Leader invaincu de Liga NOS à l’aube de la 7ème journée, le promu Famalicão est le nouveau laboratoire de l’Atlético de Madrid. Après 25 ans dans les divisions inférieures, la propriété de l’entrepreneur Idan Ofer connaît une montée en puissance extraordinaire et bouscule la hiérarchie.
C’est l’histoire d’un enfant qui fait comme son procréateur. Celle d’un club mineur s’échinant à survivre dans un pays où les « Três Grandes » (Benfica, Porto, Sporting) centralisent les droits de télévision pour garder leur hégémonie mais qui, grâce à une aide venue en dehors de ses frontières et un savoir-faire rendu typique, réussi à jouer le trouble-fête. Cette histoire, c’est celle de Famalicão, l’équipe en tête de Liga NOS. Dans un pays qui a depuis peu trouvé le chemin ascendant en s’ouvrant à l’extérieur tout en éclipsant sa face sombre, la réussite de la reconstruction du club Azul e Branco est pionnière mais correspond à l’esprit national.
Un club qui monte
En 2009 lorsque le R.B Leipzig était créé, le Futebol Clube de Famalicão fondé en 1931 passait la saison enfouie en cinquième division portugaise. Une décennie plus tard, la situation des deux clubs a pris un virage à 180 degrés : ils sont leaders de leur championnat respectif. Mais si le club allemand a déjà franchi bien des paliers depuis quelques années, le projet du club portugais a tout juste débuté. En juillet 2018 précisément, quand l’entrepreneur israélien Idan Ofer qui détient avec sa holding Quantum Pacific 32% des parts de l’Atlético de Madrid, s’offre 51% de Famalicão. Depuis, ce dernier promet de « monter en première division à la fin de la saison et devenir l’une des meilleures équipes du pays. » Après plus de vingt arrivées et autant de départs, l’engagement de Miguel Ribeiro (ex-directeur général de Rio Ave) en tant que président et une deuxième place synonyme d’accession en Liga NOS, Famalicão a su rendre crédible une partie des propos de son nouvel investisseur à une période où ce type de déclarations de nouveaux-riches se multiplient et deviennent plus souvent comiques que concrètes.
En septembre dernier, à la suite d’un nouvel été animé par l’arrivée d’une nouvelle cuvée de joueurs, Idan Ofer a renforcé son ambition en passant de 51% à 85% des parts du club et annoncé : « Le club veut faire une grande saison et j’espère lutter pour une place dans les compétitions européennes. » Pour atteindre les objectifs ambitieux fixés, Famalicão a pris le chemin du recrutement d’un entraîneur en début de carrière (João Pedro Sousa) avec la volonté de miser sur la jeunesse. « La vie augmente » comme dirait le rappeur belge Isha, avec l’idée d’une croissance perpétuelle et vitale. Pour Famalicão, cette saison 2019-2020 en est la phase n°2.
Une nouvelle génération
Côté terrain, si la cohérence et le talent de l’équipe suscitent de l’effervescence, les noms sont majoritairement inconnus. Composé d’éléments en plein développement, l’effectif compte la moyenne d’âge la plus basse de Liga NOS (23 ans) avec seulement cinq joueurs de plus de 25 ans. À Famalicão, où les relations entre l’homme d’affaire Idan Ofer et Jorge Mendes sont florissantes, l’accent est surtout mis sur des joueurs appartenant au réseau du super-agent. Avec cette stratégie, l’équipe récupère un nombre considérable de jeunes joueurs de grands clubs européens assez forts pour s’imposer dans une équipe audacieuse d’un championnat concurrentiel. Comme Josh Tymon (20 ans) de Stoke City, Diogo Gonçalves (22) et Guga (22) de Benfica, Uroš Račić (21) et Alex Centelles (20) de Valence, l’ailier gauche Nicolás Schiappacasse (20), le défenseur central Nehuén Pérez (19) ou le milieu Gustavo Assunção (19) de l’Atlético de Madrid. Autant de destins flamboyants qui restent incertains.
Né au Brésil mais pouvant encore opter pour la sélection portugaise, Gustavo Assunção est essentiel. Milieu reculé, il court beaucoup et gratte d’innombrables ballons, sait conserver le ballon sous pression et maximiser les possibilités verticales. Il est la plaque tournante de l’équipe. Devant lui, les deux petits relayeurs Guga et Pedro Gonçalves courent partout entre les lignes adverses pour jouer en appui. L’ensemble est complété par Toni Martínez, l’attaquant de pointe qui participe peu au jeu mais termine les actions émanant des ailes où le technique Ruben Lameiras et l’expérimenté Fábio Martins survolent. Avec plus de 90 matchs en championnat, le Portugal connaissait déjà la polyvalence de l’ailier prêté par Braga mais à Famalicão, il est devenu le facteur X d’une équipe aux idées claires.
Un jeu audacieux
Sur une série de cinq victoires et un nul après avoir notamment affronté le Sporting, Rio Ave et Guimarães, le Famalicão de João Pedro Sousa présente un début de saison convaincant. Dans les résultats en accumulant 16 points sur 18 possibles mais surtout dans les intentions. Car si répéter la même approche contre un promu, des prétendants aux places européennes et des équipes de deuxième partie de tableau ressemble plus à l’imprudence d’une partie de Football Manager qu’à la réalité d’un club promu, cette continuité dans le jeu au fil des semaines montre les idées très précises de l’entraîneur portugais. Jusqu’à présent, son équipe, en tête du championnat, fait preuve d’une maîtrise des différentes phases de jeu.
Autour d’une base en 4-3-3, l’efficacité de la phase préparatoire du jeu de possession de Famalicão assomme : tout part de l’axe où une bonne passe rapide vers l’avant des défenseurs centraux ou d’Assunção permet d’apporter le danger avant de mener le jeu sur les ailes où les joueurs de côtés profitent de situations favorables. Des séquences de jeu avec ballon qui pourraient rendre hystérique Sylvinho, l’entraîneur de l’OL. Sereins quand l’adversaire a le ballon autour d’un 4-1-4-1 passif à hauteur du rond central, ils bloquent le jeu axial puis déclenchent un pressing soudain quand l’équipe adverse donne le ballon à un latéral. De quoi expliquer que Famalicão soit premier au total de buts inscrits en contre-attaque (quatre), soit davantage en six journées de Liga NOS version 2019-2020 que sur les trois derniers exercices (total élevé à trois).
Jeunesse, courage et beau jeu, la recette de Famalicão peut se rapprocher avec celle du R.B Leipzig qui est rapidement devenu un pilier de la Bundesliga depuis sa promotion en 2016. Mais si les deux leaders sont brillants dans l’interprétation de leur philosophie, les menaces persistent. Pour les allemands qui aiment laisser le ballon à l’adversaire pour jouer la transition après un gegenpressing spectaculaire, le risque est aux joueurs trop attirés par le ballon et aux espaces laissés dans leur dos. Pour les portugais qui veulent être protagonistes des rencontres à travers le ballon et réaliser la sortie de balle au sol depuis l’arrière, le risque est aux défenseurs centraux pas toujours à l’aise sous pression. Alors que les blocs bas fréquents du championnat national laissent les défenseurs participer au jeu tranquillement, la rencontre du 23 septembre contre le Sporting a montré les limites du jeu de Famalicão. Pendant la première période, au milieu de plusieurs adversaires qui effectuaient un pressing intense, l’arrière garde de João Pedro Sousa a éprouvé des difficultés à trouver la passe qui casse les lignes, menant à une perte de balle proche de la surface et l’ouverture de score de Vietto. Avant de rencontrer Braga, Porto et Benfica, des équipes appliquées dans le pressing, comme toute bonne équipe de possession, l’évolution de Famalicão dépendra de sa capacité à se montrer plus serein dans sa maîtrise du ballon.
Un danger ?
Si cette reconstruction est pionnière au Portugal, Idan Ofer n’est pas le premier entrepreneur à investir dans un club local. En revanche, l’exemple de Famalicão est unique, étant le seul qui ne présente pas un club explosé en milles morceaux. Car si l’Academico de Viseu a connu un rachat avorté, Beira-Mar à coulé et depuis peu, Belenenses, le club de la ville de Belém, traverse une crise identitaire historique. Toutefois, contrairement à de nombreux propriétaires désastreux disséminés partout en Europe, Idan Ofer semble faire les choses bien. À la manière de Red Bull autour de Leipzig et Salzbourg, il souhaite construire le football du futur. C’est en tout cas ce qu’il a annoncé dans le journal Record : « Nous avons envie d’expérimenter diverses choses ici, de nouvelles technologies comme peut l’être par exemple l’intelligence artificielle, que nous ne pouvions pas forcément tester à l’Atlético. Je pense que ça peut être un projet pilote pour de nombreuses choses que nous pourrions ensuite exporter en Espagne, plus tard. » Avant tout, l’inversion du rapport de force au Portugal a déjà démarré.