Si l’affrontement entre Juventus et Inter n’a pas été marqué par les polémiques dans la presse qui caractérisent ce match depuis les années 60 et particulièrement la saison 1997/1998, il n’en demeure pas moins emblématique d’une vision manichéenne de la Serie A, avec d’un côté de gentils honnêtes et de l’autre de méchants voleurs. Mais la réalité est rarement aussi simple et les parangons de vertu ont quelquefois leurs parts d’ombre qu’il est bon de rappeler. Alors, éditorial ou billet d’humeur, revenons donc sur ce derby d’Italia.
Non pas pour commenter le score, le terrain a délivré un verdict aussi cristallin que la passe de Pirlo pour Lichtsteiner. Pas plus pour évoquer les penaltys non sifflés sur Chiellini et Llorente, la tentative d’amputation de Vidal ou les destins croisés de Vucinic et Guarin. Bien sur l’épique conférence de presse de Mazzarri aurait mérité une exégèse soignée et après avoir entendu Mister Walter on ne peut qu’avoir une pensée affectueuse pour Hernanes et se dire que le staff de l’Inter aurait probablement dû embaucher un exorciste plutôt qu’un « prophète ».
Mais rien de tout cela ne rend exceptionnel ce « derby d’Italia »‘. Et pourtant il l’a été, non pas tant par le match en lui-même que par la semaine qui l’a précédé. Ce qui restera, ce qui me restera, c’est une absence, un vide, un sentiment de manque, vague, indéfini qui m’a taraudé les jours précédant le match. Il manquait quelque chose au déroulé habituel, il manquait un élément de l’ambiance d’avant match, un ingrédient pour que la pression sur les équipes, l’atmosphère entre les « tifoserie » soient conformes à la tradition, au moins la tradition récente.
Alors quoi ? Que pouvait-il bien me manquer en ces heures ante « derby d’Italia » ? Un homme bien sur, mais plus encore, un symbole, un symbole de l »Inter dont l’absence dans les médias provoquait le sentiment de manque évoqué plus haut. Moratti peut-être ? Même pas. Le nouveau président de l’Internazionale s’est tout de suite mis au niveau, avec sa gouvernance par delà 10.000 kilomètres de mer et de désert, son Ventola panthéonisé, son fils juventino et tout dernièrement ses sms.
Gigi Simoni, omniprésent les semaines d’avant derby depuis 15 ans est cette fois passé aux oubliettes.
Luigi Simoni bien sûr… Porté disparu le Gigi. D’habitude, deux fois par an, aussi inévitable que les citations latines de Lotito, Gigi Simoni, le mythique entraîneur de l’Inter saison 1997/1998 se répand dans les médias italiens pendant une semaine, expliquant sur tous les tons le Scudetto volé, envolé, subtilisé par la Juventus. Ces interviews copier/coller où revient en boucle une action une seule, d’un match un seul, lors d’un championnat que les moins de seize ans ne peuvent pas connaître, étaient devenues une habitude, un rendez-vous. L’univers entier a entendu parler au moins une fois de cette confrontation improbable, Iuliano et Ronaldo, le tâcheron opposé au génie, l’obscur charcuteur des surfaces contre le ballon d’or, bref le méchant contre le gentil.
C’était vendeur et cela aurait dû le rester mais pas de Simoni en 2014 ou presque pas si l’on compte pour du beurre son passage sur une obscure télé lombarde. Une page se tourne donc, une époque prend fin et personne ne semble le remarquer ou le regretter. Nous n’entendrons plus Gigi et ses ouailles expliquer, pendant que le ralenti du scandale passe en boucle, que ce penalty évident, mérité, indiscutable valait la saison entière et le Scudetto avec.
Et ce, même si le score à ce moment était de 1 à 0. Pour la Juventus.
Et ce, même si nous n’avons jamais, eu l’occasion de lire, entendre ou voir ces deux actions, mises en perspective ou comparées. Deux actions de la même saison avec les mêmes équipes :
Ici le scandale scandaleux :
Ici un simple fait de jeu oublié :
Alors ? Alors Simoni une dernière fois, mais différemment.
Puisqu’il semble que Gigi Simoni ait été définitivement renvoyé dans les oubliettes réservées aux entraîneurs oubliables, pourquoi ne pas signaler une facette méconnue du personnage symbole des injustices que les malheureux « onesti » ont eu à subir de la part des voleurs piémontais ? Pour ceux qui l’ignorent, Luigi Simoni n’est pas apparu par génération spontanée, dans son survêtement d’entraîneur tout exprès pour le championnat 1997-1998. Né en 1939, il a classiquement été joueur, y compris brièvement à la Juventus de Turin, avant de devenir entraîneur.
Le 27 mars 1983, Gigi Simoni officie sur le banc du Genoa qui affronte l’Internazionale.
Les deux équipes ont besoin de points, l’une pour s’éloigner des relégables, l’autre pour coller à la zone des européens. L’Inter ouvre le score par le champion du monde, le grand Alessandro Altobelli. Le Genoa revient une fois, puis deux après un nouvel avantage des Milanais. On est à la 75ème minute et plus rien ne se passe, les équipes jouent à la passe à dix. Mais à la 87ème, Bagni inscrit le but du 3-2 pour l’Inter. Un but qu’il célèbre en solitaire, sans qu’un seul de ses coéquipiers ne s’approche de lui. Le public ne comprend pas, les journalistes ne comprennent pas, du moins jusqu’aux déclarations du directeur sportif génois, Giorgio Vitali :
« Les dirigeants de l’Inter doivent savoir quelles merdes sont leurs joueurs sur le plan humain. On ne fait pas ces choses à 5 minutes de la fin du match ! »
Si certains pouvaient avoir des doutes, les propos de l’avant-centre du Genoa sont sans équivoque :
« A l’évidence, quelqu’un n’a pas été avisé… ».
Pendant plusieurs jours, tous les journaux parlent de l’affaire sans beaucoup d’éléments supplémentaires jusqu’à ce que le 9 avril, le journal lombard Il Giorno ne publie de nouveaux faits comme le témoignage d’un joueur de l’Inter, le Brésilien Juary sur la vie agitée du vestiaire depuis le match, ou encore les propos dans un restaurant de Somma, attaquant du Genoa, rapportés par plusieurs personnes. Celui-ci dit avoir vu et entendu l’attaquant de l’Inter Simonetta, demander à Gigi Simoni, l’entraîneur de l’équipe adverse qui venait de faire rentrer un jeune joueur : « Le jeune est au courant ? » (il ragazzino è informato ?).
Le 10 mai, la justice sportive lance des convocations mais à l’audience du 2 juin, tout le monde se rétracte. Le procureur ne requiert pas de sanctions et les deux clubs sont absous pour « insuffisance de preuves ». Le recours du Cagliari, relégué en B au terme de la saison et qui se sent le cocu de l’histoire n’y change rien.
Sauf que… Sauf que la justice civile enquête déjà depuis des semaines sur des paris clandestins et de matchs truqués, que des auditions et des perquisitions sont menées et que sont saisis entre autres documents les photocopies d’une comptabilité clandestine où sont spécifiés en toutes lettres les montants des paris et paiements de nombreux matches. Parmi ceux-ci le Genoa-Inter du 27 mars.
Avec de tels éléments, on s’attend à une accélération de l’enquête, à des auditions en rafales, des arrestations, des inculpations. Non, rien. Plus rien. Enfin si, le juge en charge de l’affaire est dessaisi et remplacé. Des paris clandestins et des matches arrangés, l’année suivant un titre de champion du monde, le « Totonero » encore dans toutes les mémoires c’était probablement inacceptable pour l’image du Calcio. On n’obtiendra plus aucun résultat jusqu’en 1989 où l’affaire sera close. On parlera de l’implication d’un ministre, par ailleurs père de l’avocat du Genoa, on glosera sur la mise à la retraite d’office du responsable de l’enquête mais quoi qu’il en soit, et ce mot en fera sourire certains esprits pervers, la justice sportive avait déjà enregistré la prescription des faits.
Alors dommage.
Dommage que personne n’ait demandé à Gigi Simoni, juste pour savoir, lorsqu’on le sortait de la naphtaline chaque année, de 1999 à aujourd’hui, entre deux questions sur son Scudetto perdu, si oui ou non, « le jeune était au courant ».