Après être descendu en deuxième division en 1992, Quilmes, club doyen d’Argentine, s’était retrouvé en position idéale pour remonter dans l’élite du football argentin deux ans plus tard. Jusqu’à ce que les dirigeants placent le destin du club entre les mains de Dora, une sorcière.
Une sorcière selon le dictionnaire se définit comme étant « une personne à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels et en particulier la faculté d’opérer des maléfices avec l’aide du diable ou de forces malfaisantes ». Dans nos contrées occidentales, les événements surnaturels, la magie et les histoires de sorcière sont souvent réduits à des légendes. En Argentine, la superstition, le surnaturel, la religion, le bien et le mal sont beaucoup plus encrés dans la culture populaire et davantage encore dans le monde du ballon rond . Les récits d’histoires paranormales sont courants tout comme la connaissance d’une personne censée avoir des pouvoirs surnaturels, le plus souvent des guérisseurs mais également des sorcières. Le fameux dicton argentin « creer o reventar » , soit « croire ou être obligé de croire après n’avoir donné aucune explication scientifique à un phénomène » pourrait facilement s’appliquer à ce qu’a vécu le club de Quilmes.
Le club « cervecero », un habitué de la première division, descendit à l’étage inférieur en 1992. Un an plus tard, malgré une bonne campagne, Quilmes se retrouva au pied de la montée. L’année 1994 semblait être la bonne. Après une saison mémorable, le club s’est trouvé en position idéale pour enfin récupérer la place qui était la sienne. Quilmes dispute un duel à distance avec Gimnasia de Jujuy. Les dirigeants, sous les conseils du président de Temperley, ont voulu s’assurer cette précieuse montée par tous les moyens en faisant appel aux services de Dora, une soi-disant sorcière reconnue de la ville de Chascomus, à 110 kilomètres de Buenos Aires. Tous les habitants de la ville la connaissent et beaucoup font appel à ses services. La direction s’est donc rendue à Chascomus pour rencontrer Dora et lui demander de faire monter le club. Ils ont ensuite trouvé un accord financier : la somme de 4 000 pesos (environ 400 euros). Le club a payé la moitié des 4 000 pesos par avance comme garantie et devait payer le reste si Quilmes montait la semaine suivante. Le club du sud de Buenos Aires n’avait besoin que d’une victoire face au Deportivo Moron et d’une défaite de Gimnasia à domicile. Dora avait tranquillisé les dirigeants en leur assurant une défaite trois à zéro de Gimnasia et une victoire de Quilmes. Comme prévu, Gimnasia de Jujuy a perdu par trois buts à domicile. Quilmes n’avait besoin que d’une victoire pour monter.
Le lendemain, la prémonition de Dora s’avère exacte. Quilmes battait le Deportivo Moron 2-1 lorsque le match fut suspendu après des jets de pétards sur le terrain. À ce moment-la, Quilmes est de retour en première division. Mais les trois points ne sont pas encore officiels. La rencontre n’est en effet réglementairement pas terminée. Quelques jours plus tard, Dora se présente au siège du club pour récupérer l’autre moitié de la somme qui lui était promise. Devant le refus du président de Quilmes, prétextant que bien que Gimnasia ait perdu, Quilmes n’a pas encore gagné. Dora repart furieuse en lançant ces mots qui resteront dans l’histoire du football argentin : « Je condamne Quilmes à 13 ans de malchance, vous ne remonterez plus en première division ».
La malédiction de Dora
Le lendemain, Quilmes devait jouer les minutes restantes face au Deportivo Moron et ainsi officialiser cette foutue montée. À la surprise générale, Moron inscrira deux buts et gâchera la fête du doyen du football argentin. Quilmes perdra les deux journées restantes et laissera la montée à Gimnasia. À partir de cette année 1994 fatidique, Quilmes se cassera les dents année après année. En 2000, le « cervecero » perd même trois »finales » pour la montée face à Los Andes, Belgrano et Huracan. La saison suivante, la malédiction continue : 3 finales perdue encore face à Nueva Chicago et Belgrano. Un dirigeant lassé de ces défaites criera en plein milieu d’une assemblée de socios : « tout ça, c’est de notre faute ! On a voulu faire les malins avec cette putain de sorcière, on doit la payer ! ». Un comité de la direction du club a donc décidé de se rendre de nouveau à Chascomus pour payer la dette envers Dora. À leur grande surprise, la vieille femme était décédée et son corps reposait au cimetière de la commune. Il a donc été décidé de poser un énorme bouquet de fleurs sur la tombe de Dora pour symboliser la paix avec la sorcière.
La malédiction de Dora se termine en 2002, 11 ans plus tard. Après s’être rendu compte que les dirigeants de Quilmes s’étaient trompés de tombe, un supporter fanatique décida de rechercher la vraie tombe et ainsi en finir avec ces années en deuxième division. Il posera un autre bouquet de fleurs sur la bonne sépulture et nommera sa fille Dora. Comme par hasard, 8 mois plus tard, Quilmes retrouve enfin l’élite du football argentin. Dora avait enfin libéré Quilmes. Interrogé par le prestigieux Grafico, Alfaro, actuel entraîneur de Tigre et entraîneur de Quilmes à l’époque se référait à cette malédiction en ces termes : « Ce fut très dur de monter avec Quilmes. Ils venaient de perdre 6 finales consécutives et de passer presque 11 ans en deuxième division. Je les avais vu à la télé avant de jouer ces finales avec un t-shirt ‘les sorcières n’existent pas’. Si tu portes un maillot comme ça, ça voulait dire que la sorcière Dora existait. Tu lui donnes une crédibilité. Ce fut très dur de se battre contre ça. J’ai dû parler beaucoup dans le vestiaire aux joueurs pour leur faire oublier cette malédiction. Je leur ai montré tout ce qu’on avait fait pendant la saison et que si on a un coeur noble, il n’y a aucune superstition qui existe ».
Chacun jugera si les sorcières existent vraiment mais une chose est sûre : il faut toujours payer ses dettes. Quilmes l’a appris à ses dépends.