À trente ans, Damien Della Santa a déjà connu beaucoup de choses. Ancien gardien de but amateur, il a commencé à entraîner dès l’âge de 14 ans, a ensuite créé et dirigé la section féminine de l’Avant-Garde Caennaise à 18 ans tout en étant adjoint de l’équipe réserve et des U19 Nationaux du SM Caen. Puis le voilà devenu l’entraîneur principal de l’US Chevrières-Grandfresnoy, qu’il a fait monter de R2 à R1. Après avoir étudié la périodisation tactique, méthodologie d’entraînement imaginée par le Portugais Vitor Frade, le jeune homme a découvert la pédagogie des préférences motrices et cognitives qu’il amène aujourd’hui dans des clubs européens, des sélections et au sein de la cellule attaquants de la FFF. Rencontre.
Damien, parlons du métier d’entraîneur. Est-ce une vocation ?
Clairement. Car quelles que soient les fonctions que j’ai exercées dans ma vie, CPE, professeur d’université, assistant d’éducation, partout le fil conducteur était d’aider les autres. Ma vision c’est vraiment d’aider les gens à exprimer tout leur potentiel. Donc, même avec mes amis proches par exemple, ma passion c’est de les tirer vers le haut constamment.
Je travaille dans un lycée professionnel compliqué, il y a des jeunes qui sont complètement perdus, qui n’ont pas confiance en eux. Ici le but c’est de leur donner de l’ambition dans la vie, de la motivation, en l’occurrence par l’école. Au football, c’est la même chose. Tu entraînes des équipes pour qu’il y ait de la performance, qu’elle progresse, qu’elle obtienne des résultats, que les joueurs s’accomplissent et jouent à leur niveau maximum. C’est très proche donc depuis très tôt, à mes dix-huit ou dix-neuf ans, je savais que je voulais entraîner.
Maintenant je sais aussi que c’est un métier que l’on envisage généralement – même si les choses changent un peu en ce moment – vers trente-trois, trente-quatre ans, après une carrière de joueur. Ce que je n’ai pas eu. Donc j’ai toujours su que j’aurai certaines choses en moins du fait de ne pas avoir joué au haut niveau, mais très tôt j’ai été apprendre avec la réserve professionnelle de Caen : écouter les joueurs, discuter avec eux, savoir ce qu’ils ressentent, connaître leurs interrogations, connaître ce qui est intéressant pour eux. Et je continue encore.
Cela a été difficile d’aller vers le coaching à un âge où ses anciens partenaires lancent seulement leur carrière de joueur ?
Je vais peut-être être surprenant mais finalement cela a été plutôt vite pour moi. Et dès lors que les coachs ont pris la peine de m’écouter, en Ligue 1, Ligue 2 ou à l’étranger, j’ai senti chez eux beaucoup de respect, d’humilité et l’envie de partager. Je m’y suis habitué mais au début j’étais très surpris d’échanger, non pas d’égal à égal, mais comme un pair avec des personnes qui ont de l’expérience, eu une carrière fantastique, un palmarès. Au quotidien, je reçois un accueil très bienveillant de la part des coachs que je rencontre. En tout cas au haut niveau, j’ai un contact privilégié avec les joueurs et les entraîneurs car quasiment tous les week-ends je suis en club. Du coup même si je ne n’ai pas vécu une carrière de joueur, j’arrive à comprendre les problématiques, à avoir une image assez concrète du milieu. En clair, ma vision a été de me dire : ‘J’ai entre dix et quinze ans devant moi pour me construire en tant qu’entraîneur’. C’est ce qui explique que j’ai étudié et creusé pleins de champs : la tactique, la périodisation tactique, les préférences motrices et cognitives, le management. Je me construis et je vais continuer à me construire pour que je puisse un jour m’exprimer en tant qu’entraîneur. Et pas forcément entraîneur principal.
Justement, lors de vos expériences en tant qu’entraîneur principal, comment jouaient vos équipes ?
Je suis quelqu’un d’assez ‘pragmatique’. Mon objectif est de toujours déceler les forces de mon effectif et de construire un modèle de jeu qui est en résonance avec cela. Je veux que chacun de mes joueurs soient exactement sur leurs points forts. J’essaye de m’adapter à mes joueurs, leur état de forme et leurs aspirations. Je ne fais pas partie de ces théoriciens du jeu. C’est sympa quand t’es entraîneur de vouloir jouer comme telle ou telle équipe ou de vouloir appliquer telle ou telle idée, maintenant si ton joueur ne veut pas défendre et que t’as besoin de lui, et bien tu joues avec un joueur qui ne veut pas défendre. Ou alors tu n’optimises pas ton club. J’essaye à chaque fois de faire au mieux avec les joueurs que j’ai à disposition. Si j’ai des défenseurs qui ne vont pas vite, je ne vais pas jouer haut, si j’ai deux super attaquants, je joue à deux attaquants, si j’ai un très bon dribbleur je vais chercher à le mettre en situation d’un contre un. Dans mon dernier club, le gardien avait un jeu au pied exceptionnel, alors on réalisait la sortie de balle depuis l’arrière. Mais si l’on prend le point commun de toutes mes équipes, c’est qu’elles sont très organisées sur le plan tactique car c’est très important pour moi, avec beaucoup d’importance sur les contre-attaques et les coups de pieds arrêtés car statistiquement c’est les situations où les buts sont les plus marqués.
Un joueur progresse sur le terrain. Et un entraîneur ?
Un entraîneur il progresse tout le temps. Parce que, aujourd’hui, pour moi les axes de progression sont à deux échelles. L’entraîneur a besoin de connaissances théoriques qui sont fondamentales et qui vont alimenter sa réflexion. Mais Albert Einstein disait : « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information ». Et je pense que l’entraîneur progresse quand il aura le savoir théorique et qu’il l’aura réinvesti. Et aujourd’hui, il le fait à tout moment. Car l’entraîneur est entraîneur mais fait aussi de tout : psychologue, conseiller conjugal, conseiller du président sur l’utilisation du matériel, sur la communication, sur le marketing. C’est un chef de projet généraliste. Il y a aussi par les retours de tes joueurs ou joueuses. J’ai eu la chance de travailler dans le football féminin et le public étant très exigeant, tu ne peux que progresser chaque jour de travail car sinon elles te le font directement savoir. L’entraîneur a besoin de compétences transversales qu’il met en pratique tout le temps. Donc je pense qu’il progresse constamment. Même quand il perd.
Aujourd’hui, en quel entraîneur vous retrouvez-vous le plus ?
Aujourd’hui, j’ai un peu de mal à me retrouver dans un entraîneur. Pour des biais cognitifs car si l’on ne voit que dans une personne, on fait des erreurs. La première personne qui m’a beaucoup inspiré c’était José Mourinho, pour la simple raison qu’il gagnait. Au niveau du jeu, malgré tout, même si le rendu peut être différent, c’est une personne que j’ai regardée. Après, comme beaucoup de monde j’ai été interpellé par Guardiola, par Klopp, par Bielsa. Ancelotti aussi. J’ai étudié le jeu de chacun et leurs méthodes de management. Mais ce que j’ai appris de mes dernières expériences ces dernières années, c’est qu’il faut être soi-même. Là-dessus, Oscar Wilde disait : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris ». Et l’erreur que j’ai réalisée et dont je pense que je ne suis pas le seul, c’est de vouloir imiter d’autres coachs. C’est ça le vrai challenge d’un entraîneur : piquer des idées à droite et à gauche bien sûr, mais il faut avoir sa philosophie et être soi-même. Je pense d’ailleurs avoir fait du chemin dans ce sens, celui d’avoir mon style à moi.
Et c’est quoi la patte Della Santa ?
J’essaye d’avoir un leadership qui n’est pas directif mais le challenge est d’être tout de même exigeant. Je passe par la responsabilisation, un management d’implication, en étant très proche de mes joueurs ou joueuses. Je m’appuie beaucoup sur le concept de l’égalité des personnes et la hiérarchie des fonctions. D’autant plus que pour la plupart de mes joueurs ou joueuses, j’ai approximativement le même âge qu’eux donc je ne peux pas me permettre d’avoir un leadership directif. Ce sont ça les deux choses qui ressortent : la proximité humaine et l’adaptation tactique pour les faire jouer sur leurs forces. Une autre chose aussi, c’est de faire comprendre que tout est possible. D’ailleurs c’est un hashtag que j’utilise sur toutes mes publications. Depuis le début que j’entraîne, j’ai toujours dit ça, on me prenait pour un fou et au final j’ai convaincu tout le monde. J’étais dans un club où lorsque je suis arrivé, les filles n’avaient pas le droit de s’entraîner sur le terrain et devaient s’entraîner sur un champ à côté avec des ballons pourris. J’ai dit un jour : ‘On ira en National’. Je suis passé pour un fou. Je pense d’ailleurs que la maladie du siècle, c’est l’estime de soi et les personnes se mettent d’énormes croyances limitantes. Mon rôle en tant qu’entraîneur, ce n’est pas de parler de 4-4-2 ou 4-3-3, c’est justement de convaincre les joueurs de pousser leurs limites, de les convaincre que tout est possible en les emmenant au maximum de leur niveau. Au final, toute une section s’est développée et on a gagné 16 titres lors de ma dernière saison au club.
Comment savoir si on est un bon entraîneur ?
Luis Fernandez a dit : ‘En compétition, il y a toujours un premier et un dernier, mais l’important est de ne pas être le second de soi-même.’ C’est ça l’important, être soi-même. Aujourd’hui, je pense que l’on se trompe. C’est-à-dire que l’on juge un entraîneur selon son savoir théorique mais pour moi le bon entraîneur c’est celui qui s’adapte complètement au contexte, qui a parfaitement compris les attentes de son club, de ses joueurs et de ce qu’il a besoin de mettre en place. Tu peux être une bibliothèque, être Mourinho ou n’importe qui, si demain tu arrives dans un club et tu as des exigences élevées mais que tes joueurs peuvent donner seulement 20% de cela, ça ne fonctionnera pas.
Vous avez écrit un livre sur la construction d’un projet de jeu avec le magazine Vestiaires. Combien de temps faut-il pour le mettre en place ?
Dix minutes. Un projet de jeu c’est la manière dont tu projettes comment ton équipe va jouer. Dès lors que tu l’entraînes, que tu donnes ne serait-ce qu’une consigne, tu commences à construire ton modèle de jeu. Cela m’est arrivé, par exemple à la sélection universitaire à Caen, de ne pas avoir de temps pour travailler mais de disposer de bons joueurs de football. Et du moment que tu es capable de leurs donner une organisation quand tu as le ballon et une organisation quand tu ne l’as pas, une manière de réagir sur les transitions offensives et défensives, sur les pertes de balles, et de se placer sur les coups de pieds arrêtés, ton équipe à une identité, un projet de jeu partagé par les joueurs. Maintenant, entre le mettre en place, ça prend dix minutes et que les joueurs l’intègrent entièrement, c’est infini. Puisque le projet de jeu c’est un idéal. Que tu n’atteindras jamais d’ailleurs. Il y a toujours des exceptions, des choses mal lues ou mal interprétées. Je lisais récemment que Guardiola avait taillé ses joueurs car Manchester City a gagné 3-1 mais il voulait en mettre six. Ça montre qu’au-delà de l’aspect communication et management, qu’à un moment donné il n’a pas produit le jeu qu’il voulait atteindre.
« L’apprentissage différentiel va apprendre au corps à s’adapter à toutes les situations possibles »
Pepijn Lijnders disait récemment avoir été très influencé par la périodisation tactique. Comment la définir ?
La périodisation tactique est une méthodologie d’entrainement dont le prisme d’observation est l’aspect tactique et le modèle de jeu. À la différence de la méthode intégrée, où l’on fait notre répartition athlétique : semaine forte, semaine faible, puissance, endurance, force, vitesse. Et par rapport à ce schéma, on fixe des exercices avec ballon. Ça c’est l’entraînement intégré. Mais dans cette méthodologie, ce qui guide la répartition dans le temps, le processus c’est l’athlétique. Alors que dans la périodisation tactique, c’est le tactique que l’on répartit. Par exemple, je dis ça au hasard, lundi je fais ça, mardi je fais mon pressing, mercredi je fais ma sortie de balle, jeudi je fais mes trente derniers mètres et vendredi je fais mon bloc bas. Par rapport à d’autres méthodes un peu plus anciennes, il n’y a pas de séparation. À chaque fois, même quand on va parler d’athlétique, on va parler de ‘dominante athlétique’. Mais tu travailles tous les autres aspects. J’aime la question de Vitor Frade, le fondateur de cette méthodologie, afin de savoir si ton exercice est bon. C’est de te demander : ‘Est-ce que tu vois ce que tu cherches ?’. Si tu vois beaucoup de centres et que tu travailles les centres, c’est bon. Si tu penses qu’il y en a un petit peu, tu es un petit peu bon. Si tu en vois énormément, c’est que tu es très bon.
Je suis en incapacité d’appliquer parfaitement cette méthodologie car parfois la réalité d’exercice est différente, d’ailleurs elle prend en compte beaucoup de contextes d’exercices et d’évolutions. On est en France, avec des joueurs français, ce n’est pas impossible mais très difficile d’être un puriste et de ne faire que ça. Mais en même temps, est-ce que c’est vraiment important ? J’ai appris de la périodisation tactique, que ce soit la tactique qui guide mon processus d’entraînement. C’est-à-dire que dans toute ma semaine, tous mes exercices sont construits en fonction du match du week-end, du match dernier, des joueurs qui vont jouer et les messages que je veux faire passer. C’est déjà beaucoup. Après l’important est-ce de se rapprocher d’une méthodologie que l’on applique parfaitement ? Ou est-ce que l’important est d’utiliser toute la boite à savoirs que l’on a et en faire bon usage en fonction du contexte ? Aujourd’hui, il y a des joueurs amateurs et même des professionnels français, s’ils n’ont pas un fractionné à l’entraînement, ils ne vont pas bien.
Elle est marginale dans le football français…
Oui, mais elle est marginale dans le sens où elle est méconnue. Aujourd’hui beaucoup confondent la périodisation tactique et l’entraînement intégré. Certains disent qu’ils en font mais n’en font pas.
Thomas Tuchel, lui, dit avoir été très influencé par les techniques d’apprentissage différentiel.
Oui. Et Jürgen Klopp aussi. C’est d’ailleurs lui le premier entraîneur à les utiliser. Car lorsqu’il était entraîneur de Mayence, il a connu le professeur Wolfgang Schöllhorn, chercheur en sciences du sport à l’université Johannes Gutenberg de Mayence. Sa pédagogie d’apprentissage différentiel est révolutionnaire. Elle défend l’idée qu’on ne fait jamais le même geste deux fois exactement. Ils ont prouvé que même en marche, on ne le fait jamais. Donc au football, on va prendre l’exemple d’une frappe de balle : Est-ce que le ballon est au millimètre près au même endroit ? Est-ce que l’herbe est à la même hauteur ? Est-ce que le ballon est gonflé de la même manière ? Est-ce que la chaussure est la même ? Quelles sont les conditions météorologiques ? Tous ces critères font que le geste demandé est forcément différent. Et nous entraîneur, lorsque l’on entraîne dans une méthode d’entraînement classique, on cherche à répéter le geste parfait ? Mais si l’on prend cette situation dans des critères très précis, sa probabilité de se reproduire exactement de la même manière est de zéro.
Donc l’idée de l’apprentissage différentiel est de voir les choses autrement. Plutôt que de chercher un geste, on va apprendre au corps de s’adapter à toutes les situations possibles. Plutôt que de créer et chercher un cheminement nerveux et neuronal, on va en créer plein et entraîner le corps à avoir une intelligence d’adaptation au contexte. L’apprentissage différentiel, ce n’est pas d’entraîner le joueur à répéter un geste mais d’apprendre au joueur de répondre à une infinité de situations différentes. Ensuite, il y a toute une méthode d’entraînement, des exercices comme l’exemple assez connu de l’exercice de Thomas Tuchel : plutôt que de dire à ses joueurs d’arrêter de tirer les maillots adverses, ce qui amène à des penaltys, leur à retiré les mains à l’entrainement. Il leur a mis deux balles de tennis dans chaque main, donc les joueurs étaient en incapacité de s’attacher aux maillots des rivaux et donc devaient créer d’autres solutions motrices de défendre sans les mains.
C’est un exercice vécu à haut niveau de la pédagogie de l’apprentissage différentiel. Je trouve cela fantastique pour l’apprentissage technique. C’est-à-dire qu’aujourd’hui dans mon travail, cela va à une vitesse remarquable. C’est un vrai changement de paradigme. C’est une philosophie complètement opposée qui n’est pas rassurante pour l’entraîneur au départ car il a l’impression de ne pas maîtriser les choses. Car aujourd’hui en France, la compétence d’entraîneur tu ne la fondes pas de prime abord parce qu’à la fin de ton intervention le joueur maîtrise tel geste technique. Aujourd’hui, la notoriété d’entraineur se fonde sur la qualité des critères de réalisation que tu vas donner. L’apprentissage différentiel rentre dans un apprentissage écologique. Et comme la périodisation, ça ne veut pas dire que je n’utilise que cette méthode. Mais c’est un outil fantastique supplémentaire.
Au-delà du métier d’entraîneur, vous êtes spécialisé dans les préférences motrices et cognitives. En quoi cela consiste-t-il ?
Les préférences motrices et cognitives sont issues de l’approche ActionTypes®. Et, il y a l’idée de prendre conscience que nous ne sommes pas tous construits de la même manière. Aujourd’hui, dans tous les métiers, il y a la technique modèle : la technique de passe, la technique de communication, la technique de management. Et la question à se poser c’est comment sont fabriqués ces modèles ? En fait, c’est simple : c’est de copier les meilleurs et de l’appliquer à tous. Mais cela marcherait très bien si tout le monde était construit de la même manière. Or ce n’est pas le cas. Les préférences motrices et cognitives, c’est se rendre compte que nous ne sommes pas tous construits de la même manière, que l’on a tous des préférences plus marquées que simplement ‘gaucher’ ou ‘droitier’ mais elles sont inconscientes. Et il y en a une douzaine qui ont une influence sur le football. Ensuite, pour le constat, un joueur peut réussir ou pas dans sa préférence. Comme un joueur peut marquer du second pied. Par contre, quand le joueur fait des choses exceptionnelles, il est tout le temps dans sa préférence. Et surtout, quand le joueur rate quelque chose, il y a de très fortes chances qu’il ne soit pas sur sa préférence.
Un joueur peut-il les découvrir en autonomie ?
Les joueurs appliquent leurs préférences car le corps s’exprime mais ils ne le savent pas tous. C’est surtout les joueurs de plus de trente ans qui se connaissent pas mal et ont déjà remarqué certaines choses quant à leurs préférences. Mais l’idée c’est que quand tu conscientises tes préférences, comme quand le joueur sait qu’il est droitier, qu’il s’arrange pour jouer un peu plus sur son pied droit et qu’à la fin il n’y réfléchit plus, c’est pareil avec les autres préférences : il va automatiser des systèmes d’orientation de corps, de prise d’information, de position, d’équilibrage. Ce qui va faire que tout d’un coup, le joueur sera rudement plus efficace et un meilleur joueur.
Ça se révèle d’autant plus pertinent pour les joueurs des centres de formation, donc ?
Complètement. Je suis persuadé que dans les travaux d’individualisation et de post-formation dans les clubs, c’est un outil remarquable. Mais c’est vrai, depuis peu j’ai été contacté par plusieurs agents de jeunes joueurs de seize à dix-neuf ans de gros clubs dans l’espoir de leur faire gagner du temps. Les joueurs aiment bien ça car il se découvrent et ont l’impression de gagner du temps.
Qu’est-ce que l’approche ActionTypes® ?
L’approche ActionTypes®, c’est l’histoire de deux entraîneurs de volley-ball de niveau international, Bertrand Theraulaz et Ralph Hyppolite, qui se sont rendus compte que deux personnes pouvaient réussir toutes les deux mais ne smashaient pas de la même marnière, que tel joueur à qui on avait demandé de jouer de telle manière, retourne à sa position préférentielle lorsqu’on lui tourne le dos. Mais aussi que lorsque l’on fait un discours à l’équipe, les joueurs ne comprennent pas tous la même chose. Ils ont fait trente ans de recherche en faisant des liens avec les sciences de la biomécanique, neuropsychologique et tout uni sous cette approche des préférences motrices.
En quoi cela aide-t-il le développement d’un joueur ?
Plus précisément, les préférences motrices, en soit, ça ne sert à rien. Demain, tu peux travailler avec un expert mondial des préférences motrices, si l’application spécifique n’est pas bonne, cela ne sert à rien. Les préférences motrices sont un outil. Savoir qu’un joueur croise ou ne croise pas la jambe lors de situation de frappes, c’est inutile. Ce qui est important c’est de savoir comment un entraîneur ou un spécialiste est capable d’utiliser cette connaissance pour que le joueur marque plus de buts. Il faut maîtriser l’application des préférences motrices, en l’occurrence ici dans le football. Il faut que le joueur se dise : ‘D’accord j’ai un œil moteur, mais à quoi ça me sert ? Il faut que je réduise considérablement le nombre de fautes commises en ayant conscience de ça’, là ça devient important et le vrai apport au football est là. C’est le travail que j’ai fait avec la société Axel Conseil depuis trois ans : tisser des liens entre les préférences motrices et surtout leur impact dans le football de haut niveau, dans l’entraînement et le management. Comme la périodisation tactique ou l’apprentissage différentiel, c’est un outil de plus que l’entraîneur doit mobiliser pour résoudre des problèmes, pas le prisme par lequel il doit voit absolument. Car les préférences motrices ne mettent pas en avant qui sont les joueurs, mais comment ils fonctionnent.
Et le cognitif ?
Aujourd’hui, plus de 80% de mes interventions avec des équipes premières professionnelles, ce n’est pas l’aspect moteur qui les intéresse, mais la manière de manager. Une fois de plus, nous n’avons pas le même cerveau, et donc pas les mêmes besoins. Bien souvent, l’entraîneur demande à ses joueurs ce qu’il aimerait faire s’il était joueur. Mais cela ne fonctionne que si les joueurs sont comme toi. Et si les joueurs sont complètement opposés, cela crée de l’incompréhension, du conflit et un message qui ne passe plus. Or aujourd’hui les entraîneurs de haut niveau cherchent surtout à maîtriser la communication avec leur groupe et être impactant avec leurs joueurs. Par exemple, on va profiler les joueurs par des tests physiques sur leur inconscient et on va donner des outils aux entraîneurs. Le rôle ce n’est pas de dire ‘tel joueur est comme ça’ mais plutôt ‘tel joueur à tel besoin. Si tu lui donnes, il va se mettre en route, si ce besoin n’est pas respecté, il y a danger’ car un joueur cherche toujours à assouvir ses besoins. Donc selon la demande des clubs, on aide les joueurs à mieux se connaître mais surtout on forme le staff à connaitre les besoins des joueurs afin de les mettre dans les meilleures conditions.
Si vous deviez quantifier l’aspect moteur et cognitif…
Aujourd’hui dans le football de haut niveau et notamment dans les équipes seniors, l’impact cérébral est prédominant. Ce que j’utilise le plus lorsque j’entraîne une équipe, c’est l’aspect management. À 70% et 30% l’aspect moteur.
C’est la perfectibilité non pas de l’Homme, théorie de Rousseau du siècle des Lumières, mais du joueur de football ?
Même les top joueurs, type Cavani, Agüero, Cristiano Ronaldo, ont des grands ratés. En plus, pour eux, c’est la même cause : c’est une préférence motrice qu’ils n’ont pas connaissance ou qui n’est pas respectée. Et dans des gros matchs type Manchester City-Liverpool, de Paris en Ligue des champions, un raté peut avoir un enjeu énorme. Donc selon moi, ça ouvre un nouveau champ des possibles. Et puis en tant qu’entraîneur, ça permet d’être plus exigeant. Car en prenant le temps de mettre les joueurs dans le confort, de leur donner davantage, tu peux d’autoriser d’être plus exigeant et d’en attendre plus, notamment d’être performant.
Avez-vous déjà retrouvé cette notion de perfectibilité chez un joueur ?
Non, jamais. Enfin, si. En amateur, car les joueurs croient qu’ils sont parfaits (rires). Sérieusement, j’ai vu des joueurs qui m’ont vraiment impressionné, qui étaient exceptionnels. Je ne peux pas parler de ceux avec qui j’ai travaillé mais déjà à l’époque lorsque j’étais dans le groupe d’entraînement de la réserve de Caen, il y avait M’Baye Niang, Raphaël Guerreiro, Thomas Lemar, Pierre-Alain Frau, Thomas Heurtaux, Jérémy Sorbon, et même Benjamin Nivet… Techniquement c’était dingue. Le premier notamment, il savait tout faire. Ils sont ou étaient tous impressionnants mais largement perfectibles. Comme d’autres. Chaque week-end, même les meilleurs joueurs du monde ratent des choses.
« Un diplôme va être destiné à des membres de staffs pour une spécialisation d’entraîneur des attaquants et répondre à un constat »
Comment cela s’organise avec les clubs ?
Il y a deux optiques. Soit les clubs m’appellent dans la quête d’optimiser leur manière de manager ou l’entraînement de leurs joueurs. Dans ce cas, lorsque j’arrive, je « scanne » les joueurs via des tests moteurs spécifiques issus de l’approche ActionTypes®. À partir desquels, on est capable de distinguer trente-deux profils moteurs et 192 profils cérébraux. Ainsi, selon les besoins : c’est-à-dire former le staff à comprendre les fiches récapitulatives produites ou mieux s’adapter aux joueurs qui ont un profil différent. Il s’agit du premier versant, lorsque le club est globalement stable et désire passer un cap. Le second est lorsqu’il y a une problématique spécifique : l’équipe encaisse un grand nombre de buts sur coups de pieds arrêtés, un joueur se blesse souvent, un joueur est au fond du trou, un jeune joueur est à envoyer en équipe première rapidement et doit gagner du temps, sur des choses spécifiques. J’interviens comme un support supplémentaire pour proposer des pistes, des nouveaux outils pour que l’entraîneur et le staff puissent mettre en place ce qu’il doit être fait pour que ça fonctionne, toujours en fonction de ses idées, bien sûr, c’est l’essentiel. Ma venue permet d’avoir une grille de lecture des situations différente et un peu plus grande. Il y a aussi beaucoup d’entraineurs des gardiens qui m’appellent pour à la fois renforcer encore plus la relation entre eux et leurs gardiens sachant qu’ils sont déjà très proches et puis aussi optimiser les entraînements sur le plan technique et athlétique.
Dans quelle posture vous placez-vous lorsqu’il s’agit d’observer un exercice technique ?
Le but est que le joueur prenne conscience de ses préférences. Donc le joueur doit apprendre et ce n’est pas en étant directif que je vais l’aider à prendre conscience de telle ou telle chose. On est sur la connaissance de soi, la découverte de soi, alors on se place dans une posture d’accompagnant afin de l’aider dans son cheminement personnel.
Cela aide-t-il le joueur à éviter des blessures ?
Ce qui est évident, c’est qu’un entrainement contre les préférences des joueurs peut générer des blessures. Un joueur qui se blesse régulièrement, ça peut être lié à un déséquilibre de la chaîne musculaire. On a tous une chaîne musculaire dominante ou préférentielle et certains types d’entraînement renforcent plus ou moins certaines chaines. Aujourd’hui, la mode, ce sont les travaux de fréquence et les échelles de rythme. Tout le monde doit en faire car le joueur ne doit pas faire seulement ce qui l’arrange mais s’il possède un profil qui n’en n’a pas nécessairement besoin et en fait à outrance plusieurs fois par semaines, il augmente significativement son risque de blessures.
C’est aussi un nouvel outil d’analyse de l’adversaire…
Oui. Je travaille avec au moins deux clubs de Ligue 1 qui se servent des préférences motrices seulement pour analyser et détecter les faiblesses de l’adversaire. Les préférences individuelles forment finalement des préférences collectives. Par exemple si tu as un latéral droit avec un œil moteur droit et un défenseur axe droit avec un œil moteur gauche, jouer dans l’intervalle central-latéral, c’est jouer sur une vulnérabilité de l’équipe et cela sera plus favorable à l’attaque. Après il y a encore une quantité énorme de critères. Mais indéniablement, c’est un outil supplémentaire qui est déjà utilisé de cette manière dans plusieurs équipes de Ligue 1 et de Premier League. D’autant plus qu’il fonctionne immédiatement…
Vous intervenez aussi au sein de la cellule spécifique attaquant à la FFF.
Mon idée est toujours de faire des liens entre les préférences motrices et la plus-value que leurs applications peuvent avoir dans le football. Et aujourd’hui, ma forte conviction c’est le levier numéro un sur lequel le football peut progresser : ce sont les attaquants. Lorsque l’on regarde la qualité du travail réalisé en France par les entraîneurs des gardiens, les gardiens de buts et que l’on voit le niveau de rendement des premiers, c’est hallucinant. Au final un gardien fait une mauvaise saison quand il fait une boulette dans l’année. Alors que même les meilleurs attaquants, rater des occasions tout à fait accessibles arrive entre tous les dix et quinze matchs. Et concernant ce qu’on appelle les « immanquables », les meilleurs en ratent minimum trois chaque saison. Cette semaine, un ratio sur Icardi est sorti : il a marqué 17 buts sur seulement 39 tirs. Aujourd’hui, il est bien évidemment et de très très loin le recordman d’Europe. J’ai analysé les joueurs qui ont mis plus de cinq buts (sans compter les penaltys) dans les cinq grands championnats, et le ratio efficacité tirs/buts, Cavani se place dixième avec 14 buts sur 45 tirs. Pour Mbappé, 32 buts, fantastique bien sûr mais il a eu besoin de 122 tirs et se classe seizième. À titre informatif, Neymar se classe cinquante deuxième. Messi est 65ème. Ronaldo est 203ème , il lui faut 10 tirs pour marquer.
Bien sûr c’est difficile de comparer des joueurs qui ont fait une saison entière ou d’autre une demi-saison et il y a aussi une question de rendement. C’est intéressant mais c’est selon moi à mettre en perspective. Car ce n’est pas surhumain. On peut voir que même sur ces joueurs, il y a une marge de progression. Je crois beaucoup que dans les staffs, un travail d’accompagnement des attaquants peut permettre d’augmenter très largement les ratios. En gros, les tout meilleurs attaquants c’est un but tous les 4 tirs en moyenne et sinon c’est beaucoup plus. C’est élevé mais il y a une très grande marge. Je pense donc en effet qu’il y a un énorme levier concernant les attaquants. Et aussi un énorme enjeu économique. Quand on observe ce que peut rapporter juste un seul but : un maintien, un titre, une qualification européenne. À chaque fois les enjeux financiers sont énormes. Je pense que l’on ne mesure pas assez la spécificité de ce poste. Je n’ai jamais vu une stratégie complète concernant les attaquants comme on peut l’observer chez les gardiens. Cela va bien au-delà d’un entraînement où il doit réaliser des frappes au buts. Le football à y gagner à mettre en place des travaux d’expertise chez les attaquants. C’est l’angle que j’ai pris lors de mon mémoire de recherche pour obtenir la certification ActionTypes® à partir d’une étude de terrain. J’ai développé pendant deux ans tout un modèle, prêt aujourd’hui, qui permet de mieux comprendre le jeu de l’attaquant, de s’adapter à son profil, d’optimiser ses performances par l’entraînement, le management, la préparation d’avant-match, la lecture des situations jusqu’à que l’attaquant ait une telle connaissance de soi qu’il soit capable de s’adapter au défenseur adverse. J’espère l’utiliser dans des clubs prochainement.
J’ai eu l’occasion de discuter avec Lionel Rouxel, qui partage ce même constat à la direction technique nationale (DTN), lors d’une interview avec le magazine Vestiaires pour lequel je collabore. Je lui ai parlé de ce que je faisais. On s’est ensuite rencontré deux fois et a souhaité m’intégrer dans son groupe de travail qui est à la fois composé d’experts de la DTN et également d’anciens joueurs professionnels qui se sont reconvertis comme entraîneurs des attaquants, comme Frédéric Piquionne, Mickaël Pagis ou Lilian Compan aussi. C’est un honneur pour moi de collaborer avec eux et d’apporter cet outil en plus de l’expertise et l’expérience exceptionnelle de ces personnes. L’objectif de la cellule est de préparer un diplôme qui va être destiné à des membres de staffs pour une spécialisation d’entraîneur des attaquants et répondre à ce constat précédent. Aujourd’hui, ce n’est jamais fini mais je pense avoir beaucoup avancé sur les attaquants. Je me concentre alors sur le deuxième levier qui m’intéresse beaucoup, lequel j’ai toujours mis en avant dans mon coaching et sur lequel je veux aussi appliquer le filtre des préférences motrices : celui des coups de pieds arrêtés. J’ai lancé depuis plusieurs mois une vaste étude sur cette situation du jeu à l’échelle européenne.
Jusqu’à il y a peu de temps, le football faisait figure d’exception dans les sports collectifs de ballon par rapport à la recherche de gain marginaux…
Je pense qu’aujourd’hui, le football s’ouvre. Personnellement, à chaque fois que je parle des préférences motrices et cognitives aux coachs que je rencontre, ils trouvent tous ça très intéressant et sont ouverts. Après, ils ne signent pas tous car il y a des contraintes financières. Ou d’autres raisons. Il y en a pas mal. Les clubs sont méfiants car beaucoup s’autoproclament ’spécialistes’. Et les décideurs, qui ne sont pas les entraîneurs, n’y voient pas forcément de plus-value. Mais surtout, en France, il y a peu d’argent. Après, l’an prochain avec les droits TV, cela va peut-être changer. Enfin, ce n’est pas évident de quantifier l’apport. En Premier League, on estime qu’un but rapporte un million d’euros aux clubs. En France, un million d’euros c’est une place au classement alors si un but te permet de gagner une place au classement, il te permet de gagner un million d’euros. Un but. Si l’application des préférences motrices te permettent de marquer ne serait-ce qu’un but de plus et gagner une place de plus, ton club gagne un million d’euros. Le salaire de ton consultant est très largement rentabilisé. C’est un calcul à faire et un risque à prendre, que peu de clubs en France sont enclins à prendre.
Thomas Gronnemark spécialiste des remises en jeu à Liverpool, expliquait que si le football faisait longtemps figure d’exception dans la recherche de gain marginaux par rapport aux autres sports, car selon lui : « Historiquement, une équipe de foot a un manager ou un entraîneur, un entraîneur adjoint, un entraîneur de gardien et c’est tout ».
C’est un héritage historique, oui. Après c’est en train de changer. Les staffs sont de plus en plus grands. Je pense que le football évoluera dans ce sens-là rapidement : avoir plus de spécialistes et d’experts dans les staffs. Comme au football américain ou au rugby, le football va y tendre car l’enjeu principal c’est l’individualisation. Après évidemment, se pose la question du budget et du management. Mais je pense que déjà par rapport à il y a dix ans, les staffs des équipes de football se sont très largement renforcés. Et ce n’est pas fini.
Au micro de France Inter, le Docteur Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de Recherche bioMédicale et d’Epidémiologie du Sport (IRMES) déclarait récemment que les athlètes tutoyaient certaines limites physiologiques. Que pensez-vous du joueur de football en 2020, alors ?
Je pense qu’il y a une énorme marge de progression, notamment sur le plan technique. A mon avis, le football a atteint des hauts niveaux sur le développement du plan athlétique. Le niveau technique des joueurs a progressé mais peut-être pas autant que ce qu’il faudrait pour répondre à tous les problèmes. Je pense qu’il y a aujourd’hui un petit retard des capacités techniques des joueurs sur les capacités athlétiques. Sur le second plan, aujourd’hui on a des athlètes qui font des performances exceptionnelles. Maintenant la marge est sur le plan technique afin d’avoir des joueurs qui soient autant performants sur les deux plans mais qui sur le plan technique et cognitif, notamment la prise de décision, soient capables de s’adapter aux contraintes liées aux changements athlétiques. Je pense que l’on va revenir à une dominante technique. À une période en France, on prenait des athlètes à qui on apprenait à jouer au football. Maintenant, cela serait plus de chercher des footballeurs qu’on va développer athlétiquement. Il y a des centres de formation qui ont déjà amorcé ce virage.