C’est un ouvrage inédit en France. Un manuel tactique sur les grands principes de jeu et les grandes tendances destiné à tous les passionnés de football. Dans leur livre Comment regarder un match de football ? les Dé-Managers des Cahiers du football (Raphaël Cosmidis, Gilles Juan, Christophe Kuchly, Julien Momont) nous proposent de nous plonger dans les idées des plus grands coachs passés ou récents (Pep Guardiola, Jürgen Klopp, Roger Schmidt, José Mourinho, Marcelo Bielsa…) avec des techniciens du foot français (Reynald Denoueix, Stéphane Moulin, Guy Lacombe, Jean-Claude Suaudeau…) pour nous accompagner dans la compréhension des concepts tactiques énoncés. Des différents systèmes au jeu sans ballon en passant par la subtilité des coups de pied arrêtés, tous les aspects du jeu sont passés au peigne fin. Alors pour parler de ce livre inédit et indispensable, nous sommes allés à la rencontre de deux co-auteurs, Raphaël Cosmidis et Julien Momont. Entretien.
Pour quelle(s) raison(s) avez-vous eu l’idée d’écrire ce livre ? Un besoin d’aborder un sujet qui n’était pas traité en France ?
Julien Momont : Avant tout, il fallait quelqu’un pour le publier. C’est l’éditeur de chez Solar (Benoît Bontout) qui avait déjà travaillé pour les Cahiers du football qui est venu vers nous pour qu’on lui propose des idées d’où celle de ce livre sur la tactique. Nous sommes trois à travailler quotidiennement sur les Cahiers du foot (Raphaël, Cosmidis, Christophe Kuchly, Julien Momont) avec Gilles Juan et Jérôme Latta qui dirige tout ça, et comme on écrit majoritairement sur la tactique, on avait intégré une proposition sur la tactique. C’est celle qui a été retenue. Ils ont dû se dire que ce livre permettrait de combler un vide puisqu’il n’y a pas de livre sur la tactique en français. C’était un sacré défi parce que de prime abord, on peut se dire que c’est un thème assez aride, super vaste. Le but, c’était de le rendre intéressant, de réussir à être exhaustif sans perdre le lecteur dans les détails.
Est-ce que l’objectif, c’était de faire un livre didactique plus qu’académique ?
Raphaël Cosmidis : On n’a pas voulu faire un truc académique parce qu’il y a déjà eu des livres sur le sujet et que ça concerne des personnes qui ont déjà fait leur formation. Nous, ce qu’on voulait – et en voyant notre public depuis quelques années avec les Dé-Managers notamment à travers les Cartons chaque semaine -, c’est de lire un livre que t’aurais envie de lire, ça peut paraître assez banal, mais c’est un livre sur un sujet sur lequel personne n’a écrit en France.
J.M : L’objectif, ce n’était pas de faire un manuel d’exercices pour les préparateurs. Ça existe déjà. Le but, c’est de prendre du recul avec notre regard. Analyser les tendances, cerner les débats d’idées. C’est sur cet angle-là qu’on s’est basé.
R.C : Ce n’est pas un livre de coaching mais un livre conceptuel. Analyser la pensée des coachs sans penser à leur entraînement. On ne dit pas comment Guardiola opère le mardi à l’entraînement pour préparer son pressing. Nous, ce qu’on veut expliquer, c’est pourquoi il veut faire son pressing et pourquoi de son point de vue c’est la meilleure solution.
J.M : Oui, tout en essayant de raconter des histoires pour que ce soit accrocheur pour le lecteur. Ce n’est pas un livre sur les philosophies de jeu. On parle de matchs précis qui servent d’exemples ou des idées par des démonstrations parce que ça raconte aussi des histoires. Derrière les idées tactiques, il y a pleins d’histoires sur comment les idées sont nées, comment elles ont été mises en place, comment elles ont fonctionné ou non. C’est important d’accrocher le lecteur pour rendre la lecture moins aride en évitant d’être trop technique et théorique.
Vous avez sollicité des intervenants, comment se sont déroulées les rencontres ?
R.C : On avait déjà la structure et les parties du livre donc on cherchait des intervenants pour parler de certains thèmes. Par exemple, on est allé voir Roger Schmidt (entraîneur du Bayer Leverkusen, ndlr) pour qu’il nous parle de son pressing qui, à l’heure actuelle, est le plus impressionnant par rapport à ses moyens. Il n’est pas dans un super club et il arrive à faire des choses incroyables avec des joueurs de bonne qualité mais pas fantastiques. On est allé voir Raynald Denoueix pour le jeu de position et pour le jeu de possession parce qu’il est très espagnol dans les idées. Pour le côté défensif, on a eu de la chance parce qu’on a contacté Stéphane Moulin assez tôt et qu’on ne s’attendait pas à voir Angers réussir de telle manière. Et puis on a eu Pascal Grosbois, spécialiste sur les coups de pieds arrêtés d’Angers et il se trouve que c’est la meilleure équipe dans l’exercice. Donc là aussi, on eu un peu de chance parce que ce sont des choses qui peuvent changer très vite bien qu’ils ont su rester toujours aussi efficaces.
Donc vous les avez sollicités pour des raisons spécifiques ?
J.M : Oui, par exemple Guy Lacombe qui gère la formation des entraîneurs a un regard intéressant sur la théorie même si comme nous l’a confié Johan Micoud qui l’a côtoyé à Cannes (présent dans le livre via un encadré, ndlr), s’il reste fort tactiquement, c’est plus dans la gestion des égos où il péchait, comme au PSG.
R.C : Ce qui nous fallait, c’était des entraîneurs qui sachent parler football. Parce qu’il y en a qui savent préparer mais qui ne savent pas forcément en parler. C’est ce qu’on a réussi à faire.
J.M : Il y a beaucoup de choses qui se ressemblent mais il y a toujours des petites nuances parce que chaque entraîneur à sa conception de la tactique. On aurait pu interviewer tous les entraîneurs de France et avoir un livre encore plus riche. On a à la fois interrogé ceux qui voulaient bien répondre à nos questions tout en ciblant certains techniciens comme Reynald Denoueix parce qu’on avait une partie sur le jeu à la nantaise. Suaudeau, on avait beaucoup éléments extérieurs puisqu’on a intégré des citations de Vestiaires ou de So Foot… Sur Denoueix, on avait moins de matière.
R.C : Et puis surtout que Suaudeau d’une interview à l’autre, il a une capacité impressionnante de dire la même chose avec la même formule et la même syntaxe. Donc on s’est dit qu’on n’allait pas lui faire dire la même chose.
J.M : J’ai eu Guy Roux au téléphone, il répète les mêmes anecdotes mot pour mot sur l’individuelle de Taribo West sur Raï que celles racontées dans Secrets de Coachs (écrit par Daniel Riolo et Christophe Paillet). Mais en ce qui concerne la partie du marquage individuel, on ne pouvait pas ne pas le solliciter parce qu’en France dès qu’on parle de marquage individuel on évoque Bielsa, alors que c’est surtout Guy Roux.
R.C : Ce qui est impressionnant aussi, c’est la précision des souvenirs des coachs. Par exemple, Denoueix nous parle d’il y a 15 ans tout en se rappelant des changements et de la physionomie des matchs parfaitement.
J.M : Oui, pareil avec Guy Lacombe qui se rappelle exactement du match contre le Borussia Dortmund qui a eu lieu une dizaine d’années déjà (lors du deuxième tour de la Coupe de l’UEFA en 2003). Il se rappelle exactement comment il a construit son match. Idem pour un match de Rennes à Bordeaux en se rappelant même de la veille de match. On dénigre souvent les entraîneurs français mais on ne peut pas leur reprocher de ne pas s’intéresser au sujet. Ils pensent foot tout le temps. Et même s’il ne s’agit pas de tactique fondamentale, tout ce qu’ils pensent, c’est tactique. Dans chaque décision, il y a un aspect tactique. On va dire ‘non tactiquement ils sont nuls’, on n’est pas forcément d’accord avec ça. Ce ne sont pas des grands philosophes, ils n’ont pas de grandes idées novatrices, ce ne sont pas des fondamentalistes, ce ne sont pas des idéologues excepté Denoueix avec l’école nantaise… Mais ils sont pragmatiques et ils pensent tactique.
Quelle est le poids de la tactique dans un football qui n’a jamais été aussi intense ?
R.C : La question c’est comment se servir de l’effort physique et de cette capacité à répéter les efforts. Je ne comprends pas les équipes qui ne pressent pas alors que tu as les joueurs pour le faire. Ou alors t’es mal préparé. Quand les coachs comme Elie Baup disent : « on ne peut pas presser pendant 90 minutes », c’est vrai qu’on ne peut pas presser pendant 90 minutes chaque seconde, mais il y a des équipes qui le font sur chaque phase de jeu. Par exemple, contre la Juve, pendant 45 minutes le Bayern Munich est dans le camp adverse (lors des huitièmes de finale aller de la Ligue des champions cette saison). Je sais que ce n’est pas applicable avec des joueurs de n’importe quel niveau mais il y a des coachs qui ont l’intention de le faire et d’autres non. Et après on entend des joueurs de l’OM se plaindre des entraînements trop intenses. Ce sont des joueurs professionnels censés être endurants et qui s’entraînent pour l’être.
J.M : Techniquement et physiquement, il y a moins de disparités si l’on compare à il y a 20 ans. Il y en a toujours en championnat mais au plus haut niveau, tous les grands clubs disposent de bêtes physiques, prêts mentalement et dans ce cadre, la tactique a un impact sur l’assimilation de ces moyens. Si on regarde les effectifs du Bayern et de la Juve, il n’y a pas de grandes différences et on a deux approches pour maximiser les moyens physiques. La tactique aujourd’hui, c’est optimiser le rendement des joueurs et faire la différence par des petits détails. On le voit, Guardiola peut changer cinq fois les joueurs de poste et ça fait la différence sur certaines situations.
R.C : C’est aussi ce que disait Allegri. Il disait que c’était très dur de jouer face à Guardiola parce que toutes les cinq minutes, il est en train de changer quelque chose parce qu’il voit ce qu’il se passe. C’est pour ça qu’il disait que c’était le coach le plus difficile à affronter.
Est-ce que dans la lecture d’un match, le plus difficile ce n’est pas de lire la « micro-tactique » (les ajustements en cours de match effectués par l’entraîneur) ?
R.C : Je pense que c’est rare qu’un coach ait une influence dans ce secteur. Ce que disent déjà pas mal de coachs et à raison, c’est qu’ils sont à hauteur du terrain donc c’est très difficile de voir ce qui se passe. Je ne sais plus quel coach dans un bouquin ou un article disait : ‘Je ne comprends pas pourquoi on n’est pas comme au rugby à suivre les matches depuis les tribunes’ pour aiguiller de potentiels changements.
J.M : T’as l’adjoint de Garcia qui a ce rôle (Frédéric Bompard).
R.C : Exactement, parce que c’est très difficile. Donc les coachs qui voient ça sont rares. Il y en a seulement quelques-uns comme Mourinho par exemple. C’est réservé à 2-3% des coachs les plus fous. Les plus forts.
L’école française a longtemps reposé sur les épaules de quelques hommes plus que sur une identité de jeu. Albert Batteux, le court intermède avec Stefan Kovacs, Michel Hidalgo puis l’école nantaise avec la génération 98 durant la même période. Est-ce qu’on peut dire qu’il y a une identité tactique française ?
R.C : Je pense que sur les trente dernières années, on n’a pas eu assez d’échecs pour se dire à un moment qu’il fallait changer quelque chose. Avec 98 et 2000, on nous a fait comprendre qu’on avait une formation de qualité donc qu’on pouvait gagner, mais il n’y a pas un moment où on ne s’est pas posé la question de ce que ça allait donner sur le long terme.
J.M : L’exemple allemand est typique. En 2002, ils sont en finale de la Coupe du monde mais ils ont complètement repensé leur football (et encore plus après l’Euro 2004). De notre côté, suite à l’échec de 2010, on nous a fait croire que l’échec était dû au fait qu’il y avait des mauvais garçons, que c’était un problème de joueurs.
R.C : En Équipe de France, ça a toujours été une question de comportement, finalement. Cantona, Domenech qui ne savait pas gérer un groupe…
J.M : Le tournant, c’est 98 aussi. T’es champion du monde avec un coach défensif et désormais, c’est le modèle. Pour le DTN, François Blaquart, le modèle de coach, c’est Aimé Jacquet. Et donc le modèle de la France, c’est d’avoir un coach défensif.
R.C : Alors qu’à l’époque, Suaudeau doit succéder à Jacquet. Il le dit qu’il n’est pas choisi et que c’est Lemerre qui prend la succession. Et là c’est un virage très important je pense parce que si Suaudeau avait imprimé une identité de jeu, on aurait aujourd’hui une génération de coachs de 40-45 ans.
J.M : Guy Lacombe est moins idéologue, il dit qu’il est à l’écoute des projets de jeu des entraîneurs, mais on découvre dans les examens que c’est assez formaté, il faut donner telle réponse et qu’il ne vaut mieux pas avoir des idées qui sortent de la norme.
R.C : Même des diplômes que tu passes quand t’es jeune. Moi j’ai des collègues qui me disent : toi t’as tes idées, mais quand tu passes les exams, les CFF (les Certificats Fédéraux de Football), ils te disent qu’il faut dire ce qu’ils veulent entendre et après tu fais ton propre projet de jeu. C’est une leçon a réciter un peu comme en philo au lycée et qu’on te disait ‘pense par toi-même’ et qu’en fait à chaque fois on te disait non ‘il faut dire ce que tel philosophe a dit’. Sauf qu’en France on n’a pas de grands philosophes à part Suaudeau et Denoueix.
J.M : Pour répondre à la question des différentes approches tactiques, Raphaël explique au début de la partie sur le jeu de position qu’aux Pays-Bas, il y a eu l’idée de la maximisation de l’utilisation de l’espace en rapport avec leur petit territoire (cf. p.314). En Italie, le football était plus vu sous le prisme de la guerre d’où l’insistance sur l’organisation. En Angleterre, le kick’n’rush s’explique parce que les terrains étaient de très mauvaise qualité d’où l’idée d’éviter la passe. Des conditions prédéterminent le style de jeu et influent sur la tactique. En France, l’approche tactique est très imprégnée de France 98.
R.C : On n’a pas encore eu cette révolution en France qu’il y a eu en Allemagne. Ça fait quelques années où plutôt que de parler de pressing, tous les coachs allemands parlent en conférence de presse de gegenpressing. Alors que nous en France, dès qu’on utilise des termes un peu techniques, on nous dit qu’on utilise des termes pompeux, mais ce sont les coachs qui l’évoquent avant qui que ce soit. En Angleterre, ça fait cinq ans qu’ils en parlent parce que ça fait cinq ans que les journalistes en parlent.
J.M : Mais il y a aussi un manque de renouvellement des coachs en France. C’est toujours les mêmes noms qui reviennent, on a l’exemple de Courbis cette saison. Les adjoints ont toujours 50 ans. En Allemagne, il y a Roger Schmidt, Thomas Tuchel (Dortmund), des entraîneurs assez jeunes.
R.C : Des coachs avec un parcours particulier en tant que joueur. Roger Schmidt et Jurgen Klopp n’étaient pas de très bons joueurs. Klopp, c’était un défenseur qui n’était pas très doué techniquement. Il y a beaucoup de joueurs des années 80 qui se sont reconvertis assez facilement.
Peut-on faire un parallèle entre votre livre et Inverting the Pyramid de Jonathan Wilson, ouvrage que vous évoquez dès le début du livre ? Est-ce que votre livre n’est pas dans la continuité du récit de cette histoire du jeu puisque vous évoquez également, de manière thématique et non pas chronologique, les évolutions tactiques ?
R.C : On ne voulait pas faire un livre d’Histoire, il aurait s’agit de plagiat. On voulait parler de l’époque actuelle.
J.M : On arrive aujourd’hui à un stade où on a l’impression que tout a été inventé. Les coachs le disent. Il y a des réinventions avec Guardiola qui revient au 2-3-5, mais tous les systèmes ont été utilisés. On verra difficilement de nouvelles dispositions. Aujourd’hui, il est davantage question d’ajustements, d’inclinaisons. On est arrivé à un point où on peut piocher un peu partout.
R.C : On voit aujourd’hui que les joueurs ont une endurance optimale, ça a permis de réinventer le pressing en le pratiquant de manière plus intense. Mais maintenant, c’est difficile d’inventer quelque chose. En revanche, je pense qu’on peut réinventer des choses qui ont été oubliées ou négligées pendant des années. Et c’est ce que dit Wilson, le football est cyclique. Guardiola voit tout le monde jouer à 4 derrière donc il repasse à 3 alors que pendant des années il a joué à 4 derrière dans un 4-3-3 pendant que tout le monde jouait en 4-2-3-1 pour toujours essayer de se démarquer.
« On a essayé de faire un livre qui plaisent à ceux qui s’y connaissent déjà en tactique comme à ceux qui s’intéressent au football sans être porté sur la chose tactique »
Également, est-ce que ce livre n’est pas dans le prolongement de ce que vous faites sur votre blog ? Sur le blog, vous êtes dans la démonstration des concepts abordés avec exemple à l’appui (à partir d’un match) ; dans le livre, on est davantage dans l’explication de ces concepts avec témoignages à l’appui. C’était la suite logique ?
J.M : On a fait ce livre mais ça aurait pu être quelqu’un d’autre, c’est parce qu’on a eu l’opportunité de l’écrire. S’il n’y avait pas eu d’éditeur, peut-être que jamais on aurait fait ce livre.
R.C : Je ne sais pas si on peut dire que c’était la suite logique. On n’a pas eu ce raisonnement si poussé. On a eu l’opportunité et on l’a saisi sans se dire que ça continuait ce qu’on avait entrepris sur le blog. Le blog est connu mais par très peu de gens au final. Les gens ne se sont pas dits ‘c’est le livre des Dé-Managers alors je vais le lire’. On s’est plus mis dans l’optique des Cartons où on explique des concepts à partir d’exemples qu’on a vu le week-end. Et là on s’est dit qu’on allait faire un truc beaucoup plus vaste où les gens pourront le relire dans trois ans et se dire ‘voilà ce qui a changé depuis que Guardiola est à Manchester City ou depuis que Mourinho est revenu…’
J.M : On a aussi essayé de faire un livre qui plaise à la fois aux fondus de foot qui s’y connaissent déjà en tactique et qui ne sont pas frustrés parce qu’on essaie d’expliquer des concepts techniques sur le jeu de position, sur les différentes approches défensives, etc ; et à la fois pour la personne qui connaît le foot mais qui n’est pas trop portée sur la tactique en l’expliquant par les concepts et les histoires qui les accompagnent. L’idée était de satisfaire un peu tout le monde.
R.C : On voulait plus expliquer les concepts que des matchs en eux-mêmes. On ne voulait pas analyser un match en 80 pages pour l’expliquer mais plus les concepts et ce que les coachs ont mis en place.
J.M : Les matchs sont souvent anecdotiques. Il y a des gros matchs qui servent d’exemples comme le Chelsea-Barça (demie-finale retour de Ligue des champions 2009), le Barça-Inter (demie-finale retour de Ligue des champions 2010), ceux-ci sont inévitables, mais un match est toujours anecdotique parce qu’il y a pleins de facteurs qui rentrent en compte. Tu peux analyser un match à fond avec un ensemble de données mais il va t’en dire peu sur la tendance globale. ll faut prendre en compte la forme des joueurs, la taille du terrain, des décisions (blessés), la météo, donc ça t’en dira jamais assez sur les tendances à plus long terme.
R.C : Et c’est pour ça que c’est un livre qui parle plus des coachs que des équipes en elles-mêmes.
Pour expliquer le faible intérêt pour la tactique, vous évoquez à plusieurs reprises le rôle de la réalisation télévisuelle. Est-ce qu’il n’y a pas aussi un désintérêt médiatique sur la question ? Un manque de courage éditorial ? Contrairement à d’autres pays européens, il y a rarement des rubriques spécifiques dans les médias français exceptée la Data Room à la télévision.
J.M : Dans les médias ce qu’on se dit, c’est que ça ne va pas intéresser les gens. Par exemple, dans la Data Room – une excellente émission, les analystes sont appelés des geeks. Pour les chiffres d’accord, mais pas pour la tactique. C’est péjoratif.
R.C : C’est comme si on nous prévenait à l’avance que ce qu’on va suivre va être compliqué alors que l’initiative est excellente.
J.M : Oui, ça résume la perception. Pourtant, les acteurs adoreraient qu’on leur pose des questions sur la tactique. C’est ce que m’a dit Stéphane Moulin, même chose pour Romain Danzé (qui a remporté le Ballon d’Eau Fraîche 2015). Moulin disait qu’il était là pour expliquer. Mais il y a une culture de se dire que ça ne va pas plaire. Et puis l’idée de base des médias, c’est de chercher à attirer le lecteur ou l’auditeur. Sauf que si tu présentes la tactique comme étant réservée aux geeks ou aux techniciens, forcément ça ne pourra pas s’installer. Or, si tu présentes la tactique de manière intéressante, intelligente et de manière pédagogique, il n’y a pas de raison que ça n’intéresse pas. On le voit avec le livre, on le voit sur Twitter avec Florent Toniutti qui a réussi à percer parce que des gens s’intéressent davantage à la tactique qu’aux à-côtés. Il y a des préconceptions dans les médias généralistes.
R.C : Je pense qu’il y a un champ lexical de l’effort aussi dont les gens en ont marre comme l’envie, la détermination, le mental, des choses qui sont complètement fausses qu’on exprime quand on n’a pas trop regardé le match.
J.M : Ça traduit des lacunes dans l’analyse du jeu mais c’est inquiétant quand ce discours-là est tenu par des anciens joueurs. Ils ont été sur le terrain, est-ce qu’ils comprennent vraiment la tactique ? On peut comprendre que certains n’aient pas envie de comprendre un match sous ce prisme-là, c’est parfois prise de tête, c’est bien aussi de déconnecter et de regarder un match sans s’y intéresser. Mais si tu résumes un match en disant que telle équipe a eu plus de détermination, c’est la réponse facile et ça montre que tu n’as pas voulu saisir les caractéristiques du match. Concernant la réalisation TV, les Espagnols sont insupportables. OK, ils ont des plans larges mais il y a trop de ralentis.
R.C : Même dans l’arbitrage, ils sont beaucoup plus énervants que nous.
J.M : Je pense qu’il n’y a aucun réalisateur qui rate plus de jeu qu’en Espagne. C’est très fréquent que tu rates une occasion à cause des ralentis.
R.C : Les meilleurs sont les Allemands je pense. Ils sont très sobres.
J.M : Ça dépend aussi de la position de la caméra. Dans le nouveau Parc des Princes ou dans les nouveaux stades comme à Bordeaux, les caméras sont idéalement placées pour analyser le jeu.
R.C : Alors qu’à l’Allianz Arena, c’est une catastrophe. Pour une équipe de Guardiola qui prend l’espace, lui-même dit qu’il attaque dans les grands espaces et défend dans les petits espaces, la caméra est très proche. Quand tu vois un match du Bayern à la télé, c’est difficile d’analyser ce que met en place Guardiola.
J.M : Il faut dire aussi que les diffuseurs ne filment pas un match pour l’analyse du match. La plupart des gens regardent le match pour se divertir. En France, l’idée c’est de le faire comme un film afin de le rendre dynamique. Et le réalisateur va trouver le moyen de rendre un 0-0 moisi en un match sympa en dynamisant les plans.
C’est une production télévisuelle.
J.M : Oui, c’est un spectacle. Un spectacle pour eux également parce qu’ils doivent le vendre du mieux possible. Ils doivent utiliser tous les ressorts possibles pour le rendre attractif.
Il y a un encadré qui revient notamment sur la manière dont s’y prend Florent Toniutti pour faire son analyse tactique. En cinq minutes, il sait comment il va l’articuler. Vous, comment vous vous y prenez ?
J.M : On ne fait pas d’analyse aussi détaillée. Moi je repère les systèmes, les mouvements des joueurs avec des schémas basiques. Une fois que j’ai les systèmes, j’essaie de cerner le plan de jeu. Par où telle équipe attaque ? Quelle est la réaction à la perte du ballon ? D’ailleurs, faire ce livre m’a aidé à mieux regarder le match en m’intéressant vraiment aux quatre phases (cf. p.35). Ce n’est pas toujours facile à voir parce que certaines équipes n’arrivent pas à mettre en place le plan de match prévu.
« Beaucoup de coachs disent à leurs joueurs de se débrouiller dans les 30 derniers mètres alors qu’il y a des coachs comme Guardiola et Bielsa pour qui tout est décidé »
Quand on regarde un match, il faut regarder tout sauf le ballon.
R.C : Oui, c’est vrai qu’il ne faut pas trop regarder le ballon, c’est pour ça que le plan large est important. Quand les réalisateurs s’attardent trop sur le ballon, ça m’est arrivé d’attendre quinze minutes avant de cerner les systèmes parce que t’avais toujours un gros plan sur le ballon.
J.M : La réalisation t’oriente vers le ballon. Quand t’es au stade, tu peux regarder ce que tu veux, c’est beaucoup plus facile. En 30 secondes, tu vois les systèmes.
R.C : L’analyse détaillée de Florent m’intéresse pour comprendre les matchs. Mais moi personnellement, je suis plus dans les principes de jeu et dans le style de jeu. Quand je vois un match, c’est plus ça qui m’intéresse. Quel principe de jeu est appliqué dans l’utilisation du ballon ? La question défensive, c’est très intéressant, il y a des coachs très compétents. Mais comme Bielsa le dit, pour moi défendre c’est courir, et ensuite tu mets en place tes projets. Offensivement en revanche, c’est plus complexe. Onze joueurs contre onze, que vas-tu faire pour créer le décalage ? Beaucoup de coachs disent à leurs joueurs de se débrouiller dans les 30 derniers mètres alors qu’il y a des coachs comme Guardiola et Bielsa pour qui tout est décidé. On va passer par là, on va faire comme ça, on va faire le jeu à trois ici puis on va renverser pour trouver le décalage. C’est ce qui m’intéresse davantage quand je regarde un match. Je ne suis pas dans l’analyse des systèmes, dans la manière dont est exécuté le pressing précisément etc, ce qui m’intéresse, c’est quel principe de jeu cet entraîneur veut mettre en place pour ses joueurs. Il y a des équipes où tu vois qu’entre un coach de DH ou ce coach-là, ce sont les mêmes. Ce qui m’intéresse, c’est la transmission des principes.
On voit depuis plusieurs saisons maintenant l’importance croissante du jeu de transition. Quel est l’impact sur la lecture d’un match ? Ça la facilité ou la complexifie avec cette multiplicité des mouvements ?
R.C : Comme le dit Denoueix, l’attaque se termine quand on a récupéré le ballon. C’est un paradoxe parce que l’attaque ne s’arrête jamais. Mais je trouve ça très bien parce qu’avant, on arrêtait d’analyser à la perte du ballon. Maintenant, on regarde le comportement dès la perte de balle, ce qui est important aujourd’hui pour les grandes équipes. Récemment, tu vois le Real Madrid et le PSG, ils ont le même problème. À la perte de balle, le pressing n’est pas improvisé mais irrégulier. Il y a tellement peu de temps aujourd’hui que la transition devient un élément de plus en plus important. Et beaucoup entraîneurs estiment que c’est l’élément le plus important à l’heure actuelle.
Dans la différenciation à faire entre le système et l’animation, est-ce que l’exemple le plus criant n’est pas le Bayern Munich de Pep Guardiola ?
J.M : Paradoxalement, c’est vrai que ça bouge beaucoup entre la phase défensive et offensive mais malgré tout, en phase offensive ça reste assez rigide. Une fois qu’ils sont en attaque placée, tout est clair. Tu vois bien les deux ailiers, etc.
R.C : Surtout au Bayern. En fait, les défenseurs bougent plus que les attaquants. À Barcelone il y avait plus de mouvements libres parce qu’ils faisaient du jeu à trois entre eux en bougeant ensemble. Xavi avançait avec Messi qui avançait avec Daniel Alves. Alors qu’aujourd’hui au Bayern, si on met les ailiers très hauts sur les côtés, c’est pour favoriser les un-contre-un pour faire la différence. Dans le registre, Van Gaal est très rigide sur les postes. Tu dois rester dans ta zone parce que c’est là que t’es le meilleur. Au Bayern, les principes collectifs sont appris par cœur par les joueurs et ça s’est vu face à la Juve.
J.M : L’expression de base c’est que ‘l’important ce n’est pas le système, mais l’animation’ mais quoiqu’il arrive, le système donne une structure et un cadre d’expression pour telle animation. Que tu joues en 4-3-3 ou en 4-4-2, ton animation ne se mettra pas en place de la même manière.
R.C : Le système est une base pour faciliter l’animation. Par exemple contre la Juventus (lors du huitième de finale de Ligue des champions 2016 entre la Juventus et le Bayern Munich), Vidal doit sortir sur Dybala à chaque fois qu’il a le ballon, Guardiola met Vidal dans l’axe entre Kimmich et Alaba pour qu’il soit prêt à sortir sur lui. Le système où Vidal est défenseur central t’aide à gérer ton animation défensive.
J.M : Le système a un atout : ça te dispose les joueurs dans certaines zones. Ils peuvent la quitter mais ils sont voués à les occuper, donc le système est le point de départ de l’animation. C’est parce que tu mets Robben en faux-pied que dans l’animation, il va avoir tendance à rentrer sur son pied gauche. Si tu mets Robben à gauche dans un système plus bas dans un 4-4-2, l’animation sera différente.
Vous évoquez l’évolution des rôles au sein de chaque poste, et notamment la disparition progressive du libero. Est-ce que la paire défensive qui a montré qu’on pouvait se passer de l’utilité du libero (et c’est celle que vous évoquez dans le livre) n’a pas été démontré récemment par la paire Diego Godin-João Miranda de l’Atlético Madrid, deux joueurs très bons sur l’homme mais aussi en couverture ?
R.C : L’Atlético est plus une équipe qui joue sans ballon qu’avec le ballon. Or, le libero est utile dans des équipes qui ont le ballon.
J.M : Et comme ils défendent bas, t’as pas besoin de libero. Dans les années 1970, le libero jouait quasiment dans la surface, dix mètres derrière ses coéquipiers. Aujourd’hui, en défendant bas, ils sont protégés par les milieux de terrain et tu as le gardien qui te couvre. Cela étant dit, c’est de la défense de zone, donc malgré tout, tu as toujours un défenseur censé couvrir l’autre. Mais on ne peut pas le considérer à proprement parler comme étant un libero.
R.C : Les blocs sont tellement compacts aujourd’hui qu’on ne peut plus appeler ça un libero.
J.M : Aujourd’hui, tous les joueurs peuvent avoir le rôle de libero. Même le latéral opposé quand ton bloc est sur un côté, il est censé couvrir les deux centraux, donc il y a un rôle de couverture.
R.C : Le libero peut vraiment être considéré comme tel dans une équipe qui ne joue pas le hors-jeu. Or, aujourd’hui, tout le monde joue le hors-jeu.
J.M : Et dans la notion de libero, t’as la notion de liberté de mouvement et d’instinct. Or aujourd’hui, la plupart des équipes jouent en défense de zone où t’es dans un rôle, t’as des déplacements prédéfinis au sein du bloc. Tu n’as plus de joueur dit « libre » de ses déplacements en défense. Tout le monde doit bien tenir son poste parce que si t’es pas à ta place quand ton bloc coulisse et qu’un espace se crée, t’es en danger.
R.C : Dans les équipes de Bielsa avec le marquage individuel, le libero existe. Quand il passe à trois derrière parce que l’équipe adverse joue avec deux attaquants, là on peut parler de libero. Le libero de nos jours serait plus le libero-relanceur type Bonucci. Il fait la même chose que les autres mais offensivement – étant donné qu’ils évoluent à trois défenseurs -, il est libre et peut relancer parce qu’il est bon techniquement par la passe.
J.M : Si on devait parler d’un libero aujourd’hui, on penserait plus à Busquets. Un joueur qui peut descendre entre les deux défenseurs centraux pour couvrir les espaces et relancer.
R.C : Oui, c’est un libero entre deux secteurs de jeu.
Est-ce que la fin du libero n’est pas aussi liée au besoin de s’adapter au football moderne qui demande que tous les joueurs soient complets, techniques et que naturellement, on ne soit plus dans la dualité stoppeur/libero ?
R.C : Ça rejoint l’évolution des autres postes que Philippe Gargov (autre membre des Dé-Managers) appelle « l’hybridation des postes« . Aujourd’hui, tous les postes doivent être moins compartimentés qu’auparavant. C’est le plus important et on le voit dans les grandes équipes. Marcelo est latéral gauche mais tu pourrais le mettre dans un milieu à trois et il ferait le boulot. Maxwell, latéral gauche au PSG, pourrait être très bon au milieu de terrain.
J.M : Il n’a pas déjà joué milieu ?
R.C : Oui, si avec Ancelotti.
J.M : Ça concerne le plus haut niveau. Aujourd’hui en Ligue 1, t’as des défenseurs qui ne savent pas relancer.
R.C : Il y a aussi des équipes – même des petites, qui ont des idées et où les joueurs changent de postes assez souvent. Par exemple à Lorient, François Bellugou peut jouer défenseur central ou milieu devant la défense. Bodmer à Nice passe de défenseur central à relayeur. Pareil, Ricardo Pereira peut jouer latéral droit, latéral gauche, milieu. Dans des équipes avec une identité de jeu, les joueurs peuvent changer de poste.
Le passage avec l’analogie militaire sur l’avantage naturel de la défense sur l’attaque est particulièrement passionnant. Vous reprenez des passages de « De la guerre » de Carl von Clausewitz, vous évoquez aussi Sun Tzu, Sun Bin, le parallèle entre le foot et la guerre est très présent dans le livre, c’était une volonté d’expliquer le foot via des concepts des traités de stratégie militaire ou de littérature ? C’était comme une troisième voie dans l’argumentation ? Vous, les intervenants et ces références ?
J.M : C’est là où le regard de Gilles (Juan) était important. Gilles est moins dans l’analyse tactique que nous et il avait un regard différent sur les choses. Presque toutes les introductions des parties ont été écrites par Gilles parce qu’il a un regard intelligent et différent.
R.C : Il prend un peu la place du lecteur en prenant ses distances.
J.M : Oui, il prend encore plus de distance sur la chose tactique en se disant en quoi telle tactique peut faire penser ? Et oui, concernant le côté militaire, il a vu qu’au niveau du champ lexical, on utilise les mêmes mots.
R.C : Nous, on était vraiment dans notre truc et lui voyait mieux la structure, le plan d’ensemble. Il comprend comment concevoir un livre.
Dans la troisième partie du livre, vous épluchez les différentes manières de défendre. C’était pour montrer que ce sont des concepts bien précis, que défendre ce n’est pas un simple vocable ?
J.M : Pour avoir une organisation efficace et viable sur le long terme, ça nécessite des heures de répétition de gammes, de déplacements coordonnés, le respect des distances, des systèmes de couverture, la prise de conscience du joueur de son rôle et dans telle situation de sa prise de décision. Il y a toujours des inclinaisons selon les joueurs s’ils sont plus intéressés par le ballon, l’adversaire ou par la forme du bloc en lui-même. Une défense en zone mixte, une défense axée sur l’individu, sur l’espace ou sur le ballon, etc. Il y a différentes inclinaisons compliquées à déceler, des détails de comportement, des nuances difficiles à discerner qui expliquent pourquoi on fait moins la distinction entre les approches de défense et les approches d’attaque placée.
R.C : C’est pour ça aussi qu’il y a plus de pages sur la défense que sur l’attaque, parce que c’est plus compliqué à analyser.
J.M : C’est aussi ce qui demande le plus de réflexion parce qu’il y a moins d’improvisation. Sur le plan offensif, les entraîneurs peuvent dire ‘tu donnes le ballon à tes trois attaquants dans les 30 derniers mètres’ et puis ils font ce qu’ils veulent. En défense, tu ne peux pas procéder ainsi.
R.C : Là aussi, le style de jeu influe. Si tu décides de presser à la perte, ta défense placée sera beaucoup moins importante. Tu sais que l’équipe adverse va procéder en contres donc il vaut mieux récupérer le ballon le plus rapidement possible. La partie défensive de Julien – parce qu’il a quasiment fait toute la partie défensive, c’est surtout : qu’est-ce qu’on fait quand on est dans notre camp ? C’est une partie très importante aujourd’hui parce que la majorité des équipes passent plus de temps dans leur propre moitié de terrain que dans le camp adverse – parce qu’il y a davantage de petites équipes que de grandes équipes. Il faut partager les mêmes réflexes, savoir être patient et avoir cette capacité de résistance.
J.M : Au final, c’est identique au jeu de position puisque c’est le même mécanisme. En défense, c’est des mécanismes de couverture, de coulisser en bloc alors que le jeu de position c’est savoir être patient et se déplacer en bloc pour tirer avantage du moindre espace.
« Quand l’adversaire a le ballon près de la ligne de touche et que tu vois le bloc sur une moitié de terrain, ça veut tout dire »
Sur quelques types de défense, si vous deviez citer l’équipe référente. Dans le gegenpressing ? Le Dortmund de Klopp ?
R.C : Oui et je pense aussi au Leverkusen de Schmidt.
J.M : Il est encore plus extrême le Leverkusen de Schmidt. Autant Klopp gardait un certaine structure, autant Leverkusen quand ça perdait le ballon, t’avais 6 joueurs qui chassaient à la perte.
R.C : C’est ce qu’il dit « quand on perd le ballon, il faut que les défenseurs soient prêts à nous sauver. » Ils jouent en 4-2-4.
J.M : T’as 4-5 joueurs qui arrivent dans la même zone. Il n’y a plus du tout de structure.
R.C : Ça donne aussi des matchs où ils sont au-dessus des adversaires. L’aller contre l’Atlético l’an dernier (lors des huitièmes de finale de Ligue des champions 2015), pendant 45 minutes, il les domine largement. Ils n’ont jamais vu ça en Espagne. Il y a des équipes qui pressent en Espagne mais des équipes qui pressent avec une structure aussi courageuse et dangereuse, c’est rare. Tu voyais l’Atlético qui avait l’habitude de jouer long mais là ils n’avaient même pas le temps de jouer long ! Et derrière, il faut gagner son duel avec les Jonathan Tah et Kyriakos Papadopoulos. C’est difficile. Et puis Barcelone à l’époque exerçait du gegenpressing sauf qu’on n’avait pas encore le mot.
Dans le marquage individuel ? Les équipes de Bielsa ?
R.C : C’est le seul à le faire presque. Je vois pas d’autres entraîneurs qui font du marquage individuel. Après, il y a aussi un marquage localisée.
J.M : Mais il n’y a plus de marquage individuel extrémiste comme on l’a vu lors d’OM-PSG la saison dernière où t’avais des joueurs comme Benjamin Mendy qui avait des comportements complètement incohérents avec leur zone. Aujourd’hui, on n’est plus dans le marquage de zone axé individu. Tu ne verras jamais un relayeur droit se retrouver ailier gauche si son joueur y va. Il y a différents degrés dans le choix de lâcher son joueur.
R.C : Il y a un marquage individuel parfois, mais seulement dans ton camp. Dans le marquage de zone axé individu, tu vois souvent les joueurs aller assez loin dans le camp adverse.
Dans le marquage de zone ? L’Inter de Mourinho en 2010, l’Atlético Madrid ?
R.C : L’Atlético.
J.M : (Qui abonde) Quand l’adversaire a le ballon près de la ligne de touche et que tu vois le bloc sur une moitié de terrain, ça veut tout dire. C’est une défense en zone ‘orientée ballon’ (cf. les différents types de défense dans le livre) ce qui signifie que si l’équipe adverse renverse, tout ton bloc va suivre le renversement tout en gardant les mêmes distances. Pour une équipe qui adoptera une défense en zone ‘orientée joueur’, le latéral gauche qui est à l’opposé sera un peu plus écarté et il y aura donc un bloc moins compact sur toute la moitié de terrain dans la zone du ballon.
Même dans le marquage individuel de Bielsa, sur les touches adverses, le bloc est très court et très compact.
J.M : Oui, les touches, c’est comme les six mètres. Ce sont des phases de jeu particulières où il y a des seconds ballons et c’est important d’être présent pour pouvoir les jouer.
Dans sa globalité, la plus grande prestation défensive qui vous ait été donné de voir ?
R.C : Sur un match ?
Oui.
R.C : C’est difficile.
L’Inter face au FC Barcelone lors des demi-finales de C1 en 2010 ?
J.M : L’Inter oui.
R.C : Moi je jugerais plus sur une saison et pour moi c’est vraiment l’Atlético qui a fait la performance défensive la plus dingue.
Durant la saison 2013-2014 ?
R.C : Oui, ils gagnent le championnat et vont en finale de la Ligue des champions alors qu’ils jouent contre le Barça et le Real Madrid. Contre le Barça à l’époque en cinq matchs, ils n’encaissent qu’un seul but. Ce n’était pas le Barça de Luis Enrique puisque c’était Tata Martino mais en face, tu joues contre Messi et Neymar. Et on revient à ce que disait Julien sur la distance entre les joueurs. Dès que le ballon allait sur les côtés, ils arrivaient à faire une prise à deux sans qu’il y ait une perte de distance entre les joueurs. Ça, ça m’a toujours impressionné. Dès que Messi ou Neymar avaient le ballon sur le côté, t’avais toujours un mec pour qu’ils évitent de se retourner. C’est une concentration et une capacité à être toujours dans les réflexes qu’on t’a appris qui est impressionnant. Je n’arrive pas à juger sur un match.
J.M : L’Atlético et la Juve, ce sont les deux meilleures défenses selon moi dans l’organisation.
R.C : Dans les équipes capables de défendre bas, ce sont les deux meilleures.
La Juventus de Conte ou d’Allegri ?
J.M : Avec Allegri, on est dans la continuité. Il a montré la même flexibilité tactique que Conte.
R.C : Conte, on ne l’a pas assez vu en Ligue des champions. Il s’est fait taper par le Bayern Munich d’Heynckes.
J.M : Cette saison, ils ont galéré après le départ de Pirlo mais défensivement, c’est une machine.
R.C : Contre Naples, ils n’ont pas le ballon – c’était en préparation du match face au Bayern d’ailleurs – et pendant une heure et demie ils coulissent, ils coulissent, ils coulissent. Tu vois qu’ils se parlent entre eux et la communication c’est hyper-important.
« Notre rôle était d’expliciter des notions techniques utilisées par les techniciens pour que ce soit compréhensible pour le lecteur »
Vous évoquez aussi les principes en couverture : la zone intégrale, la zone mixte, des concepts qui sont très rarement abordés quand on évoque la tactique pour le grand public. Est-ce que pour cette partie du livre, les témoignages n’étaient pas particulièrement porteurs et nécessaires pour bien expliquer les nuances via les expériences de chacun ?
J.M : Oui, parce que ce sont des nuances qui se font au niveau des coachs. Ce sont des choses assez complexes à comprendre, même Guy Lacombe a eu du mal à bien l’expliciter. Et c’est un peu la logique du livre, donner la parole aux coachs. Qui on est pour écrire sur ce sujet ? On n’est pas dans la logique d’être des prescripteurs d’une manière de jouer, c’est pour ça qu’on a donné la parole au plus grand nombre de coachs possibles pour les différentes approches. C’est aussi une question de légitimité. Une défense expliquée par un entraîneur qui la pratique depuis 20 ans, c’est plus logique. Par contre, notre rôle c’était aussi d’expliciter certaines choses pour que ce soit compréhensible pour le lecteur parce qu’il y a des notions techniques dans la bouche des techniciens qui ne sont pas toujours doués pour bien expliquer leurs idées.
Est-ce que le jeu de position (soit la tentative de déjouer le bloc adverse), un principe dont on parle souvent ces derniers temps, n’est pas en train de supplanter le jeu de transition ?
R.C : Chronologiquement, je dirais l’inverse. Il y a eu le Barça de Guardiola que beaucoup ont essayé d’imiter, notamment Luis Enrique à la Roma. Et aujourd’hui, tu vois que le jeu de transition devient de plus en plus important. C’est ce que disait Wenger après le match (lors du huitième aller face au FC Barcelone à l’Emirates Stadium). Là où le Barça était plus dangereux, ce n’était pas par sa possession mais par ses contres. Aujourd’hui, il y a beaucoup de coachs qui misent sur la transition parce que la possession est difficile à mettre en place. Même Nice qui a un bon jeu de possession, souvent, c’est sur des contres après avoir ouvert le score qu’ils arrivent à faire la différence avec Ben Arfa. Avec le jeu de possession, il y a peu d’occasions de qualité.
J.M : Oui, c’est un jeu de possession rapide parce que dans l’idée de jeu de possession, il y a l’idée de possession défensive et Nice n’est pas dans cette optique-là. Ils n’ont pas le talent pour le faire.
Le principe du troisième homme est très bien expliqué par Xavi, est-ce qu’on peut dire qu’il va de pair avec le principe de l’homme libre ? Le principe de l’homme libre, c’est trouver un joueur entre les lignes qui va fluidifier le jeu (ne demande que deux acteurs) ; le principe du troisième homme, c’est jouer de la maîtrise du ballon en créant des combinaisons de mouvements/déplacements pour que le troisième homme puisse tirer avantage de la situation ?
R.C : Le troisième homme est un moyen d’arriver à l’homme libre parce que l’homme libre, c’est l’objectif du jeu de position. C’est trouver un homme libre entre les lignes. C’est ce que dit Guardiola et c’est également ce que dit Xavi qui répète les dires de Guardiola parce qu’il l’adore. Le troisième homme, c’est un moyen ; l’homme libre, c’est l’objectif. On l’explique dans la partie concernée avec le principe de conducción qui aide à y parvenir. En France, on attend que le joueur vienne sur toi avant de faire la passe. On ne te dit pas de faire la passe à un joueur qui est en train de se déplacer.
Vous distinguez les différentes phases du jeu à la nantaise qui ne se résume pas qu’au FC Nantes de 95. Ce qui et intéressant, c’est de voir que durant ces périodes le club ne disposait pas de joueurs avec des qualités similaires. Est-ce qu’on pourrait faire un parallèle avec le Barça des années 2000-2010 entre le Barça de Rijkaard, de Guardiola et de Luis Enrique ?
J.M : Quoi qu’il arrive, et c’est le cas avec Guardiola aujourd’hui, au Bayern, les entraîneurs adaptent souvent leur approche aux joueurs qu’ils ont. À Nantes, la constante, c’était d’avoir un groupe de joueurs sur le long terme qu’ils ont pu former et modeler de la façon qu’ils voulaient avec des grands principes inamovibles qui étaient le mouvement, le déplacement, le jeu collectif, etc. Mais parfois, l’application de ces principes est différente selon tes hommes. L’équipe de 1995 était moins douée techniquement que par rapport à celle des années 80 mais on restait dans le même principe de mouvements et de déplacements dans l’espace. Ils étaient plus rapides, plus physiques en termes de vitesse et d’explosivité donc tu l’appliques d’une manière différente. Et puis tu as toujours l’idée de formation, de collectif, de mouvements qui déclenchent la passe. En 1995, t’as beaucoup plus d’attaques rapides. C’est une adaptation d’une idée directrice.
R.C : Denoueix dit qu’il est plus sur la possession et Suaudeau lui dit qu’il garde trop le ballon. Donc il y a quand même quelques idiosyncrasies chez certains coachs même s’ils s’adaptent à la philosophie. Il y a des préférences entre les entraîneurs et je pense que pour Luis Enrique, c’est l’adaptation aux joueurs mais c’est aussi un peu plus de pragmatisme que Guardiola.
L’idée de faire un chapitre sur les coups de pied arrêtés était prévu ou c’est parce qu’il y a eu les phénomènes Atlético Madrid et Angers entre temps ? Le jeu sur coups de pied arrêtés est aussi peu évoqué lors de l’analyse tactique.
J.M : À la base, on n’avait pas inclu ce chapitre
R.C : Alors que c’est la phase la plus tactique peut-être.
J.M : Oui, un peu comme au football américain, tu peux avoir des schémas prédéfinis. Ce que dit Pascal Grosbois d’Angers, c’est que c’est un domaine sous-exploité.
R.C : Heureusement qu’on l’a mis parce que ça aurait été une grosse erreur de ne pas le mettre. Et là aussi, il y a plusieurs manières de défendre et d’attaquer les coups de pied arrêtés. On ne l’imagine pas forcément, mais quand les gens disent qu’untel a perdu son duel, ce qu’il faut savoir c’est qu’il était en zone.
J.M : Le plus grand débat qu’il y a en ce moment sur les coups de pied arrêtés, c’est la question du joueur au poteau. Sauf qu’au final, quand les deux joueurs sont aux poteaux les sauvetages sur la ligne sont peu fréquents et on ne prend pas en compte le nombre d’occasions annihilées par le fait qu’il y a un joueur de plus dans la surface au duel. On retient plus ce qu’on voit et on va avoir tendance à critiquer le but encaissé parce qu’il n’y avait pas de joueurs aux poteaux sans retenir les actions annihilées parce que ce n’est pas marquant. Pourtant, il me semble qu’il n’y a personne aux poteaux.
R.C : Et là aussi, c’est de l’adaptation aux joueurs. À l’époque, Guardiola faisait du marquage en zone parce qu’il savait que ses joueurs n’allaient pas gagner les duels aériens.
J.M : Ce que disait Guy Lacombe, qui a joué à la fois l’individuelle et la zone, il n’y a pas de meilleure approche. Ça dépend de ton équipe. Chaque approche à ses avantages et ses inconvénients.
Un dernier mot sur la périodisation tactique. Une méthode notamment utilisée par Mourinho. C’est une approche intégrée de l’entraînement dont on ne parle pas beaucoup ici en France, est-ce que vous pourriez nous en résumer les vertus. C’est mettre fin à la dualité physique/technique tel qu’on l’a connait ?
R.C : C’est une méthode qui vient du Portugal. C’est un prof d’université qui a inspiré Mourinho. Le principe, c’est qu’on arrête de courir dans les champs comme on le fait souvent pour se recentrer autour du ballon. C’est-à-dire que même l’effort physique va être centré autour du ballon. Aujourd’hui, il y a quelqu’un de très important et de très critique qui s’appelle Raymond Verheijen, consultant néerlandais, ancien adjoint à Manchester United, qui dit que ça ne sert à rien de travailler le physique sans ballon, parce que tu ne travailles pas ton football. Et lui, dans tout ce qu’il fait physiquement, il intègre le ballon. C’est une notion avec laquelle Guardiola a eu des problèmes en Allemagne parce qu’ils ne comprennent pas. Il y a beaucoup de blessés donc c’est difficile de lui donner du crédit là-dessus. Mais en Allemagne, on lui dit, c’est quoi tes entraînements ? Qu’est-ce que tu fais ? C’est une méthode récente mais qui a du mal à se répandre en France. Casanova à Toulouse a été l’un des premiers à l’utiliser.
Pensez-vous qu’à terme, ça puisse être un modèle d’entraînement dominant dans les clubs ?
R.C : Il y a pas mal de clubs qui commencent à l’utiliser. Au Barça, c’est le cas depuis Guardiola, à Monaco, Jardim l’a adopté. Plus les Portugais et les Espagnols seront présents, plus ce sera développé. Je ne sais pas si en France on s’y mettra un jour.
J.M : Ça rejoint ce qu’on disait tout à l’heure, on a un côté conservateur à la fois dans les idées tactiques comme dans les méthodes.
R.C : Jardim au début, on l’a pris pour un fou quand il est arrivé à Monaco. Toulalan disait qu’il ne comprenait pas les entraînements.
J.M : Et ça se retrouve dans tous les domaines, sur les coups de pied arrêtés, c’est pareil. Il n’y a pas beaucoup de clubs qui ont un vrai spécialiste dédié aux coups de pied arrêtés comme Pascal Grosbois à Angers. Hormis Gianni Vio…
R.C : Ça me fait penser au basket. Quand t’as 3 points de retard et que t’as le ballon, tu dois installer un système pour qu’un joueur se libère. Tu dois avoir plusieurs courses pour semer le trouble et trouver l’homme qui est désigné pour prendre le tir. C’est très américain finalement comme approche.
J.M : Ça rejoint notre côté conservateur dans les instances, dans la formation des entraîneurs et dans les clubs eux-mêmes sur leurs prises de risques. Aujourd’hui, on a de plus en plus de coachs défensifs, on a des coachs d’attaque juste pour travailler devant le but mais sur la mise en place de mécanismes, on est très conservateur. Donc sur la périodisation tactique et l’installation de nouvelles méthodes d’entrainement, ça peut mettre du temps d’autant qu’elles s’installent via les entraîneurs étrangers.
Raphaël, tu es éducateur, penses-tu qu’au niveau amateur les choses peuvent évoluer ?
R.C : Moi je vois tout avec le ballon. Quand par exemple on me dit que les jeunes de 12-13 ans on va commencer à les faire courir, pour moi, ça ne sert à rien. L’endurance, c’est plus tard. De ma petite expérience, je ne pense pas que que la périodisation tactique soit un modèle miraculeux qui va te permettre de mieux jouer au football parce qu’il y avait des équipes qui jouaient très bien au football avant que ça existe, mais c’est un moyen de les mettre en avant parce que c’est ce qui a émergé depuis quelques années. Et on voulait parler de Mourinho autrement que par son prisme défensif. On voulait montrer ce qu’il avait également apporter au football.
Propos recueillis par Romain Laplanche
Comment regarder un match de foot ?, Editions Solar, 17,90 euros. Disponible ici.