Depuis fin janvier, Benfica compte sur un duo d’attaque complémentaire et efficace. Positionné en faux n°9 à la pointe de l’attaque avec Haris Seferović, le frisson João Felix explose dans l’équipe de Bruno Lage. À un point de Porto avant leur co5nfrontation samedi (21 h 30), ils pourraient faire très mal grâce à leurs déplacements et leurs profils créatifs.
Dès l’arrivée de Bruno Lage sur le banc, les Benfiquistas se sont réadaptés à la danse du 4-4-2. Dans laquelle les anciens interprètes du club avaient remarquablement remué sous Jorge Jesus (2013-2014-2015). Ces derniers mois, soumis contre les gros et même les petits, des déséquilibres chroniques dans tous les secteurs du jeu ont interrompu la chorégraphie basée sur le tempo du 4-3-3 de Rui Vitoria. Lancé sur scène en août le jeune João Felix était lui destiné de manière épisodique à s’occuper des côtés de l’attaque lisboète. Pas le meilleur endroit pour exposer ces qualités.
Depuis, Benfica est libéré : 33 buts lors des huit dernières journées en affrontant notamment Guimarães, Rio Ave, Santa Clara et le Sporting Portugal. Et après un début de règne idéal (8 victoires), le résultat est là. À la suite de la 15ème journée de championnat (début janvier), Benfica était quatrième à sept points de Porto. Avant le choc de la 24èmejournée, Benfica est dauphin à un point. Surtout, l’entraineur portugais a trouvé une formule fructueuse pour faire féconder l’animation de son équipe ultra-verticale. À l’exception d’un, João Felix n’a jamais débuté un match sans Seferović à ses côtés. Depuis, le Suisse et le Portugais ont déjà inscrit 20 buts, soit quasi le double du total d’août à janvier.
Des espaces à conquérir
Habitué – car formé en n°10 – à recevoir le ballon dans les pieds, face au jeu, pour percuter depuis l’half-space ou l’intérieur du terrain, João Felix ne souffre pas de cette reconversion. Il compte déjà quatre buts et trois passes décisives sur ces cinq dernières rencontres. Seferović, lui, totalise sept buts et deux passes décisives. Pourtant, la complémentarité entre les deux n’est pas évidente. Le premier aime attaquer les espaces. Et le second aussi. Mais le Suisse, bien qu’intéressant dos au jeu, n’est pas un joueur de combinaisons comme le Portugais. Alors Bruno Lage a cultivé une animation fondée sur leur mobilité, offrant une multitude d’options depuis ces positions d’attaquants axiaux.
Sur certaines séquences, l’équipe adverse doit vivre avec le poids d’une double menace dans le dos. Notamment sur les situations où Benfica récupère le ballon dans son camp et souhaite rapidement profiter des espaces derrière la défense rivale. Avec au milieu les talentueux relayeurs Gedson Fernandes et Florentino Luís, les passes téléguidées de Gabriel, le patron Pizzi, Benfica a de quoi les alimenter. Et même de plus loin, avec la paire solide Ferro-Rúben Dias à la technique de relance étoffée.
Lors des phases d’attaques placées, les deux offensifs multiplient des courses inverses et donc complémentaires : Quand João Felix décroche, Seferović attaque la profondeur. Les centraux adverses sont alors face à un dilemme : suivre João Felix perturberait l’alignement, en sachant que la profondeur sera attaquée. Ne pas le suivre et reculer en restant alignés pour couvrir la profondeur ouvre la possibilité aux relanceurs d’aller chercher João Felix entre les lignes et lui laisser le temps de se retourner face au but. Ce qui pourrait être fatal lorsque l’on connait la qualité du jeune portugais à conduire la balle par de nombreuses petites touches, fixer un adversaire et orienter sur un coéquipier devenu libre par la fixation.
Les circuits de déplacement s’adaptent entièrement aux qualités des attaquants et à ceux de l’effectif. D’abord à droite, il y a les appels extérieur-intérieur de João Felix. Son manque de présence physique entre les centraux qui lui est parfois préjudiciable, devient sur cette séquence un atout : l’attaquant aime se détacher des défenseurs centraux vers l’extérieur pour démarquer ses appels.
D’ailleurs, ces réflexes de positionnement et déplacement ont lieu sur une autre phase de jeu : les coups de pieds arrêtés offensifs. Toujours, João Felix se place au second poteau à distance des défenseurs. Il a déjà marqué à de nombreuses reprises sur cette situation. Paradoxalement à son départ du FC Porto à l’âge de 16 ans en raison de sa petite taille, son premier but en professionnel a été marqué de la tête (Benfica 1-1 Sporting). Mais le jeu aérien n’est pourtant pas une de ses principales qualités. En utilisant son flair et son impressionnant sang-froid, la nature de ce positionnement à l’égard de la vision de tout défenseur se révèle avantageux pour le numéro 79. Si à droite João Felix fuit, Seferović à gauche lui, c’est tout le contraire : il aspire. Avec sa vitesse, l’attaquant emporte délibérément le central au marquage et désorganise la défense adverse. Sur le temps de projection de l’intérieur vers l’extérieur, le latéral espagnol Grimaldo, formé à la Masia, ou l’ailier se jettent et se déplacent dans le half-space devenu libre par le déplacement du Suisse. À l’inverse du côté droit où l’apport d’André Almeida sur les phases offensives n’est que rarement favorable, à gauche ce circuit permet de mettre en évidence les grandes qualités de dribble et de passe de Grimaldo et Rafa dans les trente derniers mètres.
Parfois même, ces réflexes de déplacements caractéristiques des deux attaquants ont lieu en même temps et dans un petit périmètre. Récemment, le 26 février pour Actufoot, Raynald Denoueix lâchait : « Le jeu sans ballon, quand votre équipe à la possession, c’est savoir se déplacer pour le recevoir ou mieux encore pour quelqu’un de votre équipe le reçoive ». La séquence ci-dessous représente une nouvelle fois l’intelligence de jeu de la paire João Felix-Seferović.
Une zone à exploiter
Étant conscient que ses attaquants rivalisent difficilement dans le jeu aérien avec les défenseurs adversaires, Bruno Lage leur demande d’effectuer principalement deux circuits sur les centres : couper les longues passes au sol en se projetant rapidement dans la surface. Cela arrive principalement sur les phases de transitions. Mais surtout, le technicien leur demande de délivrer des passes – longues ou courtes – au sol en retrait. Autant pour une question physique que pour une question d’espaces. Sur ces points, Benfica ressemble au Manchester City de Pep Guardiola.
En plus d’une menace constante en profondeur, le duo apporte de la mobilité et de la présence entre les lignes. D’un côté on a le gaucher suisse. Il peut rivaliser physiquement en jouant dos au but et se montre intéressant dans l’orientation du jeu. De l’autre, le droitier João Felix qui compense son manque de « poids » (même s’il montre une qualité de protection de balle épatante) par sa vivacité et sa qualité technique. Formé comme numéro 10, il est de ses caractéristiques de venir demander le ballon dans les pieds dos au but pour organiser le jeu. Très technique et grâce à sa vision du jeu, le jeune portugais régale dans l’orientation des manœuvres lisboètes. Vertu adjugée aux joueurs en chaussettes basses et coiffure mi-longue, sûrement.
Éloge de la beauté
Pour Rust Cohle, célèbre inspecteur de la fiction True Detective, « Time is a flat circle» (le temps est un cercle plat). Une roue libre qui ne peut pas s’empêcher de revenir au même endroit. En prenant son temps, ou pas. Pour les Portugais, le temps a passé depuis qu’« El Maestro » Rui Costa a quitté les terrains. Mais le temps a fait des merveilles. Alors que depuis des années le Portugal cherchait, creusait au fond de son petit terrain pour retrouver de la joie passée, noyée dans son esprit mélancolique, le temps s’était posé pour produire une belle histoire.
Il était écrit que João Felix allait devenir brillant. Après 15 matchs de Liga Nos le jeune compte déjà huit buts et quatre passes décisives. Mais au-delà de ça et de sa polyvalence rare sur les terrains, c’est la fin temporaire d’une quête infinie. João Felix est un doux croisement du monde des anciens et du monde moderne. Vision du jeu remarquable. Comme Rui Costa ou Pablo Aimar. Et maître de l’exploitation de l’espace, balle au pied ou sans ballon.
Comme Kaka. Interrogé par le quotidien A Bola, Jorge Jesus exprime : « Le Benfica de Bruno Lage ? Je suis étonné par un jeune joueur qui va devenir une référence : João Felix. Il a encore beaucoup à apprendre mais je peux faire une comparaison avec Rui Costa et Kaka, il a un peu des deux, il sera au-dessus de la moyenne. » Dans un Benfica où il a la place pour séduire, le Portugais enchaîne les danses, multiplie les preuves d’amour et les supporters regardent. Et regardent encore. C’est une beauté.