49 matchs de Premier League. C’est l’accumulation incroyable de matchs sans défaite réussie par les Gunners d’Arsène Wenger en championnat entre 2003 et 2004. Un exploit qui s’étale sur plus d’une saison complète. Tous ceux qui ont joué un tant soit peu au football peuvent mesurer l’ampleur des qualités physiques, techniques et surtout mentales pour réussir une telle performance. Lors de cette année 2003-2004 magique durant laquelle Arsène Wenger est véritablement entré dans le panthéon des grands coachs, il a fallu résoudre des problèmes technico-tactiques chaque semaine ! Comment cet effectif déployait-il ce football flamboyant et ultra-efficace durant des mois et des mois ? Analyse tactique.
Composition et animation
Quand science des déplacements, technique individuelle et vitesse fusionnent
Le 4-4-2 est revenu à la mode au niveau européen ces dernières saisons. Beaucoup de coachs ont remis en avant ce système avec des animations spécifiques comme le 4-4-2 à la Simeone ou encore le modèle du 4-4-2 en zone tel que l’incarne Villarreal, voire à une époque le Lorient de Christian Gourcuff en France. Nul doute que ces entraîneurs se rappellent de l’incarnation sublime de ce schéma par Arsenal il y a plus de douze ans. La grande force du système mis en place par Wenger à l’époque réside en la qualité des déplacements et des combinaisons sans ballon qui semblent ne jamais avoir de limites. Tant et si bien que ce 4-4-2 ressemble plus au schéma ci-dessous dans son animation :
Ainsi, ce 4-4-2 à plat théorique se singularise totalement lorsque les Gunners ont le ballon et qu’ils tentent d’approcher le but adverse. En ce qui concerne la première relance les circuits sont relativement simples. Lehmann ne se prive pas d’allonger le ballon quand il le possède puisqu’il connait la qualité de ses coéquipiers dans le jeu aérien dont Henry, Bergkamp ou Viera. L’anticipation et l’engagement sont ensuite les deux qualités qui font la différence dans la quête du second ballon et la construction d’une future action offensive.
Lorsque les défenseurs centraux disposent du cuir, plusieurs choix s’offrent à eux. Kolo Touré s’efface généralement devant Campbell qui dispose d’un meilleur pied pour trouver une ligne de passe. Dans ce cadre, Viera, Silva (ou Edu quand il joue) se rapprochent de leurs défenseurs pour redoubler les passes dans l’axe et latéralement afin d’aspirer lentement mais sûrement le bloc adverse. Surtout, les défenseurs centraux cherchent trois fois sur quatre leurs défenseurs latéraux disposés bien hauts afin d’amener le ballon dans le camp adverse.
Ashley Cole et Lauren peuvent se permettre un positionnement audacieux puisque les milieux centraux et les défenseurs axiaux représentent une couverture potentielle de quatre joueurs pouvant coulisser en cas d’erreur. En effet, Arsène Wenger joue toute la saison avec ce système de « double-pivot » Viera/G.Silva (Edu aussi joue beaucoup à ce poste) qui lui assure une sécurité défensive mais aussi une garantie dans la construction si les joueurs disposent d’une certaine qualité technique alliée à des déplacements intelligents. Cette animation, que l’on a retrouvée chez Didier Deschamps dans le match contre la Suède récemment peut vite être stéréotypée si les joueurs n’ont pas les qualités énoncées ci-dessus (Pogba et Matuidi ont encore du travail dans ce domaine). Heureusement pour Wenger, Viera et Silva sont parfaits dans ce rôle.
D’autre part, Sol Campbell ne s’interdit pas un jeu long directement en profondeur sur un joueur lancé à la limite du hors-jeu. Thierry Henry, au sommet de son art à cette période représente une menace permanente sur ce type d’actions.
Lorsque les défenseurs latéraux ont le ballon, c’est la deuxième étape d’une éventuelle attaque placée qui peut s’enclencher. Les passes des latéraux sont à 70% dirigés vers l’axe du terrain où les possibilités sont nombreuses. Par contre, c’est souvent le désert devant eux contre la ligne de touche. Effectivement, l’une des particularités de l’animation des Londoniens dans ce système : la volonté quasi-permanente de Pirès et Ljungberg de rentrer dans l’axe pour proposer des solutions.
Dans cette situation les combinaisons possibles s’avèrent très nombreuses. L’une d’entre elles est le jeu à trois dans un espace réduit suivi du dédoublement du latéral. Ce qui impressionne le plus à l’écran lorsqu’on regarde cette équipe jouer, c’est à quel point celui qui fait la passe à un coéquipier propose dans la foulée, instantanément, une nouvelle solution au porteur. Le passeur ne sort jamais du jeu après avoir donné son ballon.
De plus lorsqu’un milieu latéral ou un attaquant reçoit un ballon contre la ligne, celui-ci n’est jamais en difficulté. Que ce soit Pirès, Wiltord, Henry ou Ljungberg tous sont capables d’éliminer leur vis-à-vis et de prendre de la vitesse avec une facilité déconcertante. Ainsi si le défenseur vient sur l’attaquant, il prend le risque de se faire éliminer. Mais s’il n’attaque pas de suite le joueur d’Arsenal, le défenseur peut aussi être pris dans son dos par un appel bien senti. Le choix est impossible…
Un autre circuit fondamental travaillé à l’entraînement est la recherche des attaquants en remise dans l’axe pour un milieu de terrain face au jeu qui va chercher ensuite un troisième homme lancé. Ce type de séquences de jeu est ultra-présent dans le jeu des Gunners. Henry, Bergkamp ou encore Wiltord ont les qualités techniques et physiques pour conserver un ballon dos au jeu. Ils disposent d’une bonne envergure et savent en jouer. Leurs remises en une touche de balle sont un régal pour les yeux ! Ils sont aussi capables de sentir quand il ne faut pas remiser mais se retourner instantanément sur le contrôle. Les attaquants d’Arsenal savent aussi à l’avance quel partenaire va venir se proposer en appui et ainsi quel espace va s’ouvrir dans le dos du défenseur accompagnant le remiseur. Avant de s’engouffrer à merveille dans la brèche.
Toutes ces possibilités créées par l’alliance entre un travail de fond à l’entraînement et des joueurs aux qualités exceptionnelles rendent ce type de séquences presque indéfendables pour une équipe lambda.
Pendant toute la saison, les Londoniens ont régalé sur ce genre d’actions et marqué de très nombreux buts ! Mais ce n’est pas tout. Viera, Gilberto Silva, Pirès, tous ces excellents joueurs sont dotés aussi d’une belle qualité de passe longue. Celle-ci associée à leur liberté de déplacement, leur permet de concentrer un maximum de joueurs adverses dans une zone (après un redoublement de passes par exemple). Puis d’un coup d’un seul, de changer le jeu à l’opposé sur un défenseur latéral parti à tout allure ! Fixer dans une zone pour jouer dans une autre, voilà un autre stratagème maîtrisé par cette équipe ultra-complète.
Dans la zone de finition, les Gunners utilisent des outils simples mais qui ont fait leurs preuves. D’abord, envoyer un très grand nombre de centres dans la surface. C’est ici la variété qui frappe au premier coup d’œil. Entre les passes lasers dans la surface, les centres longs au second poteau précis comme la pointe d’une boussole, l’adversaire ne sait jamais à quoi s’attendre. Robert Pirès, Thierry Henry, Dennis Bergkamp, c’est aussi une finesse technique rare dans la frappe. Les frappes enroulées, les lobs, les reprises de volée en tout genre pleuvent à Highbury !
Une défense impeccable
Souffrance. Dureté. Combat. Voilà quelques-unes des pensées qui animent l’esprit des adversaires d’Arsenal durant cette fameuse saison 2003-2004. En effet, au-delà de toute animation structurée, les joueurs de Londres sont tous ou presque des monstres du duel. Avec leur envergure physique, alliée à leur motricité, leurs appuis et la maîtrise de leur corps, les joueurs de champ n’ont absolument pas peur du duel en un contre un même en reculant face à leur but. Le défenseur Lauren fait partie de cette catégorie de joueurs. Thierry Henry ne tarit pas d’éloges à son sujet : « Il y a des joueurs que j’aurais du mal à oublier, qui portaient à leur façon Arsenal. Ils nous rendaient invincibles. ».
Malgré ces qualités initiales, auxquelles il faudrait ajouter le jeu de tête défensif, Arsène Wenger a travaillé plusieurs animations. Par séquences, et selon le scénario du match, l’ensemble du bloc peut aller très haut chez l’adversaire pour l’empêcher de jouer.
De plus, lorsque cet Arsenal perd un ballon aux abords des 30 mètres adverses, l’équipe initie presque toujours un harcèlement dans les cinq secondes pour pousser le défenseur adverse au dégagement, qui permettra une récupération facile des joueurs défensifs londoniens.
Cependant la configuration classique des Gunners en phase défensive est celle d’un bloc médian-bas, plutôt replié derrière la ligne médiane. Les attaquants Henry, Bergkamp, Wiltord, Reyes ont pour objectif un harcèlement qui reste très léger surtout à la vue du travail défensif qui est demandé aux attaquants d’aujourd’hui. Les défenseurs centraux voire latéraux adverses ont alors de l’espace pour jouer mais c’est arrivés dans le camp de Lehmann que tout devient plus complexe. La structure en 4-4-2 devient apparente, les lignes sont resserrées, les milieux de côté étant chargés de fermer dans l’axe pour pousser l’adversaire à s’enfermer contre une ligne.
Une fois que l’adversaire a pénétré le camp d’Arsenal, l’espace et le temps semblent se réduire à néant. Les distances de marquage sont extrêmement strictes. Des colosses tels que Viera, Silva, Campbell ou Touré se présentent devant eux. Et, quand ce n’est pas eux qui s’approchent, d’un pas lourd et décidé, c’est la vivacité de Pirès ou Ljungberg qui permettent de subtiliser beaucoup de ballons dans les pieds adverses. Mais pourquoi une équipe comme Arsenal qui cherche à dominer son adversaire joue-t-elle majoritairement avec un bloc si bas ?
La réponse est limpide : Arsenal excelle dans les attaques rapides. Ils disposent des profils parfaits pour jouer ce football supersonique et dévoreur d’espaces. Contre Leeds, match dans lequel ils mènent 4-0 en 50 minutes, les quatre buts sont venus d’une seule et même phase de jeu. Leeds est en possession du ballon et semble pouvoir attaquer le but d’Arsenal. Les Gunners récupèrent le ballon, se projettent grâce au fabuleux jeu en une touche des milieux axiaux, pour servir le plus vite possible l’un des attaquants lancé dans un espace libre pendant que les autres ont participé à l’action par une remise, un appel croisé « apparemment » inutile ou un centre. La verticalité du jeu d’Arsenal sur ces phases de jeu est impressionnante. Tous les coins du terrain sont exploités par les joueurs de champs qui ne cessent de produire des appels de balle. Bref, avec des joueurs de si grande qualité, défendre en bloc bas n’est pas une marque de faiblesse, mais un leurre qui dissimule des circuits d’attaques dévastateurs.
La légende oubliée
Tous les joueurs de ce onze sont des stars ou le sont devenus. Cependant, un membre de la rotation se révèle d’une importance décisive pour l’accomplissement des objectifs de la saison. Son nom : Eduardo Cesar Daud Gaspar dit Edu. Très peu titulaire face à la concurrence énorme symbolisée par Viera, G.Silva, voire même Parlour, il réussit à se faire une place et à se montrer décisif. D’ailleurs, c’est lui qui qualifie Arsenal pour les quarts de finale de Ligue des Champions grâce à un triplé salvateur contre le Celta Vigo.
Arrivé à Arsenal en 2001, après avoir été formé au Corinthians, il met deux grosses saisons à s’adapter au football anglais. L’engagement Outre-Manche occasionne de nombreuses blessures chez le jeune Edu. Qu’importe, il participe pleinement à l’acquisition du titre et rentre à quasiment tous les matchs. Sur le pré, sa technique en mouvement, sa qualité de déplacement font des étincelles. Très fort dans son jeu en une touche sous la pression, il est une rampe de lancement très efficace des attaques rapides londoniennes. Sa qualité de passe est bien au-dessus de la moyenne.
Ce joueur de très grande qualité n’aura jamais réussi la carrière à laquelle il aurait pu prétendre. En 2005, il quitte Arsenal pour Valence, en espérant devenir titulaire indiscutable, mais de nouvelles blessures l’empêchent de s’imposer. Il finit par revenir au Brésil, dans le club de ses débuts, au Corinthians, jusqu’à en intégrer la direction sportive une fois sa retraite déclarée.
Conclusion
Comme l’exprime si bien Arrigo Sacchi, « les victoires restent sur les palmarès, les victoires avec style restent dans les esprits ». Durant cette saison 2003-2004, Arsenal n’aura gagné « que » le championnat. Le Porto de Mourinho remportera la Ligue des champions. Manchester United s’adjugera la FA Cup. Pourtant, c’est bien l’équipe des Canonniers de Londres qui vient la première à l’esprit lorsque on évoque ce millésime. Wenger est adoubé, Henry et Pirès sont alors proches du Ballon d’or. Cette équipe et ces « frenchies » illuminent l’Angleterre et l’Europe entière par son jeu léché, complet, tant et si bien qu’il est très dur pour Wenger de ne pas regarder derrière sans une once de mélancolie : « C’était l’un de mes rêves de finir champion en étant invaincu. Et je veux encore le faire ! » .
Bilan
Les forces de cette équipe :
- Des joueurs techniques et intelligents capables de toutes sortes d’appels de balle
- 11 joueurs extrêmement forts composant le onze titulaire mais aussi un vrai banc de touche avec des joueurs comme Edu, Reyes, Parlour, Wiltord, Fabregas,
- Un 4-4-2 dont l’animation est maîtrisée à la perfection.
- Des attaquants à l’immense talent pour finir les actions.
- Un Robert Pirès qui marche sur l’eau.
- Une structure défensive effrayante, implacable lorsque elle doit défendre dans son camp à l’image de Viera ou Campbell.
- Un coach clairvoyant et très bon dans sa gestion.
- Une équipe presque aussi forte en attaque placée, qu’en attaque rapide.
Les quelques faiblesses :
- Un gardien qui laisse parfois à désirer notamment dans ses sorties.
- Une charnière centrale à la relance limitée.
- Des attaquants dont le travail défensif peut prêter à sourire dans le contexte d’aujourd’hui.
- Une équipe qui provoque de très nombreuses fautes.
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