Il y a 25 ans jour pour jour, le Dinamo Zagreb recevait l’Etoile Rouge de Belgrade lors de la 33e journée du championnat de Yougoslavie. Une rencontre qui n’a jamais eu lieu, la faute à des affrontements violents entre les supporters des deux camps. Un match sur fond de nationalisme, de violence et de rivalités ethniques entre Serbes et Croates. Un match devenu annonciateur de la fragilité de la Yougoslavie et d’un conflit qui allait déchirer le pays pendant une décennie.
Le 13 octobre 1965, le Général de Gaulle évoquait déjà le sujet yougoslave avec un certain fatalisme : « Cette permanence de nationalités leur en promet de belles le jour où Tito ne sera plus là pour s’asseoir sur le couvercle de la marmite. Il tient la Yougoslavie depuis vingt ans. » Le maréchal Josip Tito s’éteint en 1980, âgé de 98 ans. Et malheureusement, la prophétie annoncée par de Gaulle quinze ans plus tôt était sur le point de se réaliser. La mort du leader yougoslave brise l’unité du pays et amorce une poussée nationaliste, sur fond de haine réciproque entre Serbes, Croates et Bosniaques.
La Yougoslavie, un pays-puzzle.
Le 13 mai 1990, le stade Maksimir de Zagreb va être la théâtre d’une des scènes les plus folles de l’histoire du football. Pour comprendre l’un des – nombreux – conflits qui gangrènent la Yougoslavie, il faut d’abord se concentrer sur les deux principaux groupes ultras du Dinamo Zagreb et de l’Etoile Rouge de Belgrade, ceux qui vont être au cœur des affrontements.
D’un côté les Delije (vaillants ou braves en serbe), les supporters engagés de l’Etoile Rouge, le club phare des nationalistes serbes. En 1989, le club veut unifier ses soutiens les plus incontrôlables pour mieux les cadrer. Des groupes comme Tziganes, Belgrade Alcohol Hooligans, Red Devils ou encore Zulus Warriors fusionnent et donnent naissance aux Delije. Pour faire respecter l’ordre au sein du groupe, les dirigeants de l’Étoile Rouge nomment Zeljko Raznatovic – qui sera par la suite surnommé Arkan – à sa tête. Raznatovic est pour le moment un caïd local mais deviendra par la suite un criminel de guerre à la tête de la milice des Tigres D’Arkan. Les Delije sont à la botte du nationaliste serbe Slobodan Milosevic, dont l’idéal est de reformer la « Grande Serbie ».
De l’autre côté, les Bad Blue Boys (BBB), le plus grand groupe ultra du Dinamo Zagreb crée en 1986 et particulièrement violent. Il tirerait son nom du film Bad Boys, avec Sean Penn (une histoire de caïds, gangs et prisons). Ce groupe positionné à droite de l’échiquier politique est un soutien de Franco Tudjman, chef de file de l’union démocratique croate et donc un ennemi de Slobodan Milosevic que soutiennent les Delije. L’antagonisme entre les deux groupes dépasse le cadre du football et traduit les tensions politiques et religieuses qui menacent entre Croates et Serbes.
Le chaos de Maksimir
Les antécédents entre les deux équipes et le contexte dans lequel se déroule le match laisse présager le pire. Ce n’est pas l’amour fou entre les deux clubs qui se battent pour le titre de champion de Yougoslavie depuis le début des eighties. D’un point de vue politique, le stade est assis sur un volcan prêt à entrer en éruption. Quelques semaines avant le match, la Yougoslavie a organisé les premières élections multipartites de son histoire. Le 6 mai 1990, la formation nationaliste croate de Franjo Tudjman – soutenue par les Bad Blue Boys – remporte les élections au Parlement. Tudjman s’est nourri des frustrations croates face à Belgrade et sur la peur du nationaliste serbe Slobodan Milosevic pour construire sa victoire. Sa volonté est de transformer la Yougoslavie en une confédération d’États.
Le jour de la rencontre, 3000 Delije font le déplacement jusqu’à Zagreb. Ils commencent à semer le trouble dans la ville, affrontent leurs rivaux du Dinamo Zagreb avant de rejoindre la tribune Est du stade Maksimir, qui leur est réservée. Malgré l’absence de leur chef, Zeljko Raznatovic, ils répandent très vite le chaos. Les slogans nationalistes serbes se succèdent : « Zagreb est serbe », « nous tuerons Tudjman ». Les sièges et les panneaux publicitaires sont arrachés et balancés sur la pelouse et la tribune Sud, bondée de supporters du Dinamo.
Ce spectacle se passe sous les yeux de la police, qui est au service du pouvoir central de Belgrade, et qui donc ne bouge pas d’un poil. Cet attentisme provoque la colère des Bad Blues Boys, qui sont massés dans le virage Ouest. La pression monte progressivement et les BBB, supérieurs en nombre, tentent d’envahir le terrain. Passive face au Delije, la police réprime violemment la poussée des supporters du Dinamo. Les coups de matraque pleuvent, mais rien n’y fait. L’enclos de sécurité cède et les Bad Blues Boys foncent pour en découdre avec les CRS et le virage des Delije.
L’anarchie générale se propage alors sur la pelouse. Les joueurs des deux équipes accourent aux vestiaires, hormis les plus téméraires. Alors que la bagarre fait rage entre les BBB et les forces de l’ordre, Zvonimir Boban va asséner un coup de pied qui fera de lui une légende chez les nationalistes croates. Le joueur de 21 ans, va envoyer un « high-kick » (Un peu à la manière de Cantona en 1995 sur Matthew Simmons, le supporter de Crystal Palace) au menton d’un flic qui frappe un ultra du Dinamo qui gît au sol. Un geste qui va propulser le joueur au rang de héros national en Croatie. Boban est ensuite protégé par les BBB, qui empêchent des policiers enragés et revanchards de le lyncher.
« Une guerre dans un stade de foot »
La scène surréaliste prend peu à peu fin dans une confusion totale : attaque des Bad Blues Boys, réplique des policiers, insultes, hurlements, coups de matraque, bombes lacrymogènes, fumigènes, slogans nationalistes, tout y passe… Plus de soixante minutes d’incidents qui se terminent enfin. Le bilan officiel fait état de 138 blessés, 147 arrestations et aucun mort. Un miracle lorsque l’on revoit les images de la télévision yougoslave qui retransmet ce déchaînement de violence. Une rencontre que personne n’a oubliée, ni en Serbie, ni en Croatie. À la suite de ce triste spectacle, Ivica Osim, le sélectionneur yougoslave ne mâche pas ses mots : «On attendait qu’une bombe éclate. Elle a éclaté à Zagreb. La guerre avait surtout lieu entre Serbes et Croates. Il était donc normal qu’un conflit éclate entre le meilleur club de chaque pays. Il fallait s’y attendre. »
Même son de cloche chez Vladimir Novak, journaliste sportif serbe : « C’est un événement qui a contribué à mettre le feu aux poudres. C’était le signe que le pays allait s’effondrer. Concrètement, ce match, c’était une guerre dans un stade de foot. ». Pour beaucoup, ce match sera à jamais comme le jour où Croates et Serbes se sont déclarés la guerre.
Des tribunes du stade Maksimir au champ de bataille
Quelques mois après les affrontements du 13 mai, les deux groupes de supporters vont de nouveau se retrouver face à face. Mais cette fois-ci, les tribunes vont laisser place à un vrai champ de bataille et les sièges utilisés comme projectile à de vrais armes.
En août 1990, la guerre pour l’indépendance de la Croatie était officiellement déclarée entre les deux ethnies. Dès octobre 1990, Zeljko Raznatovic, un des leaders des Delije, lève son armée personnelle, la Garde des volontaires serbes. Pour former cette milice, Arkan recrute essentiellement au sein du groupe de supporters qu’il dirige. Ils vont alors participer à l’épuration ethnique voulue par le président serbe Slobodan Milosevic. Ces miliciens se taillent très vite une réputation sinistre. Partout en Bosnie comme en Croatie, ils assassinent, pillent et violent. Leur cruauté est même poussée à l’extrême, certains attachant des cuillères aiguisées dont ils se servent pour arracher les yeux de leur victime. Ce groupe sera très vite baptisé « les Tigres », car leur leader Raznatovic se balade souvent en compagnie d’un jeune félin.
La tribune des Delije au stade Marakana de Belgrade devient alors un moyen de propagande de la cause nationaliste serbe. Le 22 mars 1992, lors du « Derby éternel » face au Partizan, les Delije brandissent des panneaux routiers indiquant la distance qui les sépare de Vukovar, ville située à l’extrémité est de la Croatie. À l’autre bout du terrain, les Grobari, les ultras du Partizan, applaudissent le geste de leur ennemi juré.
Le constat est le même du côté des Bad Blues Boys, qui militent pour la cause indépendantiste et s’enrôlent en nombre dans la jeune armée croate. Comme l’institution ne dispose pas encore de son propre insigne, les soldats vont même jusqu’à coudre l’écusson du Dinamo sur leur uniforme. Les membres de la Torcida Split, groupe de supporters du club de l’Hadjuk Split, s’engagent, eux aussi, en nombre dans l’armée croate. Ils y côtoient les Bad Blues Boys du Dinamo, leurs rivaux de toujours qui se muent en frères d’armes de la cause croate. Dans des pays où les tensions entre clubs sont très exacerbées et souvent violentes, la cause nationaliste prime sur les rivalités sportives.
Une guerre encore dans toutes les têtes
Le conflit prend fin en 1995, mais les guerres de Yougoslavie se poursuivront jusqu’en 2001. Un conflit sanguinaire, à tendance parfois génocidaire, qui aura fait environ 250 000 morts dont deux tiers de civils.
Zeljko Raznatovic, le commandant des « Tigres D’Arkan » sera inculpé en 1997 pour crime contre l’humanité par le tribunal de La Haye. Il ne sera cependant jamais jugé. Arkan est tué par balle le 15 janvier 2000 dans des circonstances troubles alors qu’il se trouve dans un hôtel à Belgrade. Sa mort ne laisse personne insensible. Criminel barbare pour certains, il est un véritable héros aux yeux d’autres personnes. Quinze jours après sa mort, la Curva Nord de la Lazio déploie une banderole polémique pour rendre hommage à Raznatovic.
En Croatie, aujourd’hui encore, on retrouve dans Zagreb des fresques murales en mémoire du geste de Zvonimir Boban pour défendre les Bad Blue Boys. Un monument aux morts a également été érigé devant l’enceinte du Stadion Maksimir. Une plaque indique : « Pour tous les fans du Dinamo pour qui la guerre commença le 13 mai 1990 et s’acheva en perdant la vie, sur l’autel de la patrie croate ». Personne dans les deux pays n’a oublié cette date, et comme l’a dit Ivica Osim, « plus rien ne sera plus jamais pareil après ».
C’est quoi cet article délirant qui fait passer Slobodan Milosevic pour un partisan de la « Grande Serbie » alors qu’il était un homme de gauche très attaché à l’unité de la Yougoslavie face au fasciste Tudjman ?
Bonjour, je crois qu’il suffit de quelques recherches pour se rendre compte que l’article n’a rien de « délirant » et que Slobodan Milosevic a lui-même contribué à un « nettoyage ethnique ». Bien à vous.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/08/24/non-slobodan-milosevic-n-a-pas-ete-blanchi-par-le-tribunal-penal-international_4987414_4355770.html