C’est officiel ! Après des années de mise en tutelle, le club de Ferro Carril Oeste est redevenu la propriété de ses socios. Une nouvelle qui a été fêtée comme un titre par les supporters du club. Ferro est devenu le symbole de la lutte de certains clubs argentins pour la restitution du pouvoir aux socios et des difficultés financières qui ont touché ceux-ci. Comment l’une des institutions les plus respectées d’Argentine a pu en arriver là ? Zoom sur la descente aux enfers du club de Caballito.
2001,voilà une année que les Argentins n’oublieront pas. Pendant que le pays se trouvait dans une crise économique sans précédent, Ferro Carril Oeste est déclaré en faillite. Le Verdolaga était pourtant l’une des institutions modèles pendant les années 1980. De la main de son président Carlos Leyden et de l’entraîneur Timoteo Griguol, Ferro est devenu champion d’Argentine en 1982 et 1984. Les habitants du quartier de Caballito, fief de Ferro, à Buenos Aires se pressaient pour s’abonner. Le club comptait alors 50 000 socios et était le digne représentant du quartier le plus peuplé de Buenos Aires.
Le Verdolaga n’était pas seulement un club de football. C’était aussi du basket, du volley, du handball, du cricket, de l’escrime, de l’athlétisme, de la natation, du patin sur gazon, du waterpolo, des échecs, du handball et du judo. Ferro était l’un des clubs les plus riches d’Argentine et un moteur social pour de nombreuses générations.Le plus grand rival de Vélez était à l’image d’un club argentin traditionnel.
Il est difficile d’expliquer l’attachement des Argentins pour leur club mais l’aspect social est forcément à prendre en compte. On défend non seulement l ‘équipe que l’on supporte mais on défend aussi l’endroit où on l’on va à la piscine en été, où l’on se réunit pour manger des asados (grillades) le dimanche, où l’on pratique ses disciplines sportives, où l’on va à la gym… Dans certains grands clubs comme Boca ou River, les socios bénéficient même d’un médecin, d’une école, d’une université (dans le cas de River), d’un hôtel et d’un cimetière à Boca.
Autrement dit, le blason d’une institution argentine, c’est un cercle social, c’est presque une vie ! Ce modèle et ses limites est formidablement mis en scène dans le film « Luna de Avellaneda » avec Ricardo Darin. Ferro était alors l’un des clubs les mieux structurés et faisait bénéficier de nombreuses infrastructures à ses socios.
En 1988, le club a même été distingué par l’UNESCO pour son « soutien social, culturel et son développement sportif ». Seul le Milan AC possède également cette distinction. Le siège social du club et le stade ont également été déclarés « sites d’intérêt culturel » par la législature de la ville de Buenos Aires. Cette même législature a même mis en place une mesure, en 2012, pour que ces deux bâtiments ne fassent pas l’objet de spéculations immobilières pendant les années de crise du club. Mais comment cette institution modèle a pu justement entrer dans cette crise ?
Les années 90 et 2000 : Ferro ruiné par ses dirigeants et un juge
Le président Leyden part en 1992. Le club a subi de plein fouet la « hyper inflation argentine » de 1989 qui avait coûté la tête au président Alfonsin. Leyden a réussi malgré tout à sauver les meubles mais Ferro commence à sombrer. En 1993, Felipe Evangelista devient président jusqu’en 1996. Le bilan comptable qu’il lègue est épouvantable. De 1996 à 1999, c’est Marcelo Corso qui prend les reines du club. Pour sa première mesure, il fait appel à des créanciers car selon lui, le club ne pouvait plus survivre économiquement parlant. C’est à ce moment-là que le loup entre dans la bergerie : le juge Herrera. Leyden redevient président et déclare qu’il « ne pouvait pas administrer de la misère ».
Son successeur démissionna lui aussi en prétextant que les décisions du club étaient prises par seulement trois personnes et que « l’esprit démocratique du club n’était pas représenté ». En 2002, Walter Porta prend à son tour le rôle de président alors que le juge Herrera continue de mettre en œuvre son plan. Il voulait privatiser les disciplines sportives et déménager le stade de Ferro. En 2001, il décréte la faillite et le club est désormais régi selon la loi n°25284, la fameuse ley del fideicomiso.
Cette loi est entrée en vigueur en 2000 en Argentine dans le but de sauver les clubs de la faillite grâce à des organismes d’administration et de financement privés. Le juge Herrera a signé l’arrêt de mort du Verdolaga. L’institution aurait pu continuer à survivre grâce à ces socios malgré un déficit de 27 millions de pesos (environ 2,5 millions d’euros). Herrera et l’entreprise « Gerencia SA » de Gustavo Mascardi administrent le club à leur manière mais leur plan tombe à l’eau lorsque Herrera se fera piéger par une caméra cachée d’un programme d’investigation.
Dans cette caméra cachée, le juge parle de son projet, de Ferro, qu’il n’en « a rien à foutre » et qu’il veut créer un centre commercial sur les installations du club. Trois mois plus tard, Herrera est destitué. Le président Corso et le juge Herrera ont laissé le club en ruines. Corso et trois autres dirigeants de l’époque ont été mis en cause pour « administration frauduleuse ». La justice constata qu’ils avaient placé un million et demi de dollars dans un organisme financier uruguayen sans aucune justification. L’argent du transfert du joueur Martin Herrera à l’Alavès avait également disparu. Le juge Herrera, quant à lui, a été mis en examen pour fraude fiscale. Les Mascardi, directeurs de « Gerencia SA », sont aussi sous le coup de la justice pour fraudes et irrégularités dans les transferts de Klein, Tula et Velazquez de Ferro à River et Lanus.
En 2011 lorsque les neuf ans que prescrivent la ley del fideicomiso, pour éponger la dette des clubs s’étaient écoulés, le Verdolaga n’avait toujours pas réussi à le faire. Le club était sur le point de disparaître. La justice donna une prolongation de trois ans et la date limite est fixée à décembre 2014. Grâce à l’apport de la vente de Fazio à Séville, de Castellani à Villarreal, de Pereyra à Lanus, de Buffarini à San Lorenzo, Acuña au Racing et de Lertora à Godoy Cruz, Ferro a pu régler sa dette et restituer le club à ses socios. Ces mêmes socios et hinchas qui ont réussi à réunir 9,6 millions de pesos (1 million d’euros) pour éviter la faillite.
Ferro, un exemple parmi d’autres
Le combat des supporters de Ferro est un symbole de plus dans la lutte pour que les clubs argentins se réapproprient leur statut d’association et non d’entreprise. L’exemple le plus flagrant fut sans doute celui du Racing. En 1998, le club fut déclaré en faillite et en raison de la ley del fideicomiso, la Academia a été dirigée pendant 10 ans par différentes entreprises. En 2008, la justice décréta la restitution du club à ses socios. De nombreuses institutions ont été ou sont encore sur le coup de cette loi comme le Deportivo Español, Belgrano, Talleres de Córdoba, San Martín de Tucumán, Godoy Cruz de Mendoza ou encore Newell’s Old Boys. Talleres est d’ailleurs sur le point de rembourser ses dettes.
Ces difficultés financières et mauvaises administrations montrent les limites du modèle des sociétés sportives argentines. Malgré tout, il nous rappelle également qu’un club représente bien plus que de simples résultats. La ferveur de milliers de supporters de Ferro qui sont sortis dans les rues de Caballito la semaine dernière pour fêter la restitution de leur club témoigne du sentiment de nombreux amoureux du ballon rond. Aujourd’hui, Ferro Carril Oeste se trouve en deuxième division et son présent sportif est compliqué mais une chose est désormais sûre : #FerroEsDeLosSocios. Et c’est le plus important.