Alors que dimanche on célébrera le 21 ème anniversaire de la tragédie de Furiani, le collectif du 5 mai 1992 se bat toujours pour ne pas jouer de match à cette date. Didier Grassi, journaliste et victime de la catastrophe, se livre sur ce combat mené depuis deux décennies.
Il y a eu une promesse concernant la sacralisation du candidat François Hollande en campagne. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient?
Didier Grassi : C’est tout à fait cela. Nous l’avons pourtant rencontré lors de sa campagne à Bastia où il s’était rallié à notre cause, nous lui avons même demandé si on pouvait le mentionner sur notre pétition, chose qu’il a acceptée. Nous avons ensuite eu un contact indirect avec lui en lui écrivant peu de temps après son élection en lui demandant d’avoir des actes concrets par rapport à cela. La ministre des Sports (ndlr : Valérie Fourneyron) nous a ensuite répondu en nous disant textuellement qu’elle était pour la sacralisation de tous les matchs le 5 mai. Donc pour nous, la position du gouvernement et du président de la République était claire! Puis en janvier 2013 est venue la décision du comité exécutif. Cela nous rend amer pour ne pas dire autre chose. Personne ne nous a écouté!
Avez-vous eu des nouvelles de la part du gouvernement ou du président de la République suite à la lettre ouverte qui lui été adressée ?
DG : Au jour d’aujourd’hui, absolument aucune. Ni de la part du président, ni de la ministre des Sports. Nous allons donc profiter de ces deux jours qui viennent pour renvoyer la sauce. On l’a déjà dit mais on le redit, nous n’attendons plus rien de la part des autorités du football qui se sont positionnées sur une position qui n’est pas la nôtre. En plus, leurs positions sont contradictoires. La première était de dire qu’il n’y aura pas de finale de Coupe de France et de Coupe de la Ligue le 5 mai, ensuite les clubs Corses ne joueront pas en Corse le 5 mai ce qui s’est transformé après par les clubs Corses ne joueront pas le 5 mai et pour finir; Thiriez rapporte dans une interview récente : « Les clubs Corses ne disputeront pas de match en Corse le 5 mai, d’ailleurs Bastia et Ajaccio jouent à l’extérieur » donc en sous-entendant que les clubs de l’Île pourrait bien jouer un 5 mai hors de leurs bases…
Qu’as tu envie de répondre à ceux qui disent que la plus belle manière de rendre hommage ce jour-là est de jouer au football ?
DG : Tout d’abord, on a fait en sorte de rencontrer beaucoup de présidents de clubs quand leurs équipes venaient jouer au Sporting. Les avis étaient partagés. Certains nous disaient qu’ils étaient complètement d’accord avec notre position et d’autres nous disaient : « non, il faut jouer un 5 mai » ce serait encore plus fort. Ça c’est quelque chose qu’on peut entendre et nous sommes ouverts au dialogue. Nous ce qu’on a proposé avec le comité, c’était de jouer une seule journée le week-end du 5 mai sur le continent, une rencontre qui serait commémorative. Mais le problème c’est qu’on arrive en fin de championnat et que toutes les rencontres sont importantes, on a déjà vécu en 2001 et 2010 des titres de champion de France décernés ce jour et on risque de le revivre ce dimanche avec le PSG. Alors entre jouer et faire la fête le jour où le football a tué 18 personnes et en a envoyé 2300 autres à l’hôpital, il y a un pas à franchir que nous nous ne voulons pas franchir! Le problème, il est là! Ce dimanche, il va y avoir un match qui risque d’être décisif pour l’attribution d’un titre, alors on n’en veut pas aux supporteurs qui vont sûrement faire la fête. Mais ce qui m’insupporte c’est que ce jour soit un jour de fête. Il faut se mettre à la place des victimes, des gens qui sont en fauteuil roulant, des familles qui vont commémorer à la stèle à Furiani et à la cathédrale de Bastia. Et même sûr le continent, il y a les Marseillais qui sont proches de nous sur cette position-là. Ils vont s’en souvenir, peut-être pleurer leurs proches décédés ou en fauteuil roulant. Et parallèlement quelques heures après, tu verras le Paris Saint-Germain fêter un titre de champion avec tout ce qui va se passer autour, et ça c’est pas concevable! Après certains pensent qu’il vaut mieux jouer avec un brassard et faire une minute de silence, on veut bien entendre mais on a bien vu l’année dernière ce qu’il s’est passé sur certains stades où la minute de silence a été sifflée… Donc, c’est pas ça qui réglera le problème. Nous notre position c’est la sacralisation, ensuite on expliquera pourquoi on ne joue pas ce jour-là, on a même proposé que le premier week-end du mois de mai soit une journée de sensibilisation auprès des plus jeunes dans chaque ligue en leur disant : « Vous voyez le football c’est bien sûr ludique, on fait la fête mais quand malheureusement il y a des excès ça peut aussi déboucher sur une catastrophe« . On a aussi fait une deuxième proposition où se mettrait en place une bourse de recherche qui serait labellisée « 5 mai 1992 » qui valoriserait des chercheurs sur des questions qui touchent le football, la problématique des supporteurs, sur le mouvement ultra et beaucoup d’autres choses. Encore une chose qui n’a pas été retenue…
Tu disais que seuls les clubs Corses ne joueront pas un 5 mai, et encore même cela est ambigu, est-ce que c’est de la lâcheté de la part des instances du football français?
DG : Bien sur que oui ! Derrière cela, et c’est peut-être une interprétation personnelle mais, voilà pourquoi on demande qu’il n’y ait pas de match au niveau national. On a le sentiment que depuis 21 ans maintenant que les Continentaux et les autorités du football se disent cela ne nous concerne pas, que c’est un problème corso-corse. C’est eux qui ont fait n’importe quoi, qui se sont comportés n’importe comment, qui ont voulu se faire du pognon. Donc ça reste leur problème et on compatit gentiment avec eux… Non! Justement non, Que ce soient les enquêtes techniques, que ce soient les enquêtes administratives, que ce soie,t les procès eux-mêmes, ils ont prouvé que la responsabilité était en Corse bien sûr mais aussi bien au-delà. Que ce soit au niveau de l’Etat ou encore au niveau des autorités du football français qui n’avaient pas pris les mesures nécessaires pour éviter cela. Quelque part, on a le sentiment que les autorités en place « avaient déjà un rôle » à l’époque, car Noel Le Graët était président de la Ligue nationale de football et Thiriez était l’avocat de la FFF. Alors je sais pas si on peut faire un lien par rapport à leurs comportements actuels, en tout cas il y en a un avec le passé. Ce qui est important, c’est de dire que la catastrophe de Furiani ce n’est pas qu’une affaire interne en Corse et ce que moi je dis toujours : C’est que les années 1990 étaient le début du football business et Furiani fut la conséquence directe de cela et a suivi beaucoup d’événements que l’on connait déjà, l’OM avec Tapie par exemple. Aujourd’hui, je suis persuadé que l’on court à une autre catastrophe alors peut-être pas comme celle-là certes à cause du pognon qui est investi par les uns et par les autres.
On voit beaucoup de journalistes compatir sans jamais afficher clairement leur position sur le sujet. Penses-tu qu’ils ont subi des pressions ?
DG : Ce que je peux dire à ce sujet, je l’ai déjà dit et je peux le redire aujourd’hui. On avait convenu au sein du collectif que des journalistes soit représentés au sein du comité qui avait été mis en place par Noël le Graët. Ils l’ont été et c’est vrai que leurs représentants ont toujours eu des positions ambiguës J’étais à l’époque pigiste pour une radio, il y avait des journalistes à côté de moi qui sont décédés que ce soit des Corses ou des Continentaux. Il me semblait naturel qu’ils soient représentés car c’est une corporation qui a été énormément touchée par cette catastrophe. Et j’étais quelque part persuadé qu’ils étaient complètement sur nos positions et qu’eux-mêmes n’envisageraient pas de travailler dans un stade de football le 5 mai… Alors visiblement, oui il y a eu des pressions. Et pour en avoir discuté en off avec certains journalistes sportifs, je peux l’affirmer clairement.
« Le Combat n’est pas terminé »
Plusieurs groupes ultras, bien sûr à Bastia, mais aussi un peu partout en France vous ont soutenu, avez-vous des contacts avec eux et des actions communes sont-elles prévues ce week-end?
DG : Oui effectivement on a des contacts réguliers, alors c’est plutôt Lauda Guidicelli qui gère cette partie-là avec les groupes d’ultras marseillais notamment qui nous ont toujours soutenus par diverses manières, banderoles etc. Il y a aussi Saint-Etienne, Monpellier, Valenciennes et bien d’autres. Vraiment, du côté des ultras il y a une compréhension totale de notre demande et c’est très réconfortant. C’est ce que je dis toujours, c’est très rassurant de voir que les jeunes supporteurs bastiais et pour le coup, les jeunes supporteurs marseillais ont intégré la catastrophe de Furiani dans l’histoire de leurs clubs. C’est quelque chose qui est très fort et d’important. Mais au-delà de ces deux clubs protagonistes, il y a d’autres supporteurs qui s’en rendent compte et encore une fois, c’est rassurant que des jeunes intègrent cela dans le football français. Et quelque part, c’est même un peu surprenant car à la limite intégrer un titre de champion de France ou d’autres titres qui sont des moments festifs, c’est facile mais intégrer une catastrophe c’est beaucoup plus difficile. Il y a aussi autre chose au niveau de Bastia, c’est la manière dont l’entraîneur Frédéric Hantz s’est accaparé cela y compris dans ses discours auprès des joueurs.
Restons sur les supporteurs, depuis la polémique avec certains fans d’Ajaccio qui ont eu des chants insultants sur le 5 mai et celle de Bosetti qui aurait mimé la tribune en train de s’écrouler, un dialogue s’est-il instauré ?
DG : Pas grand-chose. Bon ça s’est atténué avec les supporteurs d’Ajaccio, de toute façon on ne fait pas l’amalgame entre le groupe Orsi Ribelli dont les membres nous ont toujours soutenus et les quelques personnes qui ont eu ce comportement-là. Car malheureusement certains ont dérivés, on a vu les vidéos, on les a entendus mais encore une fois, on ne fait pas l’amalgame. Moi ce que je regrette juste, c’est que à un moment donné de la part de l’AC Ajaccio que ce soit du côté du club ou de certains supporteurs, c’est que l’on ce soit servi de cela pour s’attaquer au club ou pour justifier certains comportements. Quand tu commences à traiter des gens de menteur, c’est pas très propre. Ce que j’aurais aimé à partir du moment où on leur a montré qu’il y a eu des actes contestables, ça aurait été bien que certains le reconnaissent en disant qu’ils le regrettaient. Cela aurait permis de clore définitivement cette histoire. Maintenant, j’espère juste que les sanctions qu’il y aura dans le cadre du derby ne remettront pas le feu autour de cela…
Et par rapport à Bosetti?
DG : Alors par rapport à ce qui s’est passé face à l’AC Ajaccio, je l’ai vu et entendu. Les gestes que Bosetti a fait nous ne les avons pas vu, ce sont des supporteurs d’autres tribunes de Bastia qui nous ont rapporté cela et les vidéos que nous avons pu voir montraient effectivement qu’il s’agitait vers le public bastiais mais nous n’avons pas d’assurance quelconque. Après cela nous avons eu des contacts avec le président de l’OGC Nice en lui disant que si ce joueur avait eu un comportement non-adéquat de s’en excuser. Bon ensuite, il a fait un communiqué très ambigu en expliquant qu’il avait eu des gestes envers le public corse mais qu’en aucun cas ce fut par rapport à la catastrophe. Encore une fois notre objectif c’est la sensibilisation, c’est l’alerte, c’est la prévention. Nous n’avons jamais voulu que Bosetti, qui est un très bon joueur par ailleurs, soit sanctionné par rapport à cela. Nous ne sommes pas dans une logique de répression.
Le livre des 20 ans du drame de Furiani a récolté plus de 40.000 euros pour les hôpitaux corses et marseillais, que peux-tu nous dire à ce sujet?
DG : D’abord, il y a un nouveau chèque de 10.000 euros qui sera remis ce samedi avant OM-Bastia. Alors ce n’est pas nous qui avons géré ce bouquin, c’est l’UJSF section Provence (ndlr : Union des Journalistes de Sport en France). Nous les avons bien sûr aidés, notamment sur les témoignages et sur la recherche de fonds. Les retours sont très positifs parce qu’eux comme nous, honnêtement ne pensait pas qu’il y aurait un tel engouement autour de ce livre. Un livre très très fort où tu lis des témoignages qui sont vraiment très prenants, que ce soient de proches de victimes, que ce soient de personnes qui était présentes au stade, des dirigeants de clubs, des joueurs et même de journalistes. Cela a permis d’aider les hôpitaux de Marseille et de Bastia, pour ma part j’ai été hospitalisé à Marseille après la catastrophe à l’hôpital militaire de Laveran et celui-ci fait partie des hôpitaux qui ont bénéficié de cette manne-là. Le bouquin est toujours en vente, c’est quelque chose de très important et de symbolique à nos yeux. Tout comme la pétition qui en est à plus de 41.000 signatures et qui est toujours en ligne, les gens peuvent toujours s’y rendre et apporter leur contribution.
Depuis 2006 on vous promet un stade flambant neuf… Comment expliques-tu que Armand-Cesari soit un éternel chantier?
DG : Cela a été la catastrophe dans la catastrophe. C’est à dire qu’après le drame de Furiani, on s’est trouvé dans le financement des rénovations pour tous les stades de France pour la Coupe du monde 1998. L’idée était donc de se dire qu’on allait profiter de cela. Alors bien sûr pas pour faire des matchs de Coupe du monde à Bastia, mais justement profiter de ça pour faire un stade digne de ce nom dans un endroit qui méritait d’avoir un vrai stade. Malheureusement, cela dure depuis plus de 20 ans. Le stade n’est pas encore fini aujourd’hui, alors évidemment tu as un stade beaucoup plus accueillant que ce qu’on a connu à l’époque, mais ça reste un véritable scandale. Aujourd’hui le stade de Furiani n’est déjà plus à la mode, on se retrouve avec un stade des années 1980… Avec le pognon qui a été investi dedans c’est lamentable! A Bastia avec ce qu’il s’est passé nous n’avons même pas été capable de faire un véritable stade de football qui puisse être accueillant et rendre hommage à ce qui s’était passé à cet endroit-là.
Ce samedi vous rencontrez la presse avant le match OM-Bastia. Qu’en est-il de cette rencontre et comment comptez-vous continuer le combat dans les prochaines années?
DG : Simplement d’expliquer ce qu’il y aura comme commémoration pour ce 21 ème anniversaire de la tragédie ce week-end, rappeler que nous sommes toujours mobilisés pour sensibiliser et notamment les politiques maintenant au niveau du gouvernement et de l’Assemblée nationale pour nos demandes et la sacralisation des matchs le 5 mai. Encore une fois, nous n’attendons plus rien de la part des autorités du football. On va s’appuyer sur les deux clubs protagonistes même si on aurait pu s’appuyer sur d’autres clubs, contrairement à ce que le directeur général de la Ligue Professionnelle de Football nous a affirmé, en nous disant texto : « Les autres clubs vous soutiennent mais c’est juste de l’enfumage car ensuite quand on est entre nous, ils n’y sont pas favorables« . Ce samedi nous allons prouver à travers l’OM et le Sporting Club de Bastia que les clubs nous soutiennent réellement et que ce n’est pas un double langage qu’ils peuvent avoir avec nous et avec la LFP. Nous, nous allons essayer de sensibiliser encore une fois le gouvernement et le président de République lui-même et sa ministre des Sports même s’ils se sont déjà positionnés. Maintenant au-delà de leurs positions, nous on souhaiterait avoir des actes. Le ballon est dans leur camp. Un projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale avec 50 co-signataires par Monsieur le député Gandolfi-Scheit (Maire UMP de Biguglia) et il y a aussi un projet de loi dans les cartons du Parti Socialiste qui semble rencontrer quelques difficultés. On compte là-dessus pour essayer de freiner les choses. Même si nous sommes conscients que cela n’est pas capital pour l’avenir de la France, on espère réussir une nouvelle fois à sensibiliser les députés socialistes pour qu’ils aillent dans ce sens-là, même si malheureusement on aurait préféré que ce soit les autorités du football qui prennent leurs responsabilités sur ce dossier. Nous allons continuer à mobiliser autour de ces projets de lois et de ce que le gouvernement a le pouvoir de faire pour une question comme celle-ci. C’est vraiment dans ce domaine que nous allons travailler et mobiliser un maximum de gens, pour nous le combat n’est pas terminé! On aurait bien sûr espéré qu’il se termine et que ce qui s’est passé l’année dernière (ndlr : il n’y a pas eu de match le 5 mai) soit perpétré sur les années à venir. Les décisions qui avaient été prises à l’époque nous semblaient intelligentes et légitimes de les perpétuer à l’avenir. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.
Propos recueillis par Bastien Poupat (avec Adrien Verrecchia)