Président mais aussi capo du groupe de supporters du FC Lorient, les Merlus Ultras 1995 (MU95), Florian revient sur une saison où les fans lorientais sont passés de la résignation, à l’espoir de voir leur club se maintenir en Ligue 1. Avant la déception. L’occasion pour parler aussi du mouvement ultra français en général, mais surtout des 20 ans et des animations à foison des MU95 au cours de ces derniers mois.
Bonjour Florian. Peux-tu nous dire depuis combien de temps tu suis le FC Lorient et nous présenter ton parcours au sein des Merlus Ultras 1995 ?
Florian : Je suis le FC Lorient depuis l’âge de 5 ans quand j’allais au stade avec mon père. J’ai ensuite intégré les Merlus Ultras 1995 à 17 ans. La saison qui vient sera ma neuvième saison au sein du groupe. Mon parcours a été un parcours classique si je puis dire, j’ai commencé à être actif à domicile et en déplacement. Puis, à l’aube des 18 ans du groupe, un nouveau bureau s’est mis en place avec pour objectif d’aller jusqu’au 20 ans. William a pris la présidence et moi la vice-présidence. Au bout de trois saisons, j’ai ensuite pris le poste de président du groupe. Je suis aussi le capo depuis cinq ans. Bon, au niveau sportif j’ai quand même pas mal porté la poisse (rire) !
La présidence est très importante au sein d’un groupe, avec beaucoup de responsabilités. Es-tu en relation permanente vis-à-vis des dirigeants du FC Lorient mais aussi de certaines autorités ?
Oui. J’avais déjà plus ou moins ce rôle-là quand j’étais vice-président. C’est moi qui suis en contact permanent avec le club, au moins une fois par semaine pour gérer les déplacements, les animations à domicile. Effectivement ce sont des responsabilités qui demandent énormément de temps.
Peux-tu nous raconter les débuts du groupe et quelles ont été les inspirations à la base pour implanter le mouvement ultra à Lorient ?
Contrairement à beaucoup de groupes français qui se sont inspirés de l’Italie, nous on s’est plutôt inspiré de ce qui se faisait déjà en France à l’époque. Nous sommes nés en 1995, le mouvement ultra français avait déjà plus de dix ans. À Lorient, il y avait un club de supporters (CCS) présent mais rien de concret au niveau ultra. Ça a démarré avec une bande de copains, fidèles lecteurs de Sup’Mag (magazine paru en France d’août 1992 à novembre 1995 s’inspirant du précurseur italien Supertifo, ndlr), qui allaient au stade et qui ont été interpellés par ce qui se faisait en face en parcage par d’autres groupes. Après quelques matchs de championnat en 1995, ils ont décidé de se mettre dans un coin avec une toute petite bâche où il était inscrit « Ultras Merlus » récupérée auprès du CCS. C’est parti comme ça et les statuts de l’association ont ensuite été mis à jour en janvier 1996. Pour l’anecdote, notre bâche historique fut offerte par un sponsor du club courant de la saison 1996.
Quels sont l’esprit et les valeurs défendus par les Merlus Ultras ? On sait par exemple que le groupe met énormément en avant l’identité bretonne et ce « Celtic Spirit ».
Être là pour son club, sa ville et s’investir dans le groupe en participant aux tâches pour les matchs à domicile. Autre point essentiel, les déplacements. C’est quelque chose que l’on aime beaucoup, c’est là que l’on apprend à se connaître et à tisser des liens tous ensemble. De plus, on reste un petit groupe, cette saison nous étions 167 membres ce qui constitue l’un des records avec la saison 2006-2007 où l’on était environ 180. Pour en venir au « Celtic Spirit » c’est vrai que l’on aime bien l’identité bretonne, on s’en sert pas mal dans nos animations. Après sur Lorient, on a aussi le Festival Interceltique qui se déroule tous les ans début août. D’aileurs, c’est aussi pour ça que le FC Lorient ne jouait jamais ses premiers matchs en Ligue 1 à domicile car le stade servait à chaque fois pour le festival.
L’identité bretonne est donc importante, qu’en est-il au niveau de la politique au sein du groupe ?
Nous sommes complètement apolitiques. On évite juste tout symbole français, mais justement vis-à-vis de cette identité bretonne. Sinon pour le reste, il n’y a pas de politique chez les MU95.
Toujours au sujet de cet identité bretonne, a-t-elle entraîné des amitiés avec d’autres groupes bretons ou au contraire des rivalités ?
Au niveau des amitiés, on n’a aucun contact avec les supporters des clubs bretons et le groupe ne possède aucun jumelage. Pour les rivalités, la plus significative reste Brest avec un vol de bâche de notre côté lors de la saison 2004-2005 et quelques vols de drapeaux du leur. Après, la rivalité avec Brest était déjà bien ancrée auparavant, ces événements l’ont juste amplifiée.
Pour en venir aux 20 ans des Merlus Ultras, vous avez marqué les esprits avec des animations en continu sur toute l’année 2015. Comment est venue cette idée de célébrer sous forme de chapitres cet anniversaire ?
Trois ans auparavant, comme je le disais toute à l’heure, un nouveau bureau se met en place avec l’objectif de rester jusqu’aux 20 ans et d’assurer toutes les festivités pour cet événement. À partir de ce moment-là, on décide d’augmenter la carte de membre de 5 euros en vue de tout cela. On avait vraiment envie de réaliser quelque chose de hors du commun ! Par la suite, des idées commencent à se développer, et à prendre forme. Un des premiers projets mis en place fut le remake de nos 20 ans (de janvier 2015 à décembre 2015), 19 chapitres remémorant 19 faits marquants que le groupe a connu durant ces 20 années, soit une animation par match à domicile, ce qui a été parfaitement respecté, en variant les supports avec des voiles, cartons, voile verticale, bâches etc… Parallèlement, les maquettes étaient confectionnées, et le traçage a pu commencer fin juillet. Presque quatre kilomètres de plastique tracé en un peu plus de quatre mois, pour être juste dans les temps… On a aussi dû pas mal se pencher sur le calendrier pour faire ces 20 chapitres et que le 20ème corresponde avec la date de nos 20 ans. On a failli échouer à quelques reprises sur le remake, avec des animations terminées le matin ou l’après-midi même après une nuit blanche… Je tire un gros coup de chapeau à tous mes membres qui ont mis la main à la patte sans cesse aux tifos.
Le jour de vos 20 ans a été une superbe récompense…
Oui, mais avec tout de même 47 heures de bombage en 4 jours… On a réussi à terminer le tout le vendredi soir à 1 heure du matin ! Le samedi matin, on avait donné rendez-vous au stade pour tout installer et deux écharpes ont été sorties pour l’occasion. Vers 16 heures, un départ en cortège d’une bonne centaine de têtes est organisé, bâche historique en main. Le club nous a même mis une buvette à disposition ! En tout ce seront sept voiles de déployées, deux énormes bâches sorties, 500 serpentins de lancés et un gros craquage en guise de bougies d’anniversaire. Le coup d’envoi fictif, a même été donné par deux de nos membres fondateurs et initialement, dans notre projet, notre seconde animation devait se dérouler à la fin de l’échauffement des joueurs, avec un gros festival d’engins pyrotechniques. Mais cela n’a pas été possible suite à l’État d’urgence… Après une photo sur le terrain devant notre tribune, la soirée fut mythique et se finira le lendemain, avec une pression bien relâchée. Au final, on aura réalisé 27 tifos en 20 matchs à domicile. C’est le bilan de notre année 2015, un projet de dingue, pour un petit groupe comme le nôtre.
Comment avez-vous réussi à mobiliser le Kop Sud avec vous dans ce projet ? D’ailleurs, comment sont perçus les Merlus Ultras par les autres supporters ?
Avant ces 20 chapitres, on a tenté pas mal de tifos à feuilles ou encore PQ mais on avait du mal à mobiliser entièrement la tribune qui peine à suivre sur nos animations. C’est pour cela que notre principal support reste une voile. Sur les supporters lorientais en général, je pense que si tu me posais la question il y a 5-6 ans je t’aurais répondu que l’on était pas forcément bien vu. Depuis notre arrivée en tribune sud, lors de la saison 2010-2011, avec toutes nos animations et nos activités, on a su gagner en crédibilité vis-à-vis des lambdas et même par rapport au club car on a quand même montré un certains savoir-faire et les retours sont positifs. Cette année sur les derniers matchs à domicile il y avait un bloc de 500-600 personnes debout dans la tribune, du jamais vu sur Lorient à part le jour de nos 20 ans justement. Même les joueurs étaient surpris de cette ambiance. Autre chose importante, depuis 2010 on n’a plus loupé de déplacements hormis la Coupe de la Ligue que l’on boycotte ainsi que le Parc des Princes. Tout cela fait que désormais on a un réel poids sur Lorient.
Les Merlus Ultras n’étaient pas membres de la CNU (Coordination Nationale des Ultras, une organisation regroupant 24 groupes ultras d’équipes différentes qui avait été le précurseur du boycott de la Coupe de la Ligue), pourquoi ce choix de boycotter la Coupe de Ligue encore à l’heure actuelle ?
Quand tu commences quelque chose, tu le termines. On reste cohérent en gardant la même ligne de conduite au sujet de cette compétition. Moi quand je suis rentré dans le groupe, on m’a toujours expliqué pourquoi ce boycott envers cette Coupe qui n’a pas d’histoire et qui véhicule seulement les valeurs du foot business. Nous, par la suite, on a pris le relais et l’on a aussi expliqué aux jeunes notre position. C’est d’ailleurs assez bien perçu.
Depuis, le groupe a fait le choix de rejoindre l’Association Nationale des Supporters (ANS), pourquoi ?
Dès son lancement l’ANS a fait des actions concrètes et intelligentes. De plus, elle a su très bien se structurer au niveau juridique. Après un débat en interne, on a décidé de rejoindre ce mouvement qui nous paraît très pertinent. L’ANS fait un très gros travail que ce soit avec les politiques, la fédération, la Ligue etc. Je suis persuadé que ça fera avancer beaucoup de choses dans le futur.
Tu penses que le mouvement ultra français est arrivé à maturité pour arriver à fédérer tous les acteurs concernés ?
Au vu de tout ce qu’il se passe, il sera mature quand chacun mettra un peu d’eau dans son vin. Il faudrait encore plus d’actions communes, plus d’entente entre nous. Dans ce contexte avec une répression à son apogée, honnêtement on n’a plus le choix…
Tu évoques la répression, qu’en est-il dans une ville comme Lorient ?
À Lorient on s’en sort très bien. Même quand tu vois ce qu’il s’est passé lors de notre dernier match face à Troyes en barrage pour la relégation, il y a eu des torches sur le terrain, un envahissement et nous n’avons pas eu de suite pour le moment. Hormis quelques arrêtés sur certains déplacements, on reste une petite ville avec un petit club et un petit groupe, et c’est vrai que l’on est pas mal à l’écart de tout ça. Et puis l’impact médiatique n’est pas le même qu’avec des plus gros clubs comme Saint-Etienne par exemple. On le voit assez bien lors de nos matchs à domicile où il n’y a pas un gros contingent de forces de l’ordre.
Cela est il dû au fait que vous êtes en relation permanente avec le FC Lorient comme tu l’évoquais plus tôt ? D’ailleurs quels étaient vos rapports avec le club avant cette descente en Ligue 2 ?
Ils ne nous ont pas enfoncé alors qu’ils auraient pu le faire certaines fois, il faut être sincère. Mais nos 20 ans ont grandement sensibilisé le public du Moustoir, et comme je le disais on a gagné en crédibilité, notamment auprès du FC Lorient. Franchement, je pense qu’à la base au sein du club, pas beaucoup de personnes ne pensaient notre projet des 20 ans réalisable lorsqu’on leur a présenté en réunion un an auparavant…
Ces bons rapports ont clairement pris du plomb dans l’aile suite à cette fin de saison et cette descente en Ligue 2 après ce barrage perdu face à l’ESTAC. Les Merlus Ultras ont récemment rédigé un communiqué fustigeant beaucoup de monde au sein du FC Lorient (voir ci-dessous)…
On sent clairement que s’il n’y a pas un grand ménage de fait, notre club va couler. Si on continue comme ça, nous irons droit dans le mur. Tous les ans nous avons une réunion de pré-saison avec Loic Féry et depuis le départ de Christian Gourcuff, on ne comprend plus rien à son projet. Tous les ans, la direction fait les mêmes erreurs, notre directeur sportif, Christophe Leroux, n’a plus aucune mainmise sur le recrutement depuis que Féry a placé Alex Hayes, un ancien agent de joueur qui a ses propres intérêts. Le retour de Jeremy Aliadière en est le meilleur exemple vu que Hayes était son agent auparavant.
Hayes est effectivement dans votre viseur mais vous n’avez pas non plus été tendres avec le président Loic Féry, le coach Bernard Casoni ou encore le Directeur Général du club, Fabrice Bocquet…
(Il coupe) Féry nous a quand même annoncé qu’il avait l’impression d’être dans le jeu vidéo Football Manager ! Ça fait peur. Nous, on veut qu’il laisse la présidence à quelqu’un qui aurait un impact sur le sportif pour avoir un véritable projet en ce sens. Comme on peut le voir avec Pinault à Rennes, qui reste juste le propriétaire. L’arrivée de Mickaël Landreau en tant qu’entraîneur nous rassure un peu, de plus Féry a accepté que Landreau vienne avec son staff. Chose qu’il n’avait pas accepté avec Hubert Fournier qui aurait dû venir mais qui a refusé du fait qu’il ne pouvait pas venir avec son propre staff. Pour en venir à Fabrice Bocquet, on l’a aussi pointé du doigt, ça reste le DG du club et pour Casoni tout est dit dans le communiqué, c’est quelqu’un d’incompétent et de plus un mercenaire.
Une dernière question Florian, beaucoup de groupes ultras confient que la Ligue 2 peut parfois avoir du bon en tribune. Qu’elle peut permettre de souder à nouveau un groupe avec par exemple des déplacements dans des villes où l’on n’a plus l’habitude d’aller… Pour ta part, comment envisages tu la saison prochaine ?
Cette année, dès fois on se déplaçait à même pas 15-20 personnes (rire) ! Donc de dire que ce genre de déplacements vont souder le groupe, c’est compliqué. On aura toujours cette base qui voyagera quoi qu’il arrive que ce soit en Ligue 1 ou en Ligue 2 mais sinon ça ne changera pas énormément les choses, hormis les bus que l’on pouvait faire sur des déplacements comme Nantes, Rennes ou Guingamp. Autre chose, ce sont nos emplois du temps qui risquent d’être modifiés avec des matchs le vendredi ou encore le lundi… les joies de la D2 que beaucoup d’entre nous n’ont pas encore connue !
Propos recueillis par Bastien Poupat