Considéré largement comme un membre du top 3 européen, les Blues ont meilleure presse cette année. José Mourinho a agréablement surpris les observateurs avec de nouvelles intentions dans le jeu. Pour autant, les Londoniens, qui ont explosé jeudi dernier face à Tottenham (5-3), sont peut-être moins solides défensivement. Analyse de leur évolution, alors que City est revenu dans la course au titre, et que le PSG se profile dans un mois en Ligue des champions.
Saut qualitatif dans la création…
Chelsea a bien changé. Mourinho ne bluffait pas quand il parlait de saison de transition l’an passé. Comme il l’avait promis, son équipe va désormais chercher le ballon plus haut, fait en sorte de le posséder plus longtemps et de mieux l’utiliser. Deux joueurs symbolisent cette transformation : Nemanja Matic, recruté l’hiver dernier, mais non-qualifié en Coupe d’Europe jusqu’à cette saison ; mais aussi et surtout Cesc Fabregas, acheté au Barça pour 37 millions d’euros cet été.
L’Espagnol a fait progresser Chelsea offensivement par sa qualité créative : avec déjà 14 passes décisives à mi-saison, il est bien parti pour exploser le record de Thierry Henry, datant de 2004 (20 passes). Il est second au classement des passes réussies (signe de son importance dans la construction) derrière Yaya Touré (Manchester City) avec 86,4%. Au classement – plus significatif – des keypasses (passes suivies d’un tir au but d’un partenaire), Fabregas est loin devant tout le monde avec une moyenne de 3,4 passes potentiellement décisives par match. Le meilleur total d’Europe… derrière Dimitri Payet (OM).
… Mais régression dans la maîtrise défensive ?
L’an dernier, Chelsea a perdu ses points les plus précieux dans la course au titre face à des équipes lui étant très inférieures. Contre les quatre premiers du classement, les Blues affichaient un bilan flatteur de 10 points sur 12, n’en perdant que 2 à l’Emirates, en 6-3-1 et en tirant plus qu’Arsenal, malgré une possession famélique. À chaque fois, en impliquant toute l’équipe dans le travail défensif, Mourinho avait ramené victoire et clean sheet de ses voyages les plus périlleux.
Cette année, les résultats sont toujours là : Chelsea est leader, et est objectivement la meilleure équipe d’Angleterre. Mais contrairement à l’an passé, les hommes de José Mourinho n’ont ramené ni victoire, ni « feuille propre » des deux déplacements qu’ils ont déjà consommés à Manchester. En ayant à chaque fois ouvert le score, et jouissant même d’une supériorité numérique face à City après l’expulsion de Pablo Zabaleta, les Blues ont été rejoints. Même face à Arsenal, contre qui Mourinho n’a jamais chuté en 12 confrontations, les Blues ont conclu la partie avec 10 tirs concédés, pour seulement 5 produits.
Jeudi dernier face à Tottenham, Chelsea a véritablement explosé, encaissant 5 buts à White Hart Lane, encore une fois après avoir ouvert le score. Alors, quels éléments ont changé dans l’animation défensive des Blues pour aboutir à ce qu’il convient d’appeler une régression ?
Matic–Fabregas devant la défense
La saison dernière, dans les gros matchs – notamment à l’extérieur – Oscar sortait quasi-systématiquement du onze, le « Special One » abandonnant alors son 4-2-3-1 pour un 4-3-3 très défensif. Les 4 défenseurs garnissaient l’axe et les milieux les protégeaient, alors que Willian, Hazard, Ramires ou Schürrle étaient des latéraux en mission dans un 6-3-1 à l’iranienne. Ce n’est plus le cas cette année. Oscar est là dans tous les grands matchs, et Chelsea joue dans un 4-2-3-1 très hispanisant dans lequel Ramires et Mikel n’ont plus droit de cité. Élément clé dans la nouvelle animation défensive : Matic est associé à Fabregas devant le back four.
Quand Chelsea joue face à un 4-2-3-1, le Serbe est assigné au marquage du 10 adverse. Les latéraux Azpi et Ivanovic marquent eux les ailiers, alors que Cahill et Terry s’échangent le n°9 selon le côté du ballon. Le soucis ? Fabregas n’offre jamais le sentiment d’une véritable couverture pour Matic et, si cela se passe mal pour le Serbe en individuel sur le côté, l’axe est à découvert quand le ballon revient vers le but de Courtois. On en avait déjà eu l’illustration face à Tottenham lors du match aller à Stamford Bridge, il y a un mois.
Si les Blues s’étaient finalement imposés (3-0), ils avaient consommé un gros temps faible dans le premier quart d’heure, mettant en lumière les limites de leur nouveau système défensif. Sur la séquence ci-dessous, quand Matic et Fabregas sont éliminés, c’est à Hazard de venir jouer les pompiers de service devant la défense sur le second ballon. Le danger viendra finalement du côté gauche, qu’il n’a plus à défendre. L’effet domino offrira un décalage à Harry Kane au second poteau.
En définitive, cette année, la défense des Blues est plus souvent à découvert et, devant elle, Chelsea se retrouve parfois avec aucun joueur, là ou il y en avait trois l’an dernier (Lampard–Luiz–Mikel par exemple).
Sur l’action de l’égalisation jeudi dernier, Chelsea passe à la caisse dans les mêmes circonstances. À ceci-près que Kane et Chadli échangent leurs rôles respectifs (avant-centre et milieu gauche) sur cette séquence. Matic est emmené sur l’aile par Eriksen (qui jouait n°10), et quand Kane attaque l’axe, Fabregas est bien trop léger dans le 1 contre 1 pour l’empêcher de trouver une fenêtre de tir.
La question de la charnière / friabilité sur attaque rapide
Sur le deuxième but des Spurs, inscrit par Rose après une frappe sur le poteau de Chadli, Chelsea est piégé en contre. Le milieu gauche de Tottenham profite de l’attitude offensive d’Ivanovic pour se défaire de son marquage. Lorsque Kane, qui avait dézoné à droite, prend le meilleur sur Azpilicueta, Matic hésite à intervenir, il est de toute façon déjà trop loin. Ivanovic aussi, est battu et Cahill et Terry se retrouvent à 2 contre 2 avec Chadli et Eriksen. Une séquence qui pose à la fois la question de la qualité de relance de cette charnière lorsqu’elle est sous pression, et de sa capacité à dépasser sa fonction défensivement lorsque la ligne est haute.
Avec Matic, Oscar et Cesc ; Mourinho possède des créateurs à la hauteur de ses ambitions offensives. Mais a-t-il les défenseurs ? N’a-t-il pas les yeux plus gros que le ventre avec ce nouveau projet de jeu ?
Terry et Cahill sont-ils capables de rééquilibrer l’équipe quand les 8 autres joueurs de champs sont éliminés ? Aussi, peuvent-ils rendre des ballons propres, quand l’adversaire balance ou attaque l’axe, alors qu’Azpilicueta et Ivanovic sont dans le camp adverse ? Ont-ils les moyens – techniques et athlétiques – d’accomplir ce que Ramos et Pepe ont fait brillamment lors de la dernière finale de la Coupe du Roi ? Il semblerait que non et c’est une source d’inquiétude pour le futur de ce Chelsea-là.
Car si les Blues sont friables à la perte quand ils attaquent, ils le sont également quand ils se replient et que l’adversaire est en situation d’attaque placée. On le constate sur l’égalisation, mais également sur le troisième but des Spurs, qui font le break juste avant la mi-temps, dans la foulée du premier but.
Une séquence accablante pour Cahill, qui ne montre ni le sens de l’anticipation, ni la technique, ni la vitesse dont un stoppeur a besoin pour aider son équipe dans ces situations de déséquilibre, à l’image d’un Piqué version 2009-2011. D’autant plus qu’en évoluant axe droit, l’Anglais a un rôle prépondérant dans la transition défensive de Chelsea, étant donné qu’Ivanovic est – contrairement aux apparences – le latéral offensif des Blues, notamment quand Courtois allonge vers son côté.
Le point faible des Blues
Ce Chelsea n’est pas invincible. Sa première défaite de la saison à Newcastle offre un condensé de ses points faibles. À chaque fois que Sissoko a emmené Mikel (qui remplaçait Matic ce jour-là) loin de l’axe, le danger est venu sur le but de Courtois. Il faut un sauvetage d’Azpi, venu fermer depuis son côté droit, pour éviter l’ouverture du score en première mi-temps sur l’occasion de Collback. L’ancien Marseillais sera trop court à l’heure de jeu pour empêcher Papiss Cissé de faire mouche. Comme face à Tottenham, la défense n’est pas couverte par Fabregas quand Mikel est désaxé. Et quand Cahill reste face à son n°9 au moment du décrochage, Terry est inévitablement attiré par le premier poteau. Comme c’était déjà le cas sur l’occasion de Kane à Stamford Bridge, le danger vient finalement du second, lorsque le milieu défensif de Chelsea a été désaxé par la mobilité du meneur de jeu adverse.
Conclusion
La saison dernière, son manque de qualité créative avait empêché Chelsea d’être champion d’Angleterre. Les Blues sont armés à ce niveau-là pour récupérer la couronne du Royaume. A contrario, la solidité défensive, expérimentée lors des gros déplacements, était l’argument principal d’un candidat crédible au titre continental suprême, même sans avant-centre de top-niveau.
Terry et Cahill sont loin des meilleurs centraux de la planète, et Mourinho a peut-être eu les yeux plus gros que le pressing en mettant en place un projet aussi ambitieux dans le jeu, et dans lequel ils sont beaucoup plus livrés à eux-mêmes que l’an passé. En un sens, l’entraineur portugais agit comme s’il était parvenu à faire signer Varane l’été dernier. Une chance pour Kurt Zouma ?
La restructuration de son équipe et ses nouvelles intentions offensives ont exposé l’axe comme jamais l’an dernier. Si Chelsea veut rêver d’une grande fin de saison – notamment sur le plan européen – ses défenseurs centraux devront assumer de grosses responsabilités lorsque l’axe est à découvert. À moins que Mourinho ne revoit à la baisse ses ambitions créatives lors des grosses échéances à venir. La première partie de saison lui a offert l’occasion de tester les limites de son équipe sur ce plan-là. Il devra aussi questionner le rôle défensif des trois créatifs derrière Diego Costa.
L’an dernier au mois de février, un sacre européen de Chelsea était côté à 30 contre 1. Cette année, un parieur n’obtiendrait que 6 fois sa mise en misant sur un triomphe des Blues le 6 juin. Chelsea était généralement sous-estimé l’an dernier, et avançait relativement masqués. Les faiblesses des Londoniens existent bel et bien cette année. Peuvent-ils surprendre à nouveau ?