Le Beleştepe soutient le Beşiktaş, le « club du peuple » d’Istanbul. Les lignes directrices du groupe de supporters : s’élever contre l’industrie du foot et défendre les opprimés. Pas simple actuellement en Turquie, où intellectuels, jeunes, supporters font les frais de la politique du président Erdoğan. Plus politisés encore que le groupe dont ils sont issus, les Çarşı, Beleştepe oriente son discours contre les violences policières et défend les marginaux. Rencontre avec M. Ali du Beleştepe, qui a accepté de revenir pour nous sur la situation des ultras en Turquie, le mouvement Gezi et la répression du président Erdoğan.
Bien loin des saluts militaires de l’équipe turque, les ultras du Beleştepe sont opposés au gouvernement, comme beaucoup d’ultras en Turquie. Fondé en 2010, le groupe de supporters rassemble des hommes et femmes, étudiants ou ouvriers, majoritairement politisés, éparpillés entre Istanbul, Izmir et Ankara. Ils supportent le club du quartier populaire Beşiktaş. Le nom Beleştepe signifie « colline gratuite ». Située aux abords du stade Inönü, cette colline permettait aux supporters fauchés et modestes du Beşiktaş de voir les matchs gratuitement depuis son sommet.
https://www.youtube.com/watch?v=5Wo3jo1hwnI&fbclid=IwAR2gdwsWwj1pzQq-IfYjlvzLrjxoRwKfs1wn3hehth7z49h7IH4S9bHe13k
Lié au grand groupe de supporters Çarşı, leur maison-mère, Beleştepe est encore plus politisé : « On voulait présenter des idées plus à gauche que Çarşı. Ils sont déjà bien connus pour leur positionnement politique, mais surtout en réaction à l’oppression accrue du gouvernement envers toutes les parties de la société. Çarşı est vraiment devenu l’un des plus gros groupes d’opposition au gouvernement. »
Défendre les opprimés
La « colline gratuite », tout un symbole pour le groupe. Beleştepe se place du côté des « travailleurs, des démunis, ceux qui ne sont pas représentés ». Ils sont tout naturellement présent lors des marches du 1 mai, jour de célébration des travailleurs. Sur les pochoirs du groupe, on trouve la silhouette du joueur croate Slaven Bilić, icône et symbole du Beşiktaş. Sa vocation est aussi de : « soutenir ceux qui sont victimes d’injustice, ceux qui ont raison mais se font broyés par les persécutions d’Etat », et plus globalement « être contre l’injustice ».
Côté tribune, pas de tifo décoratif aux couleurs pétantes. L’enjeu est ailleurs. Les banderoles sont principalement manuscrites, en noir et blanc avec une touche de rouge, aux couleurs si pures du Beşiktaş. Les lettres sont en majuscules et bien lisibles. Elles reprennent par exemple les vers d’Enver Gôkçe, poète emprisonné et mort sous la torture à cause de ses idées de gauche « Nous te saluons la grande résistance, dont nul n’arrive à venir à bout, ni l’oppression, ni leurs chaînes ».
Autre moyen de supporter des ultras du Beşiktaş, le chant : « Un des chants les plus importants qu’on ait fait c’était une chanson pour Berkin Elvan, un jeune qui est tombé dans le coma à cause des gaz lancés par la police turque durant les protestations de Gezi. Il avait 14 ans, et il en est mort ». Le mouvement de Gezi en 2013 est un épisode majeur en Turquie. Pour résumer, c’est une vague de soulèvements énormes en soutien à un petit groupe d’étudiants militants écologistes qui se sont assis dans un parc, nommé Gezi, pour contester le projet de destruction du parc. Victimes de répression et de violences policières, de nombreuses personnes sont venues les soutenir, parmi lesquelles les supporters de foot, plus habitués aux confrontations avec les forces de l’ordre « Les supporters du Beşiktaş ont été des acteurs importants des protestations de Gezi. Juste avant Gezi, avant chaque match on était en confrontation avec les forces de la police », se souvient M. Ali. Il reprend : « Le parc de Gezi et notre stade sont très proches. Du coup, durant la construction du nouveau stade (le stade Inönü est détruit en 2013, remplacé par la Vodafone Arena, ndlr), pas mal de supporters du Beşiktaş ont soutenu les militants du parc. Les plus gros affrontements ont eu lieu entre le parc Gezi et le stade en construction. Des supporters du Beşiktaş ont pris des véhicules du chantier pour les utiliser contre la police et créer des barricades. »
Lors de ces manifestations, il y a eu plusieurs morts parmi les jeunes manifestants. Les ultras du Beleştepe ne cessent de leur rendre hommage, par exemple sur leur écharpe ou apparaissent les portraits des disparus avec l’inscription : « C’est sûr qu’ils savent quelque chose ces enfants. Pas facile d’accepter la mort à cet âge ».
« Terroristes » : censure et répression d’Erdoğan
Entre Erdoğan et les supporters, la tension ne fait que s’intensifier. Ça passe moyen quand Beleştepe soutient en tribune un enseignant et un universitaire en grève de la faim en 2017 : « On a mis une banderole pour les soutenir. Après ça, c’est devenu énorme. Tous les médias pro-gouvernementaux nous ont traité de « terroristes ». Les gars qui tenaient la banderole ont été mis en prison plus d’un mois » La liberté d’expression est attaquée. « Avant on pouvait dire des choses dans le stade, maintenant on ne peut plus. On peut mettre des choses complexes qu’ils ne comprendraient pas, mais rien d’évident. Sinon tu peux te retrouver en prison ».
Le Président turc a les supporters en ligne de mire. « Toutes les bâches ou chants politiques sont fortement surveillés par le régime. Et on a une nouvelle loi dans le sport, surtout faite pour les supporters de foot. À cause de ce nouvel acte, appelé 6222, ceux qui ne se s’y soumettent pas peuvent être interdits de stade et aller en prison ».
Parfois jusqu’à l’absurde. « La dernière fois on a fait une grande banderole, collectivement. Une banderole vraiment énorme. C’était écrit cette phrase inspirée du Che, « Hasta la victoria siempre »… Ils nous ont interdit de la rentrer dans le stade. C’était même pas politique. Ça devient vraiment ridicule parfois. ».
Carte de crédit vs colline gratuite
Le stade Inönü est rasé en 2013 pour laisser place à la flambante neuve Vodafone Arena en 2016. Ce chantier, comme d’autres touchant le foot en Turquie, entendent servir le projet nationaliste via le foot. « Le nouveau stade a été construit sur l’ancien emplacement. On a lutté pour conserver ce lieu, ce qui était super compliqué à cause des millions d’euros investis. On voulait le conserver mais on a perdu beaucoup d’avantages de l’ancien stade, ou on avait par exemple battu le record de décibels dans un stade ».
La « colline gratuite », pilier de l’identité du groupe, ne permet plus de voir les matchs gratuitement. Les prix augmentent, amenant une gentrification des stades. « Le nouveau stade a d’autres attentes et demandes, et surtout un autre type de supporters. La plupart des gens qui viennent aujourd’hui au stade s’attendent à être traités comme des consommateurs. Ils payent une fortune et s’attendent à être divertis, à voir un spectacle et à gagner à chaque coup. »
En effet, neuf mois après Gezi, le système d’abonnement « Passolig » est mis en place dans toute la Turquie, imposant l’achat de tout billet pour le stade sous la forme d’un e-billet mis sur une carte de crédit. « Les nouveaux prix du billet et l’application e-ticket a vraiment tout rendu très compliqué et beaucoup plus cher. Avant on échangeait des abos, on achetait des tickets de groupe à un emplacement où on pouvait tous aller…Mais maintenant c’est impossible. Les tickets sont nominatifs, on ne peut pas les prêter à quelqu’un d’autre ». Mais il y a pire : « Chaque supporter doit avoir un compte en banque et une carte bancaire pour entrer dans le stade. Cette carte doit venir d’une banque turque qui appartient à la famille du ministre de l’Economie, qui est aussi le mari de la fille du président de la Turquie, Erdoğan ». Forcément une aberration pour les supporters qui sont contre l’hyper-marchandisation du foot. Pour M. Ali, « Ils ont fait [d’eux] des esclaves de la banque ». Et des citoyens contrôlés grâce à ce système de vente électronique de billets. Les étrangers ne peuvent plus entrer dans le stade. Si les supporters l’ouvrent un peu trop malgré l’interdiction, les micros sont éteints dans le stade pour leur couper la chique. Comme les matchs sont retransmis par Digiturk, la chaîne du beau-fils du président, c’est plutôt pratique.
Une bonne moitié des ultras du Beleştepe refuse de se plier aux règles pro-business imposées par le président turc. « Depuis qu’on a les e-tickets et notre nom dessus, il y a eu une énorme augmentation du prix des billets et plus d’oppression dans les stades. Nos membres sont plutôt pauvres, du coup depuis environ deux ans on supporte principalement l’équipe féminine. La ligue féminine est la seule qui ne dépend pas de la Passolig, donc où il n’y a pas d’e-ticket ». La banderole Beleştepe n’est plus exhibée qu’en dehors du stade. Le discours continue dans la rue, ou dans une revue qu’ils éditent.
Pour contrer la Passolig, ce système d’abonnement avec une carte visa, les ultras de divers groupes ont fondé la Karsilig (signifie « contre ligue », ndr) : « Karsilig est une organisation qui promeut la participation de groupes alternatifs aux matchs de foot. C’est centré sur la participation des femmes, c’est pourquoi chaque week-end on a des groupes mixes. Chaque équipe est constituée de 7 joueurs, dont au moins 3 femmes »
La condition des femmes est une de leurs valeurs essentielles qu’ils défendent, et qu’ils ont rassemblé dans un manifeste. Ils sont aussi contre la guerre, et ne se reconnaissent pas dans l’équipe nationale. Ils participent à des actions en faveur des migrants, supportent la Palestine libre. Ils ont participé au tournoi antifa organisé par Sankt Pauli à Hambourg (Allemagne). Leur lutte rappelle bien sûr celle de pas mal de groupes européens, avec qui ils sont étroitement liés.
Les Ultras Beleştepe défient la répression de leur gouvernement et refusent de se plier au délire mercantile des autorités de leur pays. Pour rester fidèles à leurs valeurs, ils trouvent des voix alternatives. Un modèle pour le foot et les groupes de supporters.
Merci infiniment à M.A.
& à Mehmet (France)
Parles des gilets jaunes et de la grève national au lieu de te mêler des affaires d’autres pays dont tu n’en connais rien.
L’article est bien tourné, pas de prise de position, juste des propos relayé d’une interview… Donc expliques nous puisque tu laisse sous entendre que tu connais… Je doute fortement que tu fasses partie d’un groupe d’ultra. Eclaire nous de tes lumières…