Alors que le championnat argentin vient de reprendre ses droits, cette deuxième journée réserve une rencontre assez spéciale : Chacarita Juniors face à Tigre. Une rivalité est ancrée entre ces deux clubs de la banlieue nord de Buenos Aires. Ce match est d’autant plus attendu par les deux hinchadas puisqu’il s’agit de la première confrontation en compétition officielle depuis sept ans.
Le 3 août 1902, un groupe de 12 jeunes décident de fonder le Club Atlético Tigre dans une petite maison située dans cette même ville coquette de Tigre au nord de Buenos Aires. Quelques années plus tard, en 1906 plus précisément, le Club Atlético Chacarita Juniors voit le jour dans une zone limitrophe entre les quartiers porteños de Colegiales et Chacarita. En 1945, suite à des problèmes économiques, le club de Chacarita déménage dans le département de San Martin, dans la proche banlieue nord à quelques kilomètres de Tigre. Depuis, Chacarita, Tigre et Platense sont les clubs qui réunissent le plus de supporters en zona norte de Buenos Aires au-delà des deux géants River Plate et Boca Juniors. Suffisant pour que chaque rencontre entre ces trois-là constitue des affiches très chaudes.
De l’amour à la haine
Curieusement, à l’origine les hinchadas du Matador et du Funebrero étaient amies. Les barras des deux clubs s’invitaient régulièrement à des asados (barbecues). C’est justement à l’une des ces grillades party que la rivalité a débuté au début des années 1980. Tigre devait se déplacer à San Martin pour rencontrer Chacarita. Avant le match, les deux hinchadas avaient comme à leur habitude prévu de manger leur traditionnel asado. Du vin par ci, du vin par là, une remarque déplacée, une droite qui part et une bagarre mémorable entre les deux barras ont entamé le début des hostilités.
Malgré ce contexte entre les supporters, l’amitié entre les deux clubs perdure quand même. Deux ans plus tard, lors d’un match amical, un joueur de Chacarita nommé Fernandez se fracture la jambe après un contact avec un autre de Tigre. Une grosse empoignade éclate sur le terrain et se propage en tribunes. Impossible dès lors de réconcilier les deux hinchadas. Un an plus tard, en 1983, avant une rencontre décisive pour une accession en première division, les leaders des deux barras se réunissent pour essayer de recoller les morceaux. Le ton monte, un supporter de Tigre frappe un Funebrero et la discussion s’arrête net. Le soir même, la tension augmente encore d’un cran : jet de bouteilles, une tribune de Tigre incendiée et de nombreux supporters de part et d’autres en garde à vue ou blessés. Depuis, les rencontres entre Matadores et Funebreros sont d’une violence rare.
Un clasico pour les jeunes, pas pour les anciens
À partir des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, Tigre et Chacarita se retrouvent régulièrement en deuxième division. De tous les clubs de Buenos Aires évoluant alors à l’échelon inférieure, ces deux clubs font partie des plus populaires. Toutefois pour les anciens supporters du Funebrero, leur seul vrai clasico se nomme Atlanta tandis que pour les supporters du Matador, leur rival historique est Platense, le club formateur de David Trezeguet. Le stade de ce dernier se situe dans le quartier de Vicente Lopez et Platense compte de nombreux sympathisants dans les localités de Florida, Olivos et La Lucila. Ces villes font toutes parties de la zona norte et se trouvent géographiquement très proches de Tigre.
Autrement dit, Chacarita-Tigre n’est pas un clasico officiel comme on aime les appeler en Argentine. Mais au milieu des années 1990, ces rencontres se jouaient généralement pour la montée en première division, le côté dramatique de ces matchs n’a fait qu’accentuer la rivalité. Aujourd’hui, la génération des 20-40 ans des hinchas de Chacarita préfère battre Tigre et inversement tandis que leurs aînés préfèrent battre Atlanta et Platense. Tigre possède également une grande rivalité historique avec un autre club de la banlieue nord. Il s’agit de San Miguel qui évolue actuellement en quatrième division argentine et qui représente les villes de San Miguel, Polvorines, Villa de Mayo, Adolfo Sourdeaux, Grand Bourg, Pablo Nogues et Tortuguitas. Toutefois, le manque de résultats sportifs de San Miguel a un peu éteint cette rivalité.
Chacarita a historiquement toujours eu un rapport très fort avec la gauche argentine. Logiquement, puisque le club a été fondé par des ouvriers anarchistes et socialistes et ses couleurs n’ont pas été choisies au hasard : le rouge pour le socialisme, le blanc pour la pureté de ses membres et le noir pour le cimetière du quartier porteño de Chacarita. Par ailleurs, San Martin, le fief du club, est le département de la banlieue de Buenos Aires qui compte le plus de villas miserias, ces bidonvilles à la sauce Argentine. Du côté de Tigre, le panorama est différent : la plupart de ces supporters viennent des villes de Tigre,Victoria,
Pacheco, Martinez, Beccar, San Isidro et San Fernando. Beaucoup de ces villes sont chics et ultra-sécurisées. D’une manière un peu caricaturale, il s’agit du Neuilly-Sur-Seine de Buenos Aires. Tigre est d’ailleurs réputé pour être un endroit prisé des touristes qui prennent le bateau pour découvrir le magnifique détroit du même nom. Il serait réducteur de cataloguer Chacarita comme le club des pauvres et des violents et Tigre le club des » bourgeois « , mais c’est en partie vrai.
Chacarita remonte tout juste en première division. La dernière confrontation en 2010 avait dû se jouer au stade de Vélez Sarsfield pour éviter tout type d’affrontements entre les deux hinchadas. Le match de ce dimanche devrait se jouer lui comme prévu à San Martin, dans l’antre de Chacarita, mais comme de coutume désormais, sans visiteurs.