Depuis le 20 mars dernier, tout le grand Buenos Aires est confiné. Face à cette crise sanitaire sans précédent, le rôle social des clubs s’avère une bouffée d’oxygène pour une grande partie de la population. Et pour l’Etat, trop absent.
Gymnases occupés et marmites géantes
Magasins fermés, restaurants fermés, un centre-ville fantomatique, les RER locaux – d’habitude remplis – vides… C’est ce panorama désolant que vit Buenos Aires depuis plus de 120 jours et le début de la quarantaine en Argentine. Un confinement (l’un des plus longs du monde) qui a permis de réduire le nombre de cas positifs, de décès, et d’éviter un encombrement d’un système de santé fragile. Le pays est l’un des « bons élèves » d’Amérique Latine dans la gestion de la crise qui connaît actuellement son pic sur l’ensemble du continent. Les clubs argentins ne sont pas restés inactifs et se sont organisés pour aider les structures de l’Etat.
C’est le cas par exemple des clubs de Lanus, Banfield, Almirante Brown, Nueva Chicago, San Lorenzo, Newell’s, Rosario Central et Boca Juniors qui ont mis a disposition des lits dans leur gymnase au cas où les hôpitaux manqueraient de place. L’AFA (la fédération de football argentine), elle-même, a également modifié le complexe de la sélection nationale à Ezeiza – le Clairefontaine locale – pour accueillir de possibles patients. Les médecins des clubs de première et deuxième division se sont aussi mis à disposition du ministère de la Santé grâce à la volonté des clubs pour collaborer contre le virus et pour soigner la population malade dans les hôpitaux.
Deportivo Merlo et Argentinos de Quilmes, qui militent en 4ème division, ont quant à eux laissé leurs installations à l’armée pour la réalisation de contrôles sanitaires. Le centre sportif de Quilmes, en deuxième division, se mue en hébergement pour des missions de préventions de l’armée pour lutter contre le covid. D’autres clubs comme Tigre offrent un kit « coronavirus » à leurs socios avec du gel hydroalcoolique, un masque aux couleurs du club et une écharpe pour passer l’hiver.
Les mesures prises par le gouvernement ont toutefois mis à terre une économie déjà fragile. Un autre fléau a été aggravé par le covid : la faim. Quand on sait que le pays compte une économie en récession depuis 2018, un taux de chômage de 15%, que 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, difficile de faire face quand l’activité économique est paralysée à cause du virus. Pas de chômage partiel dans certains cas, beaucoup d’emplois au « noir », une précarité des emplois pour les autres. C’est également pour cette raison que les clubs organisent depuis le début du confinement les fameuses ollas populares (marmites populaires).
Le principe de la olla popular est simple : récolter des aliments tels la viande, légumes et féculents et cuisiner le tout dans une marmite géante. La distribution se fait dans la rue ou dans des cantines prévues à cet effet, chaque bénéficiaire ramène son tupperware et repart avec un repas. Une subsistance nécessaire dans certains quartiers pour une population qui se nourrit de pain et maté (connu pour être un coupe-faim). La plupart des clubs de quartiers ont donc organisé ces marmites géantes à Buenos Aires : Argentinos Juniors au quartier de La Paternal, Atlanta à Villa Crespo, Ferro à Caballito, Platense à Saavedra, Velez à Liniers, All Boys à Floresta, Huracan à Parque Patricios, Racing à Villa Del Parque, Almirante Brown, Deportivo Moron, Laferrere en banlieue ouest, Tigre et Chacarita en banlieue nord, Lanus, Banfield, Temperley en banlieue sud… Les deux géants, Boca et River, ont d’ailleurs été vivement critiqués pour ne pas avoir organisé de manière « officielle » des ollas populares. Ces actions solidaires mettent en avant la présence et l’action sociale des clubs par quartier et par zone géographique. La notion d’appartenance au quartier, au sein de chaque club, est très présente.
Des rivalités mises de côté
Les clubs ne sont pas les seuls à organiser ces ollas populares. C’est le cas également des barra bravas, souvent décriées pour leur violence. On a pu voir des marmites géantes de la 12 dans le quartier de La Boca, de La Pandilla De Liniers en face du stade de Velez, de La Inimitable dans les quartiers pauvres de Tucuman, de la 14 du club de Lanus et de la barra de Los Andes en banlieue sud ou des Borrachos Del Tablon de River à Boulogne, en banlieue nord.
La quasi totalité des subcomision de hinchas, peñas et autres filiales, ces associations officielles et reconnues par les clubs au contraire des barras bravas, ont également mis la main à la patte. Un élan de solidarité sans précédent a soufflé aux quatre coins du pays par l’initiative des supporters. Cordoba, Tucuman, Rosario, Santa Fe ou encore La Plata, les supporters de tous les clubs d’Argentine, de la première à la dernière division, ont préparé et préparent encore des ollas populares ou des récoltes d’habits pour les plus démunis selon leur zone et influence géographique. Le traditionnel locro, sorte de ragoût typiquement argentin qui se mange généralement le 25 mai pour la fête nationale, a même réuni certains supporters aux antagonismes profonds dans le seul but d’offrir un plat aux plus modestes.
Ce fut le cas notamment des supporters de All Boys (deuxième division) et Argentinos, Chicago (deuxième division) et Almirante Brown (troisième division) dans certains bidonvilles de banlieue ouest ou encore de Defensores de Belgrano (deuxième division) et Excursionistas (quatrième division). Pas de couleurs, pas de rivalité, le virus ne fait pas de distinction. Pas de statut non plus, les barras travaillent main dans la main avec des supporters « lambda » ou des socios. C’est parfois près de 700 plats, trois fois par semaine qui sont distribués. Le travail réalisé par les clubs et supporters ne font que confirmer la place du football dans la société et surtout son caractère social au sein de la population. Et aussi une aide précieuse pour un Etat complètement dépassé par la pauvreté de sa population. Les plans sociaux dérisoires et les distributions de rations alimentaires par l’armée dans les quartiers pauvres ne suffisent pas.
La crise sanitaire a mis en lumière ce rôle social qu’ont les clubs argentins à l’heure où le football business peut excéder dans d’autres parties du globe.
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Merci pour ce superbe article très complet Christopher. A mettre en parallèle avec la déclaration du journaliste Farinella le 22 mai dernier qui avait dit que « beaucoup de clubs de l’ascenso n’ont pas raison d’exister », comme si le foot ne servait qu’à gagner de l’argent. En plus de ces ollas populares organisées par la quasi totalité des clubs du Grand Buenos Aires, il faut noter la récente campagne de ceux-ci pour encourager les guéris du COVID 19 à donner du plasma, souvent contre récompense d’un maillot. J’ai en tête Villa San Carlos qui a été l’un des premiers à le faire, vu passer Morón également, entre beaucoup d’autres