10 matchs. Un peu plus de 900 minutes. Largement le temps pour regarder tous les épisodes d’une saison d’House of Cards. Le temps d’écouter plus de 40 fois Histoire de Melody Nelson. Voilà la durée pendant laquelle les supporters du CSKA Sofia n’ont plus vu marquer leurs joueurs. Et pourtant, ils sont toujours là, fidèles. Car finalement cette pénurie de buts n’est rien par rapport au grand danger qui guette ce club historique du football bulgare.
Depuis le 13 décembre dernier et une victoire 3-1 contre Cherno More à Sofia, le CSKA n’a plus inscrit le moindre but. Une longue période de disette qui était totalement inattendue après une première partie de saison incroyable de la part du club le plus titré de Bulgarie.
Les Rouges de retour au premier plan pendant quelques mois
Deuxième ou troisième; depuis son dernier titre national conquis en 2008, le CSKA Sofia est cantonné aux places d’honneur, généralement derrière un club de province comme c’est le cas depuis cinq saisons maintenant où le Litex Lovech et Ludogorets se sont partagés les titres d’A Grupa.
L’été dernier ne devait pas franchement rassurer les supporters des Rouges puisqu’un lourd mercato avait eu lieu dans la capitale avec pas moins de quinze départs et autant d’arrivées. Dans les rangs de ceux qui ont quitté le club, on retrouvait quelques noms comme l’Algérien Raïs M’Bohli, le grand espoir Ivaylo Chochev parti à Palerme ou encore les deux vétérans Emil Gargorov et Martin Petrov. Dans le sens inverse, le CSKA Sofia s’était surtout ingénié à construire une ligne offensive digne de son palmarès. Sont ainsi arrivés le vétéran Martin Kamburov (meilleur buteur de la saison passée en A Grupa), le jeune espoir roumain Sergiu Bus, l’international luxembourgeois Aurélien Joachim ou encore le meneur brésilien Marquinhos. Pour mener ce nouvel attelage, l’équipe pouvait toujours compter sur l’entraîneur du dernier sacre : le très respecté Stoycho Mladenov.
Et la saison débuta parfaitement. Du moins en Bulgarie puisque l’Europa League ne dura que le temps d’un tour préliminaire mal négocié contre les Moldaves de Zimbru. Pour ce qui est des joutes locales, le CSKA séduit et surprend. Les premiers résultats sont parfaits avec une victoire sur le terrain du Litex puis dans le derby contre le Levski. Seule une défaite contre Ludogorets vient assombrir un peu ce panorama, ainsi que le départ de Kamburov qui vit mal la concurrence et préfère rentrer au Lokomotiv Plovdiv.
À la trêve, le bilan des Rouges est fabuleux et tout à fait inattendu, comme nous l’explique Pepa Zapryanova qui gère le site Bulgarian Footy : « En réalité, les gens étaient surpris par les très bonnes performances dans la première partie de la saison, puisque comme le disait Mladenov, au CSKA ‘ils parlent plus de dettes que de football.’ » 13 victoires, 5 nuls et 1 défaite : le CSKA mène le championnat bulgare avec cinq points d’avance sur Ludogorets, fatigué par ses matchs en Ligue des champions.
Winter is Coming
Si les performances sur le terrain avaient laissé penser qu’un nouvel élan s’était créé au sein du CSKA Sofia, personne n’a jamais mis de côté cette épée de Damoclès qui menace le club depuis de si nombreuses années : ses finances. Pepa nous décrit la situation actuelle : « La situation financière est incertaine. Il y a environ 10 jours, les nouveaux propriétaires du club Ivaylo Manzdhukov et Milko Georgiev ont déclaré qu’il ne savait pas quelles étaient les dettes réelles du CSKA. Selon un audit financier réalisé il y a quelques jours, les dettes sont de 22, 867 millions de leva (quasiment 12 millions d’euros). Cela veut dire que les dettes ont encore augmenté par rapport à l’an dernier (19, 899 millions de leva). Tous ces chiffres viennent contredire l’ancien actionnaire majoritaire Alexandre Tomov, qui disait que le CSKA avait réduit ses dettes à hauteur de 13/14 millions de leva. Le club est exsangue actuellement. »
Bien entendu, les ventes de joueurs sont comme partout plébiscitées dans ce cas. Et qui mieux que Sergiu Bus pouvait rapporter de l’argent ? Après six mois réussis en Bulgarie, le meilleur buteur du CSKA (10 buts en 19 matchs) file à Sheffield Wednesday. Mais son départ n’est pas compensé par une arrivée, le compartiment offensif du CSKA se trouve donc bien dépourvu l’hiver venu.
Le championnat reprend début mars et les mauvaises performances s’amoncellent. Défaites contre le Lokomotiv Sofia puis Beroe et le Botev Plovdiv. Stoycho Mladenov démissionne, son successeur Galin Ivanov fait long feu et une légende du club Lyuboslav Penev revient pour aider ses couleurs. Là encore, une réelle histoire de passion puisque comme le souligne Pepa, « il n’y a plus d’argent pour rien, certains disent même que le nouvel entraîneur Luboslav Penev travaille gratuitement. » En réalité, son adjoint a affirmé il y a quelques jours qu’ils touchaient le salaire minimum : 750 levas soit 380 euros…
10 matchs sans marquer mais une passion continue
La mauvaise série du CSKA se poursuit. 10 matchs, 6 défaites, 4 nuls. Et surtout zéro but marqué pendant cette période. La guigne semble autant en cause que les qualités des joueurs selon Pepa : « Le CSKA continue à se créer des occasions mais les buts s’échappent. Maintenant on peut vraisemblablement parler de poids psychologique après tant de matchs sans but. Mais bien entendu, Sergiu Bus leur manque. »
Les rêves de titre nés à l’automne ne sont plus qu’un souvenir éteint. Chacun se débrouille comme il peut pour finir la saison tant bien que mal. Lubo Penev doit composer avec une cascade de blessures et prend la chose avec humour. À une question d’un journaliste bulgare sur ses blessés actuels, il a répondu après le nul 0-0 contre Ludogorets ce week-end : « Ils sont traités quelque part dans le monde. Je reçois des cartes postales. » Pour certains joueurs, la situation est malgré tout plus compliquée, notamment pour le gardien letton Maksims Uvarenko qui a dû demander de l’argent à ses parents pour s’acquitter de son loyer alors que le club ne le payait plus depuis 3 mois.
Malgré tout, la dignité reste de mise sur le terrain, dans la coulisse et dans les tribunes. Les supporters du CSKA sont toujours présents et très actifs. Ils ont d’ailleurs fondé une association qui s’occupe de trouver des financements pour les équipes de jeunes du club. Malgré tout, le coup est rude pour les fidèles suiveurs des Rouges : « Les supporters du CSKA sont vraiment déçus, mais ils sont de ces supporters qui restent derrière leur équipe et les soutiennent toujours, dans les bonnes et les mauvaises périodes. »
La menace d’une banqueroute
Il reste aujourd’hui trois matchs pour inscrire un but et finir la saison sur une note positive. Mais une autre menace plane sur le CSKA : celle d’une banqueroute. En effet, le propriétaire du club annonçait ces derniers jours que la banqueroute était une réelle possibilité pour le CSKA qui vivote depuis de trop nombreuses années.
Si cette voie était choisie, le plus grand club du football bulgare n’aurait bien entendu aucune chance d’avoir une licence pour le prochain championnat de première division bulgare. Et les dirigeants semblent actuellement travailler sur la moins pire des options qui serait de s’associer avec un autre club, le Septemvri Simitli, afin de récupérer la licence de ce club qui évolue en deuxième division. Un nouveau CSKA renaîtrait, un peu différent certes, mais sans problème financier.
Les supporters vivent cela sans pouvoir vraiment y faire quoi que ce soit. Nostalgiques d’un temps révolu mais surtout soucieux pour l’avenir et ces vers de Gainsbourg, écrits pour La Noyée, pourraient sans doute résonner à leurs esprits quand ils pensent à leur club tant aimé :
« Tu t’en vas à la dérive
Sur la rivière du souvenir
Et moi, courant sur la rive,
Je te crie de revenir
Mais, lentement, tu t’éloignes
Et dans ma course éperdue,
Peu à peu, je te regagne
Un peu de terrain perdu.
De temps en temps, tu t’enfonces
Dans le liquide mouvant
Ou bien, frôlant quelques ronces,
Tu hésites et tu m’attends
En te cachant la figure
Dans ta robe retroussée,
De peur que ne te défigurent
Et la honte et les regrets.
Tu n’es plus qu’une pauvre épave,
Chienne crevée au fil de l’eau
Mais je reste ton esclave
Et plonge dans le ruisseau
Quand le souvenir s’arrête
Et l’océan de l’oubli,
Brisant nos coeurs et nos têtes,
A jamais, nous réunit. »