Leader de Liga Nos à égalité de points avec Porto, Benfica rayonne à nouveau depuis la nomination de Bruno Lage au poste d’entraîneur. Les Águias qui reçoivent Francfort ce jeudi pour les quarts de finale aller de la Ligue Europa, sont transformés.
« Benfica ? Peut-être la meilleure défense d’Europe », lançait Pep Guardiola en avril 2016 avant une rencontre Bayern Munich-Benfica de Ligue des champions. Une pensée que l’actuel technicien de Manchester City détaille plus dans le livre La Métamorphose de Martí Perarnau : « C’est une équipe de Sacchi. Je dis cela sérieusement. C’est l’équipe qui a la meilleure organisation d’Europe. Mais ce n’est pas une équipe défensive. Elle installe sa dernière ligne très haute et presse sans arrêt. Elle ne laisse pas d’espace entre les lignes, elle a des attaquants très rapides et des très bons jeunes comme Renato Sanches. En Allemagne, en Angleterre et en Espagne, le public n’observe pas la ligue portugaise et c’est pour cela que personne ne donne de la valeur à Benfica. C’est une équipe digne de Sacchi. » Avec Rui Vitória qui a pris le relais à l’été 2015, Benfica repose essentiellement sur la compacité et la sérénité installées durant les six saisons précédentes de Jorge Jesus, celles qui ont menées deux fois en finale d’Europa League.
Après deux saisons sur le banc, Vitória modifie le schéma de jeu de sa formation habituée aux mouvements du 4-4-2 et Benfica se met à bouger en 4-3-3. L’objectif ? « Ajouter un milieu pour renforcer cette zone » et mettre en valeur la qualité des connexions (par les triangles) entre les flans et les milieux relayeurs. Krovinovic, Grimaldo et Cervi à gauche. Pizzi, Salvio/Rafa et André Almeida à droite. Mais sa phase défensive a progressivement perdu en stabilité au point que Benfica commence à sévèrement patauger en championnat comme en Europe avec comme fait marquant les six défaites et zéro point accroché en phase de groupes de la Ligue des champions 2017-2018.
Depuis l’arrivée de Bruno Lage en janvier 2019, le jeu de Benfica semble au carrefour de tous les courants de pensée : très bien organisée défensivement, son équipe ne tient pas à presser haut – cela a seulement été le cas contre Porto -. Avec le ballon, elle est capable d’agir patiemment pour ressortir au sol dans des manières typiquement latines. Mais aussi d’être beaucoup plus pressée en cassant les lignes par une sortie de balle ultra-verticale, dans des manières typiquement allemandes, influencées par Ralf Rangnick à Salzbourg et Leipzig. Et l’effet est direct. Début janvier, Benfica était quatrième à sept points de Porto. Treize victoires en quatorze rencontres et 45 buts plus tard, l’équipe de Bruno Lage est leader de Liga Nos à égalité de points avec Porto. Une renaissance surprenante.
Art de l’organisation défensive
« Dans dix, vingt, ou trente ans, on se souviendra de cette équipe qui jouait dans l’esprit. C’est son style conquérant, offensif que l’on gardera en mémoire », se vantait Arrigo Sacchi dans L’Équipe en 1990, à la veille de son deuxième sacre européen avec l’AC Milan. Au Mondial russe, son héritage – 4-4-2 compact, avec une défense en zone intégrale – a animé les approches tactiques de nombreuses sélections. Précisément, une partie de son héritage puisque beaucoup se sont présentées sans ses principes ambitieux – pressing constant – mais avec des intentions uniquement réactives. Seulement, avec Bruno Lage au Portugal ou Lucien Favre en Allemagne, l’interprétation totale de la science de la phase défensive d’Arrigo Sacchi respire toujours.
Dès sa nomination, Bruno Lage l’ancien adjoint de Quique Sánchez Flores à Al-Ahli et de Carlos Carvalhal à Swansea s’est donné pour mission de remettre l’Aigle sur pattes. Et au départ comme pendant l’envol, tout passe par l’équilibre général. Le passage du technicien de l’équipe réserve de Benfica à l’équipe principale a donné aux Portugais une stabilité lors de la phase sans ballon. Établi en 4-4-2 à plat très compact qui défend en zone (pas de référent individuel) avec pour priorité de fermer l’axe et d’empêcher l’adversaire d’y combiner, le bloc se déplace dans une harmonie étincelante. Le but est d’inciter l’adversaire à écarter sur les côtés où les ailiers passifs, déclenchent un pressing immédiat sur le temps de passe au latéral. Alors qu’ils avaient encaissé trente-deux buts d’août à décembre, les Benfiquistes en ont pris quinze depuis janvier.
Derrière Seferović et Joaõ Felix les chasseurs de relance, Rafa et Pizzi sont les premiers engagés d’un pressing intense. Tous des récupérateurs de ballons par leur profil de coureurs infatigables ou coureurs explosifs. Au cœur du jeu, Gabriel et Samaris veillent à bien se couvrir mutuellement. Si l’un des deux sorts au pressing traquer un rival vers l’extérieur, l’autre redescend. En dernière ligne le duo de centraux Ferro-Rúben Dias, tous les deux en équipe réserve l’an passé, tache de rester proche du milieu et contrôle aussi efficacement les airs que la profondeur.
Attaque cosmopolite
Si depuis plusieurs semaines, l’organisation défensive de Benfica intimide les adversaires à la fois qu’elle charme les observateurs, les principes avec ballon de l’équipe de Bruno Lage surprennent par leur pluralité. Le système du technicien est conçu pour défendre en zone et donc bien contre-attaquer. Une fois le ballon récupéré, Benfica s’appuie sur son tandem d’attaquant : Seferović ou Jonas et João Felix. Formé en n°10, le jeune portugais auteur de dix buts et quatre dernières passes ne souffre pas de sa reconversion en faux n°9. Autour du Suisse (18 buts, 5 passes) ou du Brésilien (10 buts, 1 passe), sa présence offre une multitude d’options à l’animation offensive de l’équipe. Mais sur les phases de transition, la mobilité – l’un sprint vers le but et fait reculer la défense – et les réflexes de déplacements caractéristiques à chacun – l’appel intérieur-extérieur de Seferović, l’appel extérieur-intérieur de João Felix – provoquent beaucoup de situations dangereuses.
Meilleure attaque du championnat (77 buts), Benfica sait certes développer une approche minimaliste de contre-attaque mais surtout Bruno Lage a mis en place un jeu de position, encore imparfait mais qui avec en moyenne 57,3% de possession permet à son équipe d’aborder la majorité des rencontres en tant que protagoniste. La réussite de ce football est née d’une diversité d’influence en termes de jeu de position, fluctuant entre deux méthodes.
Tantôt Benfica met beaucoup de joueurs devant le ballon et déstabilise l’adversaire par l’utilisation des couloirs. La circulation de balle se tisse sur toute la largeur du terrain comme une toile. Dans son nid, le duo de centraux et le duo complémentaire de l’entrejeu (Gabriel pour créer, Samaris pour détruire) sont la voie d’insertion qui envoie le ballon d’un côté à l’autre du terrain. Avec Gedson Fernandes et Florentino Luís, Bruno Lage peut compter sur deux jeunes joueurs à la facilité technique renversante et aux pieds modulables : en acier pour récupérer, soyeux pour relancer. Deux joueurs amenés à survoler les milieux d’Europe dans quelques mois. Sur l’aile à gauche, Grimaldo et Rafa (38% d’attaques), sur l’aile à droite, Pizzi et André Almeida (38% aussi, équilibre rare) brillent par leurs capacités à faire la différence lors de jeux en triangles. Les décrochages incessants des milieux libèrent alors des espaces dans les couloirs pour les latéraux. Un jeu d’emplacement marqué de l’empreinte de Pep Guardiola.
Tantôt Benfica joue de manière très directe en essayant de trouver une ligne droite vers le but adverse. Le bloc de Bruno Lage se rassemble côté ballon, fixe le bloc rival et l’emploi de la passe verticale devient la clé qui ouvre les portes de ses trente derniers mètres. Dans cette manière franche de déséquilibre, la qualité technique de la charnière centrale Ferro-Rúben Dias pour trouver une passe qui casse les lignes au milieu de plusieurs adversaires est cruciale. Autant que les mouvements des joueurs offensifs : les milieux relayeurs décrochent, le latéral côté ballon se propose et les attaquants se projettent successivement dans le half-space entre les lignes et dans le half-space en profondeur. En cas de succès, la guerre de l’entre-jeu généralement remportée et le profil des joueurs donnent lieu à des séquences toutes en combinaisons et déviations. En cas d’échec, la densité du bloc permet de lancer un pressing à la perte. Un football de position estampillé Ralf Rangnick.
« Celui qui représente un club comme Benfica a le rêve de conquérir à nouveau une compétition européenne », lâchait Lage hier en conférence de presse. Avant ça, Benfica va affronter une équipe qui lui ressemble beaucoup dans les intentions de jeu : le 3-4-1-2 solide de Francfort et sa verticalité de tous les instants. Benfica est excellent en transition offensive mais est souvent gêné en transition défensive. Il pourrait être pris au piège par l’Eintracht si l’Autrichien Adi Hütter décide de laisser le ballon aux Portugais afin de miser sur son trio Rebic, Jovic et Haller qui a déjà inscrit 53 buts cette saison. Pour les deux équipes, le contrôle du ballon aura un effet notable sur le développement de la rencontre car des pertes de balles axiales pourraient mettre chacune d’entre-elles en difficulté face à une équipe percutante offensivement. Invaincu en championnat depuis le début de l’année civile, Francfort est la nouvelle attraction de Bundesliga. De l’autre côté, arrivé en janvier, Bruno Lage a déjà imposé sa patte à un groupe au visage différent d’il y a quelques mois. En accouchant d’un puzzle de jeu, son équipe montre qu’elle a su prendre le tournant de la prochaine décennie.