Italia’s got talent. C’est un peu le résumé de l’atmosphère actuelle de l’autre côté des Alpes ces derniers temps. Depuis quelques semaines, la presse italienne frémit devant l’émergence d’une nouvelle génération azzurraprometteuse, qu’elle se plaît à analyser dans tous les domaines et sous tous les angles. Tactiques, joueurs, entraîneurs : ce bouillonnement naissant a un nom qui fait figure de parfaite tête de gondole pour un – possible – renouveau : Eusebio Di Francesco.
Déjà passée maîtresse dans l’art délicieux d’expliquer à l’Europe entière que le Calcio offre ou a offert au monde ses plus grands talents en distillant dans ses pages quelques entrefilets aussi bien dosés qu’une passe d’Andrea Pirlo dans le dos de la défense, la presse italienne offre à ses lecteurs un printemps du football bienvenu à quelques semaines du championnat d’Europe des nations. Une manière de répondre aux critiques concernant le déficit de gestion et le manque d’infrastructures des clubs de Serie A ? Peut-être. Sans cependant occulter un sujet abordé à l’occasion, c’est plutôt une véritable petite vague de positivisme qui se dessine en creux ces derniers temps. Une tendance esquissée par les résultats jugés « cohérents » de la Nazionale, le retour de la Juventus sur le devant de la scène en Ligue des champions, mais entretenue également par l’émergence de quelques joueurs et entraîneurs prometteurs, à l’aube de prendre le pouvoir en Italie. Avec toujours en tête cette obsession tactique pour le jeu. Entre les Roberto Stellone (Frosinone), Massimo Oddo (Pescara) ou encore Maurizio Sarri (Naples) côté entraîneurs ; les Bernardeschi (Fiorentina), Insigne (Naples) et Berardi (Sassuolo) côté joueurs ; il y a bien un personnage qui cristallise ce renouveau particulièrement scruté du football italien : Eusebio Di Francesco.
Petites lunettes, barbe entretenue. Costume. Avant d’être l’élégant « Mister » de Sassuolo, Eusebio Di Francesco était loin d’être un inconnu de l’autre côté des Alpes. À 46 ans, l’ancien milieu de terrain a été un joueur de devoir, dont la carrière a débuté dans les années 80 à Empoli, avant de se poursuivre dans quelques clubs entre Serie A et Serie B, de connaître la consécration d’un Scudetto 2000-2001 avec la Roma, puis de terminer en province par Piacenza, Ancona et Pérouse. Une carrière marquée par une douzaine de sélections avec la Squadra Azzurra, pour laquelle il signera un but contre une sélection « World Stars » fin 1998. Un joueur qui laissera une bonne image de lui, partout où il est passé : celle d’un homme intelligent, marqué à gauche, plutôt symbole de valeurs d’humilité et de solidarité, relativement éloigné des paillettes du football italien. Car Di Francesco – Eusebio en l’honneur du fantastique joueur portugais des années 60-70 -, né à Pescara, c’est aussi cette Italie-là : celle d’une famille de restaurateurs de la côte adriatique où la solidarité prime. Même quand le fiston connaît une aventure malheureuse que le contexte familial contribuera – un peu – à atténuer.
Eusebio à la plage
Entraîneur ? Comme il l’a expliqué à la Repubblica Sport en octobre 2015, c’était la dernière chose à laquelle il avait pensé. Toujours tiré du même entretien : « J’étais team manager à la Roma à la demande de Rosella Sensi (l’ex-présidente) et de Francesco Totti. Ce n’était pas un rôle pour moi : je suis parti gérer un établissement balnéaire, l’Étoile d’Or, à Pescara. Je nettoyais les plages le matin avec mon tracteur et j’étais en paix avec le monde. Néanmoins, je suivais les résultats des matchs. Depuis deux ans le président de Val di Sangro m’offrait une collaboration afin de servir de carte de visite auprès des grands clubs, c’était une occasion. Je suis parti parce que je n’étais pas d’accord avec le renvoi du technicien de l’époque, Danilo Pierini, qui aujourd’hui est avec moi, à Sassuolo. J’ai découvert le plaisir d’entraîner seulement à Coverciano (Centre technique national du football italien), où j’ai soutenu une thèse sur le 4-4-2 et une autre de psychologie sur le rôle des amis et de la famille. »
Un entretien qui continue de définir le technicien qu’il est devenu. Désormais arrivé à mi-parcours entre un début de carrière sur les bords des terrains presque fortuit, et l’entraîneur à succès qu’il pourrait devenir. Avec des premiers choix tout en intelligence et humilité. D’abord entraîneur à Lanciano en 2008, débarqué au bout de quelques mois avant de prendre en charge le secteur « jeunes » de Pescara où il deviendra ensuite entraîneur de l’équipre première en Serie C, en 2010. Une équipe avec laquelle il s’offrira une promotion en passant les play-off, 6 mois plus tard. S’ensuivra une saison correcte en Serie B où il entraînera notamment Marco Verratti, qu’il contribuera à faire redescendre d’un cran sur le terrain pour en faire un « playmaker ». Sur le départ pour Lecce alors en Serie A, en juin 2011, il sera remplacé dans les Abruzzes par son ancien entraîneur à la Roma, Zdenek Zeman. Le trait d’union parfait dans sa carrière, puisque le Boemo, qui fera monter dans l’élite Pescara quelques mois plus tard, est une sorte de père spirituel pour Francesco. Celui-ci n’hésite d’ailleurs pas à s’inspirer et à revendiquer la majeure partie de la philosophie et de l’héritage « Zemanlandia » : travail, abnégation, respect des règles… pressing tout-terrain. Même si à un tempo effréné, il concède préférer une gestion plus rationnelle de ce dernier. Et confie trop aimer ses joueurs pour leur faire subir les préparations commandos de l’entraîneur tchèque dont il s’inspire.
Le laboratoire Sassuolo
L’aventure à Lecce fera long feu. Arrivé en juin 2011, débarqué en décembre de la même année, c’est pendant l’été 2012 que son destin va basculer du bon côté en rejoignant Sassuolo, en Serie B. La temps de la maturité pour le classieux Francesco : un titre honorifique de champion d’automne, avant celui, plus concret, de champion de Serie B presque un an plus tard. Les prémices d’une belle histoire d’amour avec le club de Giorgio Squinzi, entrecoupée par un étrange épisode de janvier à mars 2014, où il sera licencié puis rembauché après 5 défaites de rang de son successeur, Alberto Malesani. Une histoire dont seule la Botte a le secret, après laquelle il réussira à sauver les « Neroverdi » de la relégation en fin de saison. Il continue, ensuite, à faire souffler un vent de renouveau, en se maintenant lors de l’exercice 2014-2015 et en créant la surprise cette année en plaçant son club à portée de fusil d’une qualification européenne. Cerise sur le gâteau, son Sassuolo adore poser des problèmes aux gros, avec des performances remarquables et remarquées. Une dynamique intimement liée à la gestion du club, mais aussi à la trajectoire d’un Simone Zaza désormais à la Juventus et plus encore d’un Domenico Berardi dont le destin semble aller de pair avec celui de son entraîneur. Club, entraîneur et joueur: des promesses encore fragiles mais dont on sent poindre quelque chose de révélateur concernant le football italien. Et dont certaines antiques institutions, comme celle du Milan AC, se verraient bien profiter afin de s’offrir une cure de jouvence pour les saisons à venir.
Car en Italie plus qu’ailleurs, la hype se nourrit de rumeurs. Des bruits de couloir flatteurs qui autorisent un Di Francesco toujours aussi soigné, sympathique et souriant, à l’ouvrir un peu plus désormais. Sur ses choix. Et surtout sur sa conception du jeu. Invité par la Gazzetta dello Sport, ce week-end, à s’entretenir à cœur ouvert sur ses concepts de jeu, le jeune entraîneur n’a pas déçu. 4-3-3, verticalité, dribbles, étude des courses de son trident à l’italienne… Une analyse intéressante et concise qui a également permis d’affirmer le caractère du personnage : Simone Zaza ? Son 9 idéal. Berardi et Bacca ? Capable d’être titulaires partout. Si un club le courtise ? Eh bien, il devra faire avec son identité de jeu dont il ne se départira pas. Une ligne de conduite et une philosophie rectiligne déjà entraperçue dans une intéressante interview accordée à Onze Mondial, il y a de cela quelques mois déjà. Sur sa sortie du week-end, impossible de ne pas y voir un début de flirt avec la maison rouge et noire par presse interposée, même si le président Squinzi a déjà annoncé vouloir tout faire pour conserver les « joyaux de Sassuolo » au coeur de son projet. Quelques pas de tango printanier qui pourraient laisser augurer de l’éclosion de quelques pétales de fleur concernant le football italien avant un Euro français très attendu. En Italie, la primavera est déjà là : manquerait plus que les jeunes ne se mettent à jouer désormais.