteint une finale de la Coupe des clubs champions (édition 1965-1966: défaite 2-1 face au Real Madrid). Cependant, ce succès prend fin lorsque l’Etoile Rouge remporte « la Coupe aux grandes oreilles » en 1991 face à l’Olympique de Marseille de Jean-Pierre Papin. La même année les Rouge et Blanc soulèvent la Coupe intercontinentale, opposant les vainqueurs de Coupe des clubs et de la Copa Libertadores, face aux Chiliens de Colo Colo au stade Olympique de Tokyo. Les supporters du Zvezda n’oublient pas leur passé glorieuxet entonnent lors de chaque derby « Etoile, de Serbie à Tokyo » auquel les supporters rivaux rétorquent « Partizan, de Serbie en Serbie ».
Cependant, le derby de Belgrade est souvent entaché de violents affrontements entre hooligans des deux clubs. En septembre 1989, la fin du match sifflé, les supporters du Partizan envahissent le terrain et l’après-match se solde par des heurts dans le centre-ville provoquant 17 blessés du côté de la police pour seulement sept arrestations. Les années passent mais les forces de l’ordre paraissent toujours aussi impuissantes à endiguer les violences lors du derby éternel.
Un enjeu sportif colossal
Le match de samedi déterminera le futur champion de la Jelen SuperLiga. L’Etoile rouge de Belgrade possède ainsi six points d’avance sur l’ennemi, cinq journées avant la fin du championnat. En cas de victoire, le titre de champion qui fuit Zvezda depuis la saison 2007 sera presque acquis. En Serbie, la première place est aussi synonyme d’accession au deuxième tour de qualification de Ligue des champions. La plus prestigieuse compétition européenne que l’Etoile Rouge n’a plus connu depuis cette même année 2007 et une élimination au troisième tour préliminaire face aux Glasgow Rangers.
Au-delà du football, les travées du stade trembleront samedi quand les fidèles des deux équipes encourageront leurs équipes respectives. L’animosité entre les fans des deux clubs est montée à son paroxysme lors du match aller quand les supporters des deux équipes ont échangé des fumigènes et fusées traçantes provoquant un incendie dans la tribune sud du stade.
L’Etoile Rouge de Belgrade reste invaincue en championnat en 2014 et part donc comme le grand favori du derby. Crvena Zvezda pourra compter sur les ultras Delije qui ont donné le ton dans leur dernier communiqué en annonçant que seul les vrais supporters rentreront en tribune nord, les femmes et les enfants n’étant pas les bienvenus. Un vrai match d’hommes.
Avec Bastien Poupat